d'Antoine Lagarde 11 mai 2011
Célébration, héritage, filiation, tous semblent aujourd'hui se situer par rapport à cet événement de l'élection de François Mitterrand. A gauche où le combat pour les primaires s'annonce épineux, à droite où certains ne contiennent qu'à peine une certaine forme d'admiration pour l'habileté politique du personnage. Mais qui est-il vraiment, quel parcours fut le sien pour occuper quatorze ans la présidence de la République en incarnant une certaine idée du pouvoir ?
François Mitterrand est né pendant la première guerre mondiale, en 1917. D'une famille de la bourgeoisie de province, il est éduqué comme il se doit à «Saint-Paul », l'école privée d'Angoulême. Il lit beaucoup, se forge une solide culture classique à une époque où la télévision et les médias ne sont pas encore la première source de formation des mentalités. Par goût pour le débat et par idéal, il devient avocat.
Fait prisonnier pendant la deuxième guerre, il s'échappe. D'abord décoré de l'ordre de la Francisque par Pétain (la plus haute distinction de l'Etat de Vichy), il finit par rejoindre la Résistance. Il créée un réseau d'aide pour les prisonniers en fuite.
Après la Libération, il fonde son propre parti, l'UDSR. Sur l'échiquier politique, c'est le centre droit qui convient le mieux à son origine et à son personnage.
Mitterrand est ambitieux. Un peu comme un De Gaulle qui avoue s'être fait, très jeune, "une certaine idée de la France" – idée qui visiblement incluait sa propre personne (!) – Mitterrand rêve d'un Destin, d'un rôle dans l'histoire de France. C'est dans l'opposition quasi systématique au général de Gaulle qu'il trouve sa méthode, qu'il fait entendre sa voix. L'adoption des institutions de la cinquième République en 1958 lui donne la tribune dont il avait besoin pour se faire mieux connaître. Mitterrand s'inscrit dans la longue tradition de la démocratie parlementaire française, celle qui, par peur des nouveaux coups d'états (comme celui de Napoléon III qui s'était autoproclamé président à vie, puis Empereur) avait accouché en 1870 de la Troisième République dont l'esprit était contenu dans cette formule : « La France ne peut être gouvernée par un homme fort ». Dans son livre fondateur "Le coup d'état permanent" il dénonce les risques d'un régime qui s'appuie sur un président au dessus de l'assemblée nationale, seule émanation légitime de la volonté du peuple. C'est ainsi qu'il vote contre la mise en place de l'élection du président de la République au suffrage universel. Il comprend aussi que sa seule chance politique d'exister est l'opposition au général de Gaulle dont il avouera par ailleurs plus tard l'admiration qu'il lui portait. L'animal politique est né, conscient que son chemin devait passer désormais par la gauche. Ministre de l'intérieur sous Mendès-France, au début de la guerre d'Algérie, écarté du pouvoir par le retour du grand Charles, il se lance dans l'opposition et commence à tisser peu à peu des liens avec le parti communiste incontournable alors, fort de ses 20-25 % d'électeurs.
