Gab, comment réagir face à un tel événement ?
Pour ma part, j’ai pris une journée pour recevoir l’événement et être avec les survivants, une autre pour dessiner, pour essayer de faire face, et puis ce soir, je suis allé chercher mes enfants à l’école. Demain je recommence à travailler.
Mais il ne faut rien lâcher, continuer. J’ai été moi aussi black-listé. Je vais continuer avec mes copains dessinateurs à critiquer comme on a envie de le faire quand on a des choses qui ne nous plaisent pas. Je ne changerai rien, je ne lâcherai rien. Je n’ai aucune raison d’avoir peur de ces gens-là. J’ai des amis musulmans et de toutes les confessions et on est tous au courant de la différence entre un islamiste radical et un vrai musulman.
Je n'irai pas non plus manifester. Je ne supporte pas cette récupération et de les voir s'étriper pour savoir qui a le droit d'avoir de l'émotion ou pas. J'ai passé la nuit à l'Hôtel-Dieu avec les survivants, à aucun moment nous avons parlé de politique.
Qui étaient les personnes qui ont été tuées ?
Cabu et Wolinsky étaient des pères fondateurs. Quand ils sont arrivés, il n’y avait pas de dessinateurs. Ils ont défriché le terrain à partir de 1961 et 1962. Ensuite, Charb et Tignous, ce sont des gars de la deuxième génération. Tignous a commencé dans les années 80, et Charb dans les années 90. Et puis il y a la troisième génération à partir de 2000. Mais quand ils sont arrivés, dans les années 60, on ne leur fonçait pas dessus avec des kalachnikovs. Au pire, ils se faisaient casser la figure par une bande de parachutistes parce qu’ils avaient ri sur le général de Gaulle ou un truc comme ça, mais ça s’arrêtait là.
Que représente cet événement pour le milieu ?
C’est une perte immense. J’ai autant de compassion pour le policier qui s’est fait descendre et pour la secrétaire qui est morte, mais il y a une perte monumentale. Cabu était un homme prodigieusement fin, doux et intelligent avec une vraie capacité d’analyse, un grand amateur de Jazz. Il passait à la radio chez Laure Alder tous les jeudis. Il avait une passion pour l’architecture et l’histoire de Paris. Bernard Tignous est un type très fin, très drôle, très cultivé. Honoré était un grand lecteur, un cruciverbiste, un grand créateur de rébus. On a flingué des bibliothèques vivantes et ça, c’est au-delà des copains : il y a du savoir qui ne se transmettra plus, il y a des échanges qui ne se feront plus. Ça appauvrit le milieu du dessin de presse, car c’était des gens brillants. On n’arrive pas à la tête d’un journal pour rien. Ils avaient des têtes bien faites et des choses à dire, un avis qui comptait. C’est épouvantable. Au-delà de la mort physique de la personne.
Comment te situes-tu par rapport aux journalistes du Charlie Hebdo ?
Je n’ai jamais travaillé avec eux, mais avec Siné, pendant deux ans et demi, bien après son départ de Charlie Hebdo. Je connaissais très bien Tignous et Honoré, c'était de vrais amis. Wolinsky et Cabu je les connaissais bien. Cabu m’a remis des prix et on était jury ensemble, avec Charb aussi, à des festivals de dessin de presse. C'était vraiment des bons copains et pas seulement des connaissances.
Je dessine dans la même mouvance qu’eux. Je suis dans ce milieu anarcho-libertaire. Mais je suis dans la bande de ceux qui ne font pas de dessin politique, je n’y prends pas de plaisir. Charlie Hebdo faisait énormément de dessin politique, puisque c’était sa raison d’être depuis sa naissance en 1992. Mais dans les années 60, avec Reiser, par exemple, il n’y avait pas que de la politique. Reiser, qui était un très grand, faisait de l’humour de gens lambda. Pour moi, dessiner les hommes politiques, c’est déjà les flatter. Et ça m'em… de travailler pour savoir comment faire la tête de Marine Le Pen ou de Mélanchon. Je préfère le dessin humoristique que la caricature qui ne m’intéresse pas du tout. C’est un petit détail sur mon travail de dessinateur qui diffère de l’approche du Charlie Hebdo.
Quel est pour toi le sens de ce métier ?
