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Témoignage exclusif du Père Jacques Mourad

Quelques semaines après sa détention par Daech, le P. Mourad à accepté de répondre à nos questions au sujet du Moyen-Orient.

P. Mourad, nous avons tous été touchés par le récit de votre captivité et par votre témoignage. Après quelques semaines de libération, quel regard portez vous sur cette expérience ?

Aujourd'hui, lorsque je tourne mon regard vers ces mois passés en captivité, il n'y a qu'un seul qualificatif qui pourrait exprimer ce que je ressens vis-à-vis de cette expérience : c'était un temps de grâce. Ma prison était pour moi une occasion de vivre l'expérience de la liberté sacrée. Une liberté qui va au-delà de toute sorte de liberté que nous vivons en temps ordinaire et dans les conditions normales. Ces sentiments me consolent puisque je me suis uni à tous ceux qui ont perdu leur liberté, d'une manière ou d'une autre, à savoir le peuple syrien.

Au cœur de ma prison, cette liberté a puisé sa dimension sacrée dans la présence du Christ lui-même, vers qui je me suis tourné entièrement. Ce temps de détention s'est transformé en un temps de rencontre intime et continue avec le Christ. C'est ce qui m'a libéré malgré les portes fermées de la prison. C'est ce qui m'a permis d'ouvrir mon cœur au Christ, de le laisser entrer, de s'y installer et d'y régner.

Ma prison, après le huitième jour, est devenue ce cénacle, à l'exemple de celui qui a rassemblé les disciples suite à la passion et à la mort de Jésus et qui a accueilli le Christ ressuscité venant leur annoncer une vie nouvelle en leur disant : "Ma paix soit avec vous".

Depuis 5 ans, la Syrie vit un véritable martyr. On en parle beaucoup en Occident. Qu’aurait à gagner l’Occident à se mettre à l’écoute de l’Orient ?

En effet, presque tous les pays occidentaux ont une responsabilité dans ce qui se passe au Moyen-Orient et surtout en Syrie. Chaque pays a le droit d’acquérir ses intérêts politiques et économiques à condition que cela ne touche pas à l’indépendance des autres pays et à la vie du peuple, car la vie est sacrée. Je m’arrête devant le cas des gens qui essayent de fuir la guerre mais trouvent la mort noyés dans la mer. Cette scène se répète depuis quelques années et aucun pays n’est touché. Je me demande où sont ces pays qui défendent la liberté de l’individu ! Où sont les Etats-Unis et les Nations Unies, portes-parole de la liberté et des droits de l’homme? Où est l’Eglise devant toute cette misère et ce génocide ?

La persécution des chrétiens en Orient se répète depuis bien avant la guerre en Syrie. Je me demande pourquoi ils sont obligés d’être victimes de l’avidité de l’Occident.

Que diriez-vous à l’Occident, qui commence à lutter sur son propre territoire contre Daech ?

Le huitième jour de ma captivité, un chef de l’état islamique vient nous voir et lors de notre entretien, il m’accuse, en tant que chrétien, de faire partie des croisades. Alors là, je lui ai fait comprendre que les chrétiens de l’Orient n’ont aucun lien avec les croisades et qu’ils sont des “Nassaras” (terme inscrit dans le Coran qui désigne les chrétiens au temps de Mahomet) et qu’il faut les distinguer des chrétiens de l’Occident. Cette paix exige un chemin de réconciliation.

Une immense anxiété est née en Occident fasse à la confrontation soudaine avec l’islam, qu’il soit fondamentaliste ou non. D’un côté on voit un effacement complice, de l’autre un rejet. Que direz-vous aux à nos lecteurs et aux occidentaux ?

Le grand péché que l’Occident a fait face à ce développement politique et militaire des terroristes c’est d’avoir, selon les rapports des Nations Unies, refusé tout dialogue avec eux. Je dis que la violence n’engendre que la violence. Pour cela, aux gouvernements occidentaux, je dis que si vous continuez cette guerre contre les pays de l’Islam, le terrorisme se propagera dans le monde entier. C’est à vous de décider l’avenir de vos rapports avec l’Islam. Un autre conseil aux gouvernements occidentaux c’est de favoriser davantage le rôle de l’Eglise dans le dialogue avec l’Islam.

