C’est une véritable tempête qui s’abat en ce moment au pays de sa Très Gracieuse Majesté et qui menace d’emporter sous peu son premier ministre conservateur James Cameron élu il y a tout juste 15 mois. Au cœur du scandale une affaire d’écoutes téléphonique qui mettent en jeu plusieurs acteurs de poids de la société britannique : les médias, la police et les hommes politiques.
cc-by Gene Hunt
Ce Watergate anglais a déjà englouti un journal (le tabloïd « News of the World » fermé début juillet) et menace de sérieusement déstabiliser le groupe à qui il appartenait (l’empire des médias News Corp[1] de Rupert Murdoch). Les deux plus haut gradés de Scotland Yard viennent de démissionner et l’affaire commence à atteindre le premier ministre qui a du écourter sa tournée africaine pour aller s’expliquer le 19 juillet à la Chambre des Communes lors d’une session houleuse. BBC News ne cesse de commenter en boucle les derniers déroulements du scandale dont on ne sait où et quand il s’arrêtera.
Le déroulement des faits est complexe et implique beaucoup de personnes dont une grosse partie a été arrêtée.
Le premier ministre James Cameron est accusé d’avoir été beaucoup trop proche du groupe de Rupert Murdoch, ayant par exemple embauché un certain Andy Coulson comme directeur de la communication et porte parole, un homme fortement lié au tabloïd dont il avait été le rédacteur en chef.[2] Il vient de reconnaitre d’ailleurs lors de l’audition aux Communes avoir fait cette erreur, présentant des excuses partielles.
Ce qui est surtout reproché au premier ministre c’est une collusion avec le monde des médias, collusion qui aurait entrainé la caution au plus haut niveau de méthodes plutôt « shocking » de la part de News of the World : écoutes téléphoniques de stars, de membres de la famille royale et même de victimes d’enlèvement. Le FBI vient d’ailleurs d’ouvrir une enquête pour voir dans quelle mesure le News of the World aurait aussi piraté les lignes téléphoniques de proches de victimes des attentats du 11 septembre. Le tout afin de produire le fameux « scoop » qui fasse vendre.
Apparemment comme les hommes politiques ont besoin des médias pour être élus alors de fortes pressions auraient été exercées sur la police afin que les enquêtes sur de telles pratiques (qui incluraient aussi la corruption de fonctionnaires de police pour soustraire des informations) soient classées sans suite ou ne fasse aucune vague. D’où la démission spectaculaire des deux plus hautes autorités de la Metropolitain Police.
Rupert Murdoch CC-BY Word Economic Forum
Si l’on réfléchit un peu sur ces évènements on ne peut qu’être surpris de voir qu’ils constituent l’actualisation en direct du vieux principe machiavélien : « la fin justifie les moyens ». Pour les médias la fin (gagner de l’argent par les ventes d’images ou journaux) semble justifier des méthodes peu recommandables : écoutes téléphoniques illégales, violation systématique de la vie privée, embauche de détectives pour infiltrer différents milieux, corruption de fonctionnaires de police et d’employés de la famille royale…
Pour les hommes politiques la fin (arriver et se maintenir au pouvoir) semble consister dans le fait de s’assurer le soutien des moyens de communications et ce jusqu’à couvrir les mauvaises pratiques des tabloïds en faisant pression sur la Police.
Bref les deux mondes (pouvoir et médias) semblent inextricablement liés. James Cameron n’a-t-il pas rencontré plus de 26 fois Rebekah Brooks, la directrice de News International du groupe Murdoch et ex « reine des tabloïds »[3] ? Lors de vacances, ballades et même dîner de Noël… ? Il y a donc un clair problème de collusion entre deux mondes qui sans s’ignorer, ne sont cependant pas appelés à vivre une telle proximité.
Plus largement ce scandale pose aussi le problème du fameux « droit à l’information ». Doit-on au nom de ce droit tout savoir sur les victimes d’enlèvement et connaitre le détail de leur supplice ? Avons-nous le droit de connaitre la dernière blessure à la jambe d’un prince, si tel ou tel couple de star a fait chambre à part pendant une nuit de voyage de noce, si telle autre vient de recevoir la nouvelle d’une maladie ? Est-il indispensable d’écouter presque en direct les plaintes d’une femme qui vient de perdre son mari lors d’un attentat ? Avons-nous un besoin vital de ce type d’information ? Serons-nous lésés dans nos droits et notre dignité si un jour un acteur fameux décide de ne pas révéler un échec, une difficulté, une forte épreuve dans sa vie ?
Il semble que tant qu’un large public sera prêt à payer pour ce type d’information, d’autres feront tout pour leur procurer cette « drogue médiatique ». La multiplication des titres de la « presse people » montre que la curiosité fait vendre. Et dès que de l’argent est en jeu alors l’éthique parait reléguée aux oubliettes.