Le rire est ce qui nous différencie des animaux, qui ne savent pas rire d’eux-mêmes. C’est très profond, cela touche à l’âme. On a touché quelque chose qu’on ne peut pas toucher : la légèreté de ton, la finesse du rire, le degré du rire, ça peut être un rire qui soulage ou un rire intelligent, ça peut être aussi un rire grossier ou un rire qui libère. Quand on rit de bon cœur, il y a une libération, il y a une dimension physique et une sorte de nettoyage de l’âme, tu te soulages des choses compliquées. C’est aussi quand tu ne peux plus expliquer les choses, ça sort, tu ne peux pas le contrôler, ça va loin, ça appelle des choses très intimes.
Il y a un truc sur terre avec ça. L’humour c’est « rions avant de mourir ! » car on ne sait pas comment ça va finir, mais ce qu’on peut prendre on le prend. On ne peut pas attendre bêtement.
Et le dessinateur a une position par rapport à ça. C’est une bonne arme pour dédramatiser, un bon outil. Je suis persuadé que les psychiatres devraient le conseiller. Le psychologue qui oublierait de dire à un patient de rire ferait une faute professionnelle.
On peut pourtant penser qu'il y a une limite au rire…
Quelqu’un se demandait un jour à partir de combien de temps on pouvait commencer à rire d’un phénomène dramatique de société. Est-ce à partir du premier jour, du deuxième, au bout d’une heure ? D’autres disent qu’on n’a pas le droit de rire de certaines choses. Pour ma part, je pense qu’on peut rire de tout et tout de suite, c’est mon opinion et je ne me fais pas toujours des copains en disant ça. Parce qu’il y a de la compassion dans le rire. C’est un effort de faire rire les gens, c’est un effort de se donner du mal, de se creuser la caboche pour trouver une bonne vanne, c’est du travail. Donc c’est déjà une forme de respect.
Si je ne mets pas de limite au rire, je le fais dans le respect des personnes. Dans un festival de dessin, des personnes handicapées viennent souvent me voir et ont envie de se marrer. Un jour, un type s’est pointé avec son véhicule, il n’avait que son pouce et ses yeux pour discuter avec moi et je lui ai demandé si ça allait le covoiturage. Il s’est poilé ! Après on a déconné, mais le type qui était derrière et qui l’accompagnait, lui, ne rigolait pas du tout, c’était l’infirmier. J’ai regardé l’handicapé et lui ai dit : « Il est toujours pas marrant comme ça ? » Et l’autre m’envoyait des messages par écran en me disant : « Il ne me comprend pas… ». C’est toujours les personnes qui ne sont pas concernées qui se prennent des tronches de requiem pour te dire que ce que tu as fait n’était pas drôle, mais généralement, la personne à laquelle c’est arrivé a plus d’humour et de recul. Car quand il n’y a plus rien, il n’y a plus que le rire.
Mais il faut que ce soit bien fait. Évidemment, il ne faut pas rire n’importe comment. C’est un outil qu’il faut manipuler avec précision et avec soin. Faire rire les gens, c’est un vrai métier. Je suis un gros lecteur, je suis un gros fan d’humour sous toutes ses formes, je regarde tout, je ne me freine pas, ne serait-ce que pour pouvoir juger sur pièce. Ça affine le jugement et la qualité de ma restitution du rire. C’est-à-dire que quand je fais un dessin drôle, je sais où je vais, c’est une partition, je ne me trompe pas. Quand je fais une bulle, une case, un personnage, je ne me trompe pas. Je sais maintenant, j’ai 45 ans, je n’ai pas toujours dessiné comme ça, j’ai tâtonné comme tout le monde, on est pas bon du jour au lendemain, on le devient, on se bonifie, en en faisant tous les jours.
Pourquoi alors cela suscite-t-il une telle haine ?
Parce qu’on est dans une génération du symbole, du Logos, dans le raccourci pour faire passer des idées. Donc on tombe sur des gens qui sont aussi bêtes que leurs idées sont limitées, et qui fonctionnent en système binaire : « C’est bien, c’est pas bien, j’aime, j’aime pas, c’est blanc ou c’est noir ». Dans ce contexte, le dessin qui fait mouche dans un journal est beaucoup plus dangereux qu’un grand discours dans lequel tout le monde s’endort. Ils ont parfaitement conscience de cela, donc en tapant fort sur des gens qui véhiculent une idée de liberté absolue, ils gagnent alors sur deux tableaux : ils rassurent leur propres ouailles et de plus, ils font peur à tout le monde. Il faut donc voir l’aspect symbolique de la chose plus que la philosophie. Il n’y a pas de philosophie là-dedans. Il y a juste du symbole : c’est-à-dire on va taper sur un dessinateur, mais c’est fragile un dessinateur. D’autre part, il y a énormément de gens qui critiquent Charlie Hebdo sans l’avoir jamais ouvert ni lu.