Mitterrand essuie plusieurs déconvenues, notamment le fait de ne pas pouvoir s'imposer comme candidat de la gauche en 1969. Il n'abandonne pas pour autant. Il continue à travailler son projet qui débouchera sur deux nouvelles candidatures aux élections présidentielles. La victoire du 10 mai 1981 demeure le couronnement de son travail commun avec les partis de la gauche. Les fameuses 110 propositions pour permettre "le changement" qui font rêver la France sont un sommet : mélange de promesses utopiques et de pragmatisme, habile équilibre consensuel fondé sur le tronc commun du socialisme à la française. C'est ainsi qu'en formant son gouvernement, il introduira quatre ministres communistes, ceci en pleine guerre froide, ce qui ne manquera pas d'alimenter une grande peur chez les électeurs de droite redoutant l'utopie marxiste et le spectre de l'influence soviétique. Certains fuiront la France au moins temporairement. L'euphorie du 10 mai 1981 dure peu de temps. Après les mesures sociales importantes (hausse du SMIC, 39 heures, cinquième semaine de congés payés) et les dépenses colossales pour les nationalisations, la récession économique pointe, Mauroy dévalue le franc une fois, deux fois puis trois fois pour finalement entrer officiellement dans la Rigueur, terme inventé pour éviter de reprendre à son compte celui d'Austérité utilisé par son prédécesseur Raymond Barre comme réponse aux deux grandes crises pétrolières des années 70. L'habileté de Mitterrand est alors de prendre une certaine distance, de laisser Mauroy aller « au charbon » pour effectuer ce tournant qui sonnera le glas définitif du rêve des 110 propositions. Le socialisme devient pragmatique, gestionnaire. C'est cette manière d'être président très tôt mise en œuvre avec Mauroy qui lui permettra d'envisager par la suite la cohabitation et de la vivre deux fois en cours de mandat (six années de cohabitation sur quatorze années de présidence). Au célèbre journaliste Yves Mourousi qui l'interrogeait sur les institutions de la Vème République qu'il avait toujours combattues, Mitterrand avait répondu la phrase restée célèbre : "Je m'en habille très bien ».
Que retenir de ce parcours ? Les longues années au pouvoir laisseront une empreinte très mitigée. Le simple fait que la date du 10 mai 1981 soit choisie comme commémoration est déjà tout un symbole. Il y a le Mitterrand de la conquête du pouvoir qui fascine, celui de son exercice est tout autre. Mitterrand restera avant tout l'homme qui permit l'alternance après vingt-six années de disette pour la gauche, celui qui prouvera que celle-ci était chose possible en France, qu'elle ne signifiait pas nécessairement le chaos. En 1988, alors qu'il a perdu toutes les élections intermédiaires (municipales, régionales, européennes et législatives) , il remporte à nouveau la présidentielle, démontrant ainsi que la stabilité en haut de l'Etat est un désir des Français. Tout cela Mitterrand le saisit très bien, avec son flair inégalé, son analyse parfois cynique et ses calculs gagnants.
Son temps restera aussi celui des zones d'ombres, des copinages, des luttes d'influence, et des mensonges d'état. Contrairement au mode quasi puritain de De Gaulle d'exercer le pouvoir (on disait de lui qu'il réglait lui-même ses factures d'électricité, Yvonne signant ses chèques à la main pour faire le plein d'essence !), Mitterrand introduit (ou réintroduit) une confusion des genres. L'appareil étatique est au service de son projet, il ne s'en cachera pas. Parfois aussi de ses amitiés… ou de ses liens de famille. C'est ainsi que de nombreux scandales finiront par apparaître, pas seulement celui de ses relations avec les femmes qu'il introduit pour certaines au gouvernement (Edith Cresson..) et dont la presse fait son pain blanc actuellement, mais également pour les affaires sulfureuses de son fils Gilbert. Celui-ci, placé en Afrique, se voit surnommé non sans humour par les Africains : « Papa m'a dit ». Que dire enfin de ses dix années de bulletins de santé officiels, voulus par lui, le déclarant en bonne santé, alors qu'il était malade, déjà atteint par un cancer en 1981?
La mitterandôlatrie est aussi une autre zone d'ombre du personnage, elle n'est pas non plus sans conséquence. Difficile de passer des petits papiers Mitterrand à la distance froide sans explications. Plusieurs des ses proches en témoigneront. Puis surtout, cette triste histoire de deux de ses fidèles collaborateurs qui se suicideront : Pierre Bérégovoy, ex-premier ministre puis son conseiller politique, François de Grossouvre…
Du point de vue économique, les premières années Mitterrand seront caractérisées par une hausse considérable du déficit budgétaire. La France s'endette. Malgré les dénationalisations sous l'ère Chirac, cette logique de l'endettement ne fera que se poursuivre avec l'emprunt Balladur émis pour relancer l'économie. La France prend l'habitude de vivre au-dessus de ses moyens.
