Peter Falk, qui a interprété pendant trente-cinq ans l’inspecteur Columbo à la télévision, est décédé le 23 juin à Beverly Hills.
Avec l’acteur new-yorkais Peter Falk, qui vient de nous quitter à l’âge de quatre-vingt-trois ans, c’est une page des souvenirs télévisuels des baby-boomers qui se tourne : le personnage qui en a fait une star du petit écran, l’inspecteur Columbo, a accompagné nos soirées de 1968 à 2003.
Peter Falk
La série – dont les premières séquences furent tournées par Steven Spielberg – aurait pourtant pu lasser rapidement car la trame des films était généralement la même : la clef de l’énigme étant dévoilée au téléspectateur dès le début, le seul suspense concernait la manière dont le « lieut’nant » allait la trouver. Il tournait autour des suspects comme une mouche autour du miel (« Juste encore une chose… »), semblait perdu dans son enquête, faisait l’âne pour avoir du foin et fondait sur sa proie dès que celle-ci, anesthésiée par la fausse candeur de l’enquêteur, finissait par commettre l’erreur de trop.
S’il a été inusable pendant trente-cinq ans sans nous lasser, c’est parce le personnage était tellement décalé par rapport aux tendances dominantes de la société américaine – et de la nôtre – qu’il a pu en traverser toutes les intempéries en restant crédible. On se rappelle son imperméable élimé, sa cravate verte, son archaïque Peugeot 403 décapotable, sa fidélité envers une femme dont il rapportait les propos pleins de bon sens mais qui n’était jamais montrée, son absence totale d’ambition : tout le contraire du JR de Dallas. Ce qui passionnait ses contemporains (le look, l’argent, la réussite) ne l’intéressait pas. Il jouait même de son handicap (l’acteur avait perdu un œil pendant son enfance) : « Trois yeux valent mieux qu’un », déclare-t-il à un suspect prié d’observer un objet avec lui. Dans le tourbillon du XXème siècle finissant, il incarnait une stabilité rassurante.
Dans une certaine mesure, Columbo révélait la personnalité réelle de Falk : l’imperméable fatigué était le sien, il avait exigé de le mettre parce que c’était grotesque en Californie ; il avait craqué pour la vieille voiture française parce qu’elle avait un pneu à plat, « comme moi », disait-il. L’affabilité du lieutenant était celle de l’acteur, souvent entouré d’amis dans sa résidence hollywoodienne.
L’extrême finesse de son jeu, les inventions toujours renouvelées de son approche des personnages captivaient rapidement le spectateur. L’empathie dont il faisait preuve pour ses semblables – jusqu’à être « collant » – prenait à rebrousse-poil l’individualisme ambiant. Ses méthodes brouillonnes étaient aux antipodes des Experts : le feeling génial l’emportait nettement sur la technique. Souvent confronté aux puissants de ce monde dans ses enquêtes, Columbo rappelait la primauté rassurante de la justice. D’origine russe et juive par son père , tchèque par sa mère, jouant un personnage au nom à consonance italienne, Peter Falk incarnait l’Amérique du melting pot. Dans une société peu portée sur l’autodérision, il lui renvoyait une image critique mais optimiste d’elle même, et elle lui en était reconnaissante.
Comme d’autres acteurs victimes de leur succès, Peter Falk avait fini par s’identifier à ce personnage gentil et caricatural, alors qu’il avait une « gueule », façon Robert Mitchum. La série télévisée, diffusée dans le monde entier, éclipsa une carrière cinématographique pourtant fort honorable : cité deux fois aux oscars du second rôle dès le début des années 60, il tourna avec Hitchcock, Cassavetes, Stanley Pollack, Franck Capra. Pour Les ailes du désir (1987) de Wim Wenders, il improvisa deux heures de monologue de façon magistrale, sans suivre l’ébauche du scénario que lui avait préparé le réalisateur.
Ironie du sort, le lieutenant de police à qui rien n’échappait finit par perdre la mémoire, victime de la maladie d’Alzheimer. Le tournage du dernier Columbo, en 2003, fut laborieux. « Il ne se souvient même plus de son rôle le plus célèbre », disait son médecin en 2008 .