Il reste à espérer que nous puissions à terme tracer une frontière assez nette entre le fameux « droit à l’information » et le « voyeurisme » (qui une violation des droits de la personne). Des lois existent mais semblent pour le moment ne pas empêcher les médias de passer outre. Même un procès perdu, des amendes et des publications d’excuses en première page ne semblent pas les faire reculer.
Dans sa dernière encyclique Benoit XVI rappelait que « le sens et la finalité des médias doivent être recherchés sur une base anthropologique » [4]. Plus loin il ajoute que les médias « peuvent constituer une aide puissante pour faire grandir la communion de la famille humaine et l’ethos des sociétés, quand ils deviennent des instruments de promotion de la participation de tous à la recherche commune de ce qui est juste » (idem). Il est donc souhaitable que les médias puissent passer de cette apparente subordination au calcul économique à une authentique promotion de la dignité de la personne.
Ceci dit, comme pour la drogue, il faut bien reconnaitre que cette petite révolution anthropologique doit être aussi traitée « en amont ». C'est-à-dire au niveau des consommateurs. Tant que des personnes seront prêtes à donner de l’argent pour satisfaire une curiosité mal placée il semble vain de vouloir enrayer le problème. De nouveau laissons la parole à Benoit XVI qui nous rappelle « qu’acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral. Le consommateur a donc une responsabilité sociale précise ». [5]
[1] Empire médiatique pesant 33 milliards de Dollars et regroupant entre autres The Sun (GB) mais aussi la chaine nord américaine FOX News, les studios de cinéma 20th Century Fox, le New York post, le très sérieux Wall Sreet journal…
[2]Rédacteur en chef de News of the world de 2003 à 2007 soit pendant la durée présumée des écoutes illégales. Il a du démissionner suite au scandale. Arrêté le 8 juillet il a été remis en liberté sous caution.
[3] Elle fut rédactrice en chef de News of the World de 2000 à 2003 au moment où comment la pratique des écoutes illégales. Depuis 2009 à la tête de News International qui regroupe tous les titres de presse Britannique détenus par Rupert Murdoch.
La position de David Cameron pourrait-être d'autant plus fragile que son gouvernement ne détient la majorité aux Communes que parce qu'il a formé une coalition avec le parti libéral-démocrate, de tendance centriste. Son leader Nick Clegg est étrangement silencieux, sans doute parce que les "lib-dem" sont au plus bas dans les sondages et qu'il n'a aucun interet à ouvrir une crise.
Ce concubinage dangereux entre politique et médias n'épargne pas la France. Déja trés lié à Martin Bouygues (propriètaire de TF 1) et à Serge Dassault (propriétaire du Figaro), Nicolas Sarkozy a été soupçonné de vouloir mettre les médias publics en tutelle en nommant lui-même leurs responsables. Cette pratique avait été supprimée en 1981, sans abolir tous les liens de dépendance envers l'éxécutif il est vrai. En 2010, la Cour des Comptes avait épinglé les dépenses excessives de l'Elysée pour faire réaliser des sondages d'opinion . L'opinion, précisément, est trés versatile : on se souvient qu'en 1991, le président George Bush père était sensé avoir perdu plusieurs millions de voix pour avoir regardé sa montre pendant un débat télévisé l'opposant à Bill Clinton. Devant une telle puissance de l'image, comment ne pas être tenté de mettre tous les atouts dans son jeu ?
Il est hors de doute que la collusion entre pouvoir et media a atteint des sommets : en soi, cela ne peut
étonner ! C'est le contraire qui eût étonné …..Déjà, en son temps, Pier Giorgio Frassati avait un avis négatif sur la nécessité de publier dans La Stampa fondée par son père, des nouvelles qui ne pouvaient, selon lui, que susciter la curiosité maladive des "gens".
La règle d'or des medias, c'est précisément L'OR, le pognon, et le fait de le ramasser dans les poubelles ne leur pose aucun problème.
Il n' y a strictement aucune éthique médiatique puisque le pilier de la "démocratie", c'est la liberté de la Presse ! En théorie, çà se défend très bien, puisque ce serait un moyen d'éviter le fait du Prince et de donner ainsi au bon populo ( le "démos" du mot démographie) la possibilité de peser sur les décisions de ce dernier.
Mais qui soutiendra que les règles de nos démocraties représentent autre chose que la possibilté pour une oligarchie de mener le bon populo où il sera le mieux, même s'il ne le sait pas ?
La question aujourd'hui c'est celle du droit à l'Information telle que vous la posez, et vous y répondez en livrant la seule réponse qui saute aux yeux : les "gens" en veulent ! Là encore, nul besoin de s'étonner, c'est la répétition du "Panem et circenses" ("du pain et des jeux") que l'Empire romain décadent avait déjà trouvé tout seul pour satisfaire la masse….
Ceci dit, il est étonnant de constater l'absence de liberté intérieure du Peuple de Dieu qui devrait, sur ce terrain-là comme sur certains autres …., poser des choix quelque peu différents : on en est encore bien loin et on ne peut qu'espérer que l'appel de Benoît XVI sera entendu !