Du point de vue de la politique intérieure, Mitterrand dans son costume de président ne renonce jamais à la politique. Sachant se faire discret, habile, il travaille en coulisse et alterne soigneusement ses silences et ses apparitions télévisées. Ce n'est pas pour rien que lui sera attribué la montée du FN qui lui permettra de se maintenir plus longtemps que prévu au pouvoir. Les relations entre François Mitterrand et l'extrême droite sont avérées; elles ont suscité beaucoup de commentaires ouverts à droite, discrets à gauche, et de polémiques dans les sphères intellectuelles. On peut lire à cet effet le livre écrit en collaboration par Thomas Legrand ("La main droite de Dieu") où les auteurs, plutôt classés à gauche, évoquent des relations troubles entre le président et des sphères ou des personnages de la droite extrême. Et de fait, Mitterrand se protège et protège sa présidence, son « Destin », nourrissant cette personnalisation du pouvoir qu'il avait longtemps combattue.
Dans le lien avec l'étranger, rien de très neuf avec l'Afrique où, malgré son discours fameux de La Baule en 1990 où il propose de conditionner les aides économiques aux aides à la démocratisation des régimes africains, il ne fera pas tellement évoluer la posture « France-Afrique » de ses prédécesseurs. En revanche, avec l'Allemagne, l'amitié réciproque avec Helmut Kohl permettra de consolider le couple franco-allemand, pilier incontournable de la construction européenne.
Force tranquille, alternance sereine, cohabitation (et donc collaboration droite gauche au plus haut sommet de l'Etat) d'un côté. Zones d'ombre, calculs et demi-vérités de l'autre, un bilan à l'image d'un personnage insaisissable aux différents visages ayant su mettre au profit de son Destin personnel le rêve social-marxiste dans sa visée idéologique, sans jamais le faire passer à l'acte.
L'ère Mitterrand porte, il est difficile de ne pas l'admettre, une certaine atteinte à la probité de l'exercice du pouvoir. L'exercice même de la politique y semble souvent réduit aux arrangements de circonstances, à un jeu d'alliance délaissant rapidement le projet politique en lui-même. De plus, Mitterrand lègue à sa mort une famille socialiste profondément divisée, condamnée à se rendre en pèlerinage sur sa tombe pour y respirer le parfum du printemps socialiste français, celui du 10 mai 1981 dont l'unité tenait tout entière dans cette homme fascinant et déroutant tout à la fois. Son élection de 1981 fut une surprise, l'ampleur de la commémoration de celle-ci en est une autre de taille car les médias s'étaient fait très discrets en 1991 et en 2001 dans un contexte où la gauche était encore au pouvoir. Les années d'opposition auraient elles des vertus purificatrices de la mémoire ?
Merci pour cet article, mais il aurait fallu quand même mentionner l'audace de F. Mitterand d'avoir mis dans son programme électoral l'abolition de la peine de mort, alors que l'opinion publique était contre, et d'avoir ensuite tenu sa promesse.
Petite rectification : François Mitterrand n'a pas connu six années de cohabitation, mais quatre : 1986-88 (avec Jacques Chirac) et 1993-95 (avec Edouard Balladur). Par contre, Jacques Chirac connaitra cinq années de cohabitation (1997-2002, avec Lionel Jospin).
S'il est éxact que l'ére Mitterrand n'a pas brillé par sa probité, il faut préciser pour être honnête qu'elle ne diffère pas en cela des autres présidences : des diamants de Bokassa à l'affaire Woerth-Bettancourt, le pouvoir entretient toujours des relations ambigües avec les puissances d'argent.
L'affaire DSK apporte un élément nouveau sur la vie privée des hommes politiques. Il faut être prudent dans ces matières. Est-ce que l'attitude d'un homme ou d'une femme en matière matrimoniale doit influencer mon vote ? Si je veux voter pour un père ou une mère de famille sans histoires à la prochaine présidentielle, il n'y en a pas lourd qui vont remplir les conditions…
Et la culture ? Et tous les budgets alloués à la culture ? C'était quand même une sacrée révolution !!