C'est un exploit passé un peu inaperçu en dehors du monde scientifique que la présence du robot Curiosity envoyé par la NASA sur la planète Mars depuis le 6 août 2012. Et si cette première exploration représentait une avancée majeure de l'humanité vers la conquête spatiale ? Une avancée digne de celle de la découverte du Nouveau Monde pour le Moyen Âge ?
Curiosity c'est tout d'abord la mission de plus de 2,5 milliards de dollars et qui a mis 6 mois à parvenir jusqu'à la planère rouge. Curiosity c'est un atterrissage qui fut une véritable prouesse de technologie et de précision. C'est un petit robot mobile qui ne cesse d'envoyer des informations dont la dernière ne manque pas d'étonner : il y a de l'eau sur Mars. Cette planète n'est pas le désert que tous soupçonnaient jusqu'à présent. Environ 2% de la planète seraient composés de la fameuse combinaison H2O, nous dit un rapport de la NASA paru dans la revue Science[1]. C'est une découverte majeure qui a de nouveau battu en brèche les tenants du « C'est impossible qu'un tel désert puisse contenir de l'eau ». Force est de contaster que depuis le début de l'aventure « Curiosity » les certitudes scientifiques sur ce que nous pensions de la planète Mars et sur ce que nous pensions être capables d'y réaliser ne cessent d'être remises en cause.
« Vous avez dit impossible ? »
En fait, l'aventure Curiosity fait penser à une infinité d'autres aventures humaines, de rêves humains, qui ont été réalisés grâce à la tenacité, à la foi de certains hommes qui n'ont jamais baissé les bras devant les « C'est impossible » de leur époque. Que l'on songe à Copernic (« C'est impossible que la terre tourne tourne autour du soleil »), à Christophe Colomb (« C'est impossible de trouver les Indes en passant par cet océan »), aux constructeurs des premiers chemins de fer (« Il est impossible que le corps humain subisse des vitesses de plus de 70 km/h sans graves conséquences »), à Cyrus West Field fondateur du premier câble sous-marin reliant les USA à l'Europe en 1858 et qui dut affronter lui aussi toutes sortes de contradictions… La liste pourrait s'allonger encore si l'on pense à Pasteur, Eiffel, Einstein, Newton, Volt, Cook, Magellan, les frères lumières, Louis Blériot… et aussi à tant d'artistes.
Un pas dans la foi
Le point commun de toutes ces personnes c'est qu'elles ont pressenti qu'une découverte scientifique, artistique ou technologique majeure était à portée de main. Elles n'ont pas baissé les bras devant les connaissances limitées de leur époque mais ont au contraire cherché à les compléter, à les approfondir. Elles les ont prises comme hypothèses et non comme conclusion. Dans un sens, elle ont eu ce qu'en théologie l'on appelle la foi : une certitude de ce que l'on ne peut voir mais dont on a suffisament d'éléments pour distinguer les contours. Ce qui provoque un saut dans le vide ou une fuite en avant un peu comme Abraham qui partit « sans savoir où il allait » (Heb 11,8).
Autre point commun de tous ces gens : leur obstination les a rendu capables de fédérer des énergies. Avec le temps les chantres du « c'est impossible » ont fini par laisser la place à des suiveurs, des personnes qui se sont laissées contaminer par la foi du leader et qui ont elles aussi investi leur vie. Et c'est ainsi par exemple que le Nouveau Monde a pu entraîner une telle mobilisation de l'Europe qui y a envoyé sans cesse de nouveaux bateaux, de nouveaux hommes, de nouvelles technologies…
Enfin, last but not least, les échecs ne les ont pas démontivés. Même si des expéditions se sont perdues corps et biens (par exemple la mort du capitaine Scott qui partait découvrir le pôle sud), même si des bateaux ne sont pas revenus, même si les premiers vaccins n'ont pas fonctionné, même si les premiers avions se sont écrasés, les esprits n'en ont été que plus stimulés. Tous ont dû passer par des échecs, des remises en causes, des désillusions… certains ont passé de longues années avant de toucher au but (il aura fallu plus de dix ans et trois tentativres avant que ne réussisse la pose du premier câble sous-marin de Cyrus Field).