Et en même temps, il y a cette force qu’ont les dessinateurs de faire rire, et le rire, c’est très énervant quand tu es en train de casser la gueule de quelqu’un et qu’il continue à rire au lieu de te prendre au tragique, il n’y a rien de pire, il ne respecte pas la peur que tu veux lui insuffler. Charlie Hebdo était monté très haut dans ces enchères.
Mais, jutstement, est-ce qu’un journal satirique ne peut pas aller trop loin dans cette surenchère ?
Mais c’est sa fonction ! Le Monde, Paris Match ou le Parisien ont des fonctions informatives et d’opinion, avec une certaine retenue. La presse satirique n’en a par définition aucune et cette liberté doit exister, elle est réservée à ces journaux-là. C'est un privilège qu'on a en France et qui existe très peu ailleurs. C’est un déversoir humoristique, mais le fond est toujours sain.
Je dessine beaucoup pour des journaux satiriques. Quand je dessine dans d’autres journaux, en revanche, je sais très bien jusqu’où je dois aller. Ce n’est pas une censure, mais un accord tacite entre la rédaction dans laquelle j’accepte de travailler et moi. Je n’ai pas à choquer un lectorat qui n’achète pas le journal dans l’idée de trouver ce genre de choses. S’ils veulent être choqués ou rire, ils vont acheter Charlie Hebdo. Donc un journal satirique n’a aucune raison de se freiner et de se limiter, il a cette liberté de ton qui lui est propre. Comme disait Coluche, « Si la télé ne vous plaît pas, il y a un bouton pour l’éteindre », et bien c’est pareil, personne n’oblige personne à acheter Charlie Hebdo.
Suite à ceux déjà publiés hier, les dessins sont ceux que Gab a dessinés le jeudi 8 janvier (ndlr).
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Je ne trouve pas que les dessinateurs de Charlie Hebdo ont mis très en avant la finesse et la délicatesse de leurs sentiments… Pour ma part ces personnes ont semé la haine et elles ont récolté la haine. La liberté d’expression ne consiste pas à blesser et à salir comme ils le faisaient. Les personnes qui se disent libertaires pour moi, salissent la liberté qui consiste à choisir le bien et l’amour de l’autre. Bien souvent les dessinateurs de Charlie Hebdo laissaient parler leurs point de vue idéologique sans avoir l’honnêteté de vérifier s’ils étaient dans la vérité. Il est profondément triste qu’ils aient été assassinés, c’est un acte extrêmement violent qui n’a pas de légitimité dans un monde réglé par la justice. Cela dit il faut savoir qu’en Islam le blasphème est puni de mort. Asia Bibi qui est accusée faussement de blasphème et d’autres en savent quelque chose. Donc la violence fait partie de l’Islam attention à ne pas être naïf sur ce point là (la charia n’est pas tendre et ce n’est pas la loi des terroristes c’est la loi de l’Islam normal). Charlie Hebdo salissait la foi chrétienne aussi. On peut dire qu’ils sciaient la branche sur laquelle ils étaient assis car c’est dans une société où l’on reconnaît Dieu comme Père Bon que nous sommes frères et que donc on peut se respecter. Je prie pour toutes les victimes des attentats, ce qui s’est passé est affreux c’est vrai mais de là à en faire des martyrs…. Des victimes oui. Je suis un peu inquiète de la manière dont Charlie Hebdo va répandre ses idées. Les évêques ont dit que de cet affreux évènement il y a moyen de faire germer un bien c’est une Espérance gardons là bien fermement et prions pour que la pais, la charité grandissent de tous les côtés.
