Gab, dessinateur à Paris, vient de passer deux jours auprès de ses amis de Charlie Hebdo. Sa manière à lui de faire face, son hommage, sa réponse, outre le fait d'être là, auprès des survivants, c'est de continuer à être ce qu'il est : un dessinateur d'humour. Voici deux de ses dessins qu'il vient de nous envoyer.
Dessins publiés en exclusivité.
Peut-on vraiment rire de tout ? Avec notre état d’esprit européen souvent imprégné de cynisme, on s’est habitué aux dessins de presse ou aux commentaires qui sont considérées comme des insultes ou des blasphèmes par des centaines de millions de personnes d’autres cultures, et qui sont blessées dans leur coeur. Peut-on provoquer et ensuite s’étonner d’être attaqué ? Si j’insulte quotidiennement mon voisin durant des années et qu’il me frappe, suis-je une victime ? Cette question, qui semble scandaleuse dans l’émotion actuelle, n’est-elle pas légitime ?
Cher Monsieur, Votre question est légitime et pas sans rapport avec l'évènement: une provocation dangereuse (consciente) qui a abouti a de telles extrémités. C'est d'ailleurs ce que montre le dessin de Gab: un homme armé de crayons insulte un terroriste armé d'une Kalaschnikof. Mais il montre surtout que même si le crayon peut devenir une arme puissante, il y a tout de même une immense disproportion entre ce qu'est un dessinateur, sa fragilité, l'aspect dérisoir de son travail et l'énormité inconcevable des moyens employés pour les faire taire.
A propos de la réalité de l'offense, deux jeunes musulmans sont venus me voir ce matin pour me demander comment je voyais les choses qui se passent en France. Ils viennent de Syrie et souffrent de la situation de leur pays. Ils sont musulmans, pratiquants et ont été confronté aux mêmes phénomènes de violence. Ils n'adhèrent pas à l'humour de Charlie, qu'ils juge effectivement offensant, mais dans une certaine indifférence. Mais voici ce qu'ils ont dit en substance: "nous ne pouvons pas faire nôtres de telles actions. Le Coran dit que lorsque tu es en guerre, tu ne dois tuer ni les enfants, ni les femmes ni les vieillards, ni les civils, mais seulement les soldats. Ces gens sont entrés en guerre, mais ils ne représentent pas l'islam. Quant à nous, nous ne reconnaissons pas cela. Nous ne voulons même pas dire "désolé pour ce qui est passé", car ce n'est pas nous et nous n'avons rien à voir avec cela." Ils ont terminé en disant: "Je suis Charlie."
Cher Laurent,
Je me permet cette remarque qui n’est pas forcément directement en réponse.
Sans parler de la question de la caricature qui peut être aussi violence, je parlerai de l’humour. Avant hier un ami m’écrivait de Syrie et me disait que devant la situation qui s’empire sans vision d’espoir et l’oublie international : « On essaye de prendre ça avec humour ». Car je crois qu’il désamorce de la violence, il donne un brin de vie dans l’absurde et l’incompréhensible. Non, aucune violence même en réponse n’a de raison d’être. Nous en avons trop d’exemples. L’humour donne la distance qui peut conduire de l’adsurde au mystère.
J’en profite pour laisser les derniers mots à cet ami qui vit un si grand drame chez lui : « C’est dommage que tu ne puisses pas venir nous voir ; tu pourrais te rendre compte de la solidarité des gens entre eux, de leur gentillesse et de leur attention les uns envers les autres dans les transports ». Que la douceur nous gagne!
Charlie Hebdo n’a pas épargné tout ce qui fait l’objet de notre foi, tant s’en faut. Le Christ, la Vierge ou la Trinité ont fait l’objet de dessins féroces. Je suis tenté de dire: Jésus en a vu d’autres, il a partagé la condition humaine jusqu’à la dérision et la croix, donc cela n’est pas surprenant. Et puis, c’est peut-être nous qui n’avons pas su témoigner comme il faut, en réduisant l’Amour à des lois. Qu’en penser ?