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Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque)

Le discours de Thérèse Hargot décoiffe, ou tout du moins ne laisse pas indifférent. Qu’il s’agisse des parents, des éducateurs, des jeunes adolescents, des couples aguerris tout comme des fiancés et jeunes mariés à peine lancés dans l’aventure. Son message n’a rien d’un manuel, ni de recettes, astuces ou encore normes pour « couple sexuellement épanoui» ; il constitue plutôt une invitation pour chacune et chacun à réfléchir, à chercher, à revisiter ce qui le fait lui-même pour mieux entrer en relation avec l’autre.


© Benjamin Chelly

Philosophe et sexologue, la jeune femme d’origine belge tient un blog, intervient en milieu scolaire autour de l'éducation affective, relationnelle et sexuelle, mène une activité de consultation et formation, et vient de publier un ouvrage Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque). Associant franc-parler, humour et bon sens, elle lance des questions fortes et interpellantes.

En conférence face à des couples fiancés, Thèrèse Hargot n’hésite pas à déconstruire le « happy end » du mariage, associé à une réussite personnelle ou sociale après la réussite des études, des voyages, du travail, de l’achat immobilier. Elle n’hésite pas non plus à faire remarquer que la préparation au mariage est souvent vécue comme un temps très matériel, où la liste des « check » est longue entre traiteur, DJ, photographe, cortège et on en passe.

En réalité, avec un brin de provocation et de bienveillance à la fois, la philosophe cherche à accompagner les fiancés vers d’autres questions fondamentales, celles qui concernent le rapport au corps, le sien et celui de l’autre. Les fiancés sont ainsi sensibilisés à l’ajustement nécessaire entre paroles et gestes, entre préparation du cœur et de l’intelligence et préparation des corps.

La sexualité est présentée comme touchant toutes les dimensions de la personne humaine avec un fil conducteur: « La dynamique de couple permet-elle de devenir pleinement homme, pleinement femme; permet-elle de renforcer l'amour des époux? ».

La conférence avance et le résumé de l’invitation passée sur son blog ne se dément pas : il y est effectivement question de sexe, de plaisir, de désir, de bébé, de baisers, de caresse, de douleur, de frustration, de colère, de cris, de pleurs, de rires, d’un amour qui engage les corps intensément, qui se vit par et au travers du corps. «Comment choisir la manière de s’aimer charnellement pour que cet amour dure éternellement et fidèlement? » : la question lancée aux jeunes couples n’est pas sans éveiller des interrogations, des émotions confuses