« Je voudrais aujourd’hui redire toute l’estime et le profond respect que je porte aux croyants musulmans (…). Poursuivant l’œuvre entreprise par mon prédécesseur, le pape Jean-Paul II, je souhaite donc vivement que les relations confiantes qui se sont développées entre chrétiens et musulmans depuis de nombreuses années, non seulement se poursuivent, mais se développent dans un esprit de dialogue sincère et respectueux, fondé sur une connaissance réciproque toujours plus vraie qui, avec joie, reconnaît les valeurs religieuses que nous avons en commun et qui, avec loyauté, respecte les différences (…). Le dialogue inter-religieux et interculturel est une nécessité pour bâtir ensemble le monde de paix et de fraternité ardemment souhaité par tous les hommes de bonne volonté. En ce domaine, nos contemporains attendent de nous un témoignage éloquent pour montrer à tous la valeur de la dimension religieuse de l’existence (…). Comme le déclarait le pape Jean-Paul II dans son discours mémorable aux jeunes, à Casablanca au Maroc, « le respect et le dialogue requièrent la réciprocité dans tous les domaines, surtout en ce qui concerne les libertés fondamentales et plus particulièrement la liberté religieuse. Ils favorisent la paix et l’entente entre les peuples » (…). Dans la situation que connaît le monde aujourd’hui, il est impératif que chrétiens et musulmans s’engagent ensemble pour faire face aux nombreux défis qui se présentent à l’humanité, notamment pour ce qui concerne la défense et la promotion de la dignité de l’être humain ainsi que des droits qui en découlent. Alors que grandissent les menaces contre l’homme et contre la paix, en reconnaissant le caractère central de la personne, et, en travaillant avec persévérance pour que sa vie soit toujours respectée, chrétiens et musulmans manifestent leur obéissance au Créateur, qui veut que tous vivent dans la dignité qu’il leur a donnée. »
DISCOURS DU PAPE BENOÎT XVI AUX AMBASSADEURS DE 21 PAYS À MAJORITÉ MUSULMANE PRÈS LE SAINT-SIÈGE ET À QUELQUES REPRÉSENTANTS DES COMMUNAUTÉS MUSULMANES EN Italie Salle des Suisses, Castelgandolfo Lundi 25 septembre 2006
« L’empereur Manuel était déjà à cette époque vassal de l’empire ottoman. Il ne pouvait donc absolument pas attaquer les musulmans. Mais il pouvait poser des questions vivantes dans le dialogue intellectuel. Seulement la communication politique, de nos jours, est ainsi faite qu’elle ne permet pas de comprendre ce type de contextes subtils. »
Benoît XVI, Lumière du monde, livre d’entretiens avec Peter Seewald, Bayard, novembre 2010,
Désolé, je ne suis pas Charlie… Certes cet attentat est terrible et ignoble ainsi que cette succession de meurtres qui s’ensuivent. Il n’y a rien à redire là-dessus. Je compatis avec les familles de ces personnes.
Par contre, faire de ces dessinateurs des héros, alors qu’ils n’ont cessé de blesser des personnes par leurs dessins, les offensant sans limites, prônant comme idéal le libertinisme et la vulgarité, c’est autre chose.
D’autre part, que l’on arrête de nous prendre pour des imbéciles en disant: « Surtout pas d’amalgame (entre ces attentats et l’Islam) « . N’y a-t-il vraiment aucun lien entre le coran et ces actes accomplis « pour venger Mahomet »? Recense-t-on de tels crimes de la part des catholiques? Les bien pensants de tout bord qui dominent très largement en France font de ce leitmotiv du « non amalgame » le terreau pour l’arrivée au pouvoir d’un président musulman comme l’a prédit Houellebecq. En tout cas, tout sauf un catholique.
On m’accusera de mettre de l’huile sur le feu, d’opposer deux groupes, deux civilisations? Mais le feu a déjà consumé de l’intérieur les habitants de notre pays depuis longtemps en nous faisant croire qu’on est « tous ensemble » dans cette mentalité unique qui dit oui à tout, oui à l’islam… tout sauf nos racines chrétiennes!
En effet, rien n’est dit sur les satires de Charlie sur l’Eglise catholique, et du pape en particulier. C’est que cela est « normal », admis et de bon ton. D’autant plus que les cathos, eux, ne vont pas sortir les kalachnikovs… alors, à quoi bon se priver.
Bref, ne devons-nous pas nous questionner plus profondément sur la raison de ces meurtres horribles?
Si nous ne nous interrogeons pas sérieusement sur notre identité française, d’autres le feront à notre place et ont bien commencé à le faire depuis des années… Je ne suis pas Charlie, je ne suis pas cet esprit frondeur qui ne respecte rien ni personne et qui affirme le vide comme idéal. Nous voyons bien que comme la nature a horreur du vide, le plus « fort » prend nécessairement la place. Et ce « plus fort » réagit lorsqu’on lui marche sur les pieds, lui. Nous récoltons le fruit de ce que nous avons semé. Que reste-t-il à ces esprits libertaires et surtout que laissent-il derrière eux? Un champ de ruines où se lève le drapeau avec un croissant avec la bénédiction du président et de son peuple qui l’a élu…
Les médias nous montrent maintenant un peuple uni. Mais uni autour de quoi, autour de qui, de Qui ?!!
La France n’est pas Charlie. Elle a des racines chrétiennes. Si elle s’obstine à vouloir être Charlie, voilà un aperçu de notre futur qui va s’aggraver encore. A moins que l’on ouvre les yeux…