Une autre question à laquelle je pense : l'Occident a-t-il jamais demandé à l'Orient qu'est-ce qui lui convient ?

Aux lecteurs je dirais : "N'aie pas peur". Je vous rappelle ce mot du Christ qui s'avère important pour nous aujourd'hui encore. Evitez d'avoir des préjugés sur l'autre différent, regardez-le avec le cœur et non pas avec les yeux, c'est-à-dire regardez-le d'une façon personnelle et non pas à travers le regard des médias ou celui des responsables politiques. La vérité est un acte relationnel. Vous les peuples, vous êtes responsables des options politiques de vos pays.

Est-ce une aide véritable, de la part des pays occidentaux, de vider l’Orient pour laisser se remodeler les frontières sur place ? A votre avis, comment ces pays peuvent-il aider véritablement l’Orient à préserver la beauté de son identité et les chrétiens, les Yazidis et les musulmans à rester chez eux en Syrie ?

Notre appel aujourd’hui est d’arrêter la guerre en Syrie et protéger les syriens sans distinguer leur religion, leur identité. Et la première aide que le monde peut faire c’est à partir de plusieurs axes :

  • Arrêter de vendre les armes,
  • Bloquer les relations économiques et diplomatiques avec la Turquie, l’Arabie Saoudite et Qatar
  • Arrêter de transporter le pétrole et le phosphate d’ISIS qui passent par la Turquie. 

Cela permet non seulement d'aider à arrêter la guerre mais aussi de travailler sur une solution complète par rapport à tous les problèmes qui concernent le Moyen Orient.

Je sais bien que c’est un rêve qui se réalisera à long terme. Mais aujourd’hui on est devant des gens qui meurent tous les jours des bombardements, des explosions, des massacres dans les prisons ou de noyade en mer. Alors l’appel au secours de ces gens n’est pas destiné aux chrétiens seulement mais à tout le peuple syrien. Il est certain que mon appel s'adresse d'abord aux chrétiens puisque je suis curé responsable d’une Communauté Chrétienne. Personne ne souhaite vider le Moyen Orient des chrétiens mais on ne peut pas empêcher les gens de fuir la mort sous prétexte qu’on est le peuple originaire de cette région et qu’il n’est pas permis de le vider des chrétiens. Si notre premier souci est de protéger les chrétiens du Moyen Orient il faut les aider à trouver un pays de refuge paisible afin qu’ils puissent y retourner le jour où il y aura la paix.

Malgré les souffrances interminables, y a-t-il encore de l’espérance en Orient ?

L’Evangélisation a commencé à partir de nos pays. Si les Apôtres et les premiers chrétiens ne portaient pas l’Espérance, cette Evangélisation n’aurait pas pu atteindre le monde entier. Cette Espérance que je partage avec tous les chrétiens, est un principe et une réalité qui ne s’éteignent jamais.

Je m’adresse à vous les occidentaux et je vous appelle à aider les minorités qui restent, à immigrer afin de conserver leur héritage ; sinon, les chrétiens seront les martyrs du XXIème siècle. Je fais cet appel au nom de beaucoup de familles pauvres qui ont tout perdu et sont des déplacés. Les riches de la Syrie ont pu s’échapper et s’installer dans différents pays avec leur fortune.

Ce n’est pas dans l’intérêt des chrétiens de quitter leur pays, leur racine, leur terrain, leur histoire, et leur héritage, mais le danger et la peur de perdre leur vie les poussent à rechercher la sécurité et à rechercher l'émigration. Notre Espérance est que la guerre finisse un jour et que la région retrouve la paix ; alors là, nous retournerons dans nos pays et nous rebâtirons notre héritage et restaureront notre avenir, c’est la force de l’Espérance. La colombe de Noé viendra en portant une branche d’olivier qui était déjà planté par nous…

Propos recueillis par Josette Khoury

Lire au sujet du P. Mourad sur Terre de compassion.
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