De Pascal Girard. « L’éveil de Mademoiselle Prim » est roman de Natalia Sanmartin Fenollera qui retrace l'histoire d'une jeune femme, mademoiselle Prim, embauchée comme bibliothécaire dans le village de Saint Irénée d'Arnois. Un village qui semble être hors du temps et de l'espace, où la priorité est donnée aux choses simples de la vie et où le bien commun prédomine. Au contact de ses villageois et de leur mode de vie, Mademoiselle Prim va peu à peu s'ouvrir à une réalité nouvelle.
D’abord l’école. Les enfants y apprennent par cœur les passages des anciens en grec ou en latin. Ils apprennent aussi à se battre à la manière des chevaliers, à contempler une icône pendant des heures et à la reproduire de mémoire (de cœur ?) de la manière la plus fine qui soit. Ils y apprennent à discuter sans fin d’un point de controverse. Ils y apprennent également la réplique…
A tel point que, rapidement, l’on se perd dans ce village de Saint Irénée, dans le temps et dans l’espace.
La bibliothécaire ou l’institutrice doivent surtout n’avoir aucun diplôme universitaire…
Les journées de travail ne durent que quelques heures (3 à 4 h) et surtout vous devez avoir un stock de merveilleuses pâtisseries et autres gourmandises pour faire bon accueil à tous les visiteurs que vous ne manquerez pas de recevoir dans la journée.
Les femmes ont leur club féministe, non pas pour revendiquer l’égalité des sexes mais pour cultiver leur différence avec le sexe opposé (surtout complémentaire).
Pas de baba cool, pas de hippies ou d’utopie, simplement des habitants désireux de vrai, de beau et de bon. Indulgents et attentionnés les uns envers les autres, ils n’hésitent pas à monter un kiosque de journaux pour donner du travail à un homme instable. Leur manière de vivre sobrement et en relation les libère en partie des contraintes économiques. Dans le village, une bonne place est faite aux livres, surtout aux vieux livres oubliés, notamment à la littérature anglaise du 19ème siècle.
Nous cheminons tout au long du roman avec Mademoiselle Prim, demoiselle surdiplômée, bardée de certitudes sur le modernisme et l’autonomie. Pourtant, contre toute attente, elle va rejoindre les habitants de ce village. Elle va s’affronter aux autres dans de nombreuses joutes philosophiques. Celles qu’elle attend et redoute le plus sont celles avec son patron, l’homme au fauteuil, mystérieux au possible, chaleureux mais exigeant, intellectuel converti qui va la pousser dans ses retranchements les plus secrets.
Il y a aussi cette abbaye de moines, avec un vieux moine, le pater, guide spirituel des habitants. On dit qu’il possède un pied dans ce monde et un pied dans l’autre monde, qu’il a un regard surnaturel… toutes ces « balivernes » qui ont le don d’énerver la jeune bibliothécaire au plus haut degré. Ira-t-elle le visiter ?
Mademoiselle Prim va vivre une transformation progressive au contact de tous ces personnages. Ils vont l’interpeller et la pousser à l’exigence. Ils vont lui apprendre à devenir chercheuse de vérité et qu’il s’agit de veiller, de veiller sur les enfants, de veiller sur l’esprit d’enfance de chacun, de veiller à ne pas succomber aux faux dieux de notre époque, de veiller à faire vivre l’esprit, à s’ouvrir les yeux au bon, au beau, au vrai, à la poésie, à la peinture, à la musique et à ce qui est le plus subtil et le plus compliqué : l’harmonie des cœurs, l’amitié, l’amour entre les personnes, la vie du couple.
Cette histoire a des similitudes, sur un autre registre, avec le film « Matrix » dans lequel Neo est douloureusement arraché du monde virtuel dans lequel il est plongé depuis sa conception pour arriver dans la vraie vie grâce à des passeurs. Comme le disent les enfants du roman, elle prend source au seul conte de fées réel qui existe : la rédemption.
Chacun pourra vérifier sa propre vie au regard des personnages : est-il Mademoiselle Prim du début ? Mademoiselle Prim de la fin ? L’homme au fauteuil ? Les enfants ? Les villageois ? Le Pater ? Le seul fait d'accepter de se laisser prendre par ce conte de fées un peu spécial, peut révéler quelque chose de son état intérieur.
Pascal Girard