Un nouveau Nouveau Monde
Et Curiosity dans tout cela ? Et si Curiosity était le point de départ d'une nouvelle aventure de l'humanité ? Et si Mars représentait un des prochains grands défis de notre bonne vielle terre ? Un peu comme le Nouveau monde pour la fin du Moyen Age. Bien sûr, il se trouve toujours des personnes pour dire « C'est impossible », « C'est trop loin », « Comment y vivre ? » et ils ont peut-être raison. Ceci dit, l'histoire ne nous a-t-elle pas montré que ce qui paraît impossible à une époque devient banale à une autre ? Après tout, qui pouvait prévoir à la Renaissance que nous arriverions à relier Lisbonne à Salvador da Bahia en neuf heures d'avion ? Qui pouvait prévoir à cette époque qu'avec l'utilisation des ondes nous nous parlerions d'un bout à l'autre de la planète ? L'humanité a réussi des prouesses qui paraissaient impossible à son époque.
Aussi, n'est-ce pas en avançant vers ce grand défi de Mars que nous découvrirons au fil du temps les nouvelles technologies nous permettant d'affronter ce qui aujourd'hui paraît irréalisable ?
Et si nous arrivions à provoquer des réactions chimiques qui permettent de rendre un jour l'atmosphère d'une planète respirable et de modifier sa température ? Et si les avancées dans le domaine de la nutrition et de l'agriculture nous permettaient de cultiver des choses sur place ? Et si le développement des fusées commençait à permettre un flux continu de voyages sur cette planète ? Un flux qui serait au début aussi faible que les premières caravelles de Christophe Colomb mais qui serait en même temps tout aussi prometteur pour l'avenir.
Une foi qui prime sur l'expérience
Tout cela peut paraître bien lointain et même un peu rêveur. Et pourtant cela ne correspont-il pas à notre humanité que de se regrouper autour d'un objetif commun, un but qui fédère les énergies comme la colonisation du Nouveau Monde le fit pour son époque ? L'homme a besoin de défis, de passion pour avancer. Avec l'espace infini qui s'ouvre devant nous, voici sans doute de quoi réveiller des énergies endormies. Pour cela nous avons besoin d'un pas dans la foi, d'un pas qui prime sur l'expérience actuelle. Comme le dit la belle devise d'HEC il s'agit d'« apprendre à oser ». Oser au-delà des limites du possible visible à un instant t.
Déjà des hommes osent et se sont déjà mis au travail. La société privée Mars One, digne héritière de la fameuse Compagnie des Indes orientales, a lancé cette année un processus de sélection d'une quinzaine de personnes (plus de deux cent mille se sont présentés à travers le monde) pour une première expédition martienne prévue en 2023. Première expédition qui sera dans l'histoire l'expédition où l'esprit de sacrifice sera porté à son maximum. Car c'est un « one way ticket » que l'on offre aux participants. Il n'y aura pas de retour, il s'agit de commencer à voir comment l'homme pourra vivre de façon définitive sur Mars. Il s'agit de poser les premières fondations pour permettre les futures constructions. Il s'agit peut-être aussi d'être prêt à vivre les premiers échecs. Pour beaucoup « C'est absolument fou », et de fait c'est peut-être aussi fou que suivre Christophe Colomb avec ses chimères d'une « autre route des Indes ». Nul doute que ces nouveaux pionniers auront à affronter d'énormes difficultés. Mais nul doute aussi qu'ils vivront une des plus belles aventures de l'humanité.
Lorsque Dieu a dit aux premiers hommes « Remplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1,28), de quelle terre parlait-il ? Uniquement de notre « bonne vieille terre » ou des autres terres que ses fils les hommes n'allaient pas manquer de découvrir ? Déplacant un peu les bornes de l'éxégèse traditionnelle, peut-on y inclure les différentes terres du système solaire et même celles en dehors? Et si une de ces premières nouvelles « terres » à soumettre se nommait Mars ?
[1] Source : Laurie Leshin, du Rensselaer Polytechnic Institute, dans l'État de New York, coauteur des travaux parus en ligne jeudi 26 septembre 2013 dans la revue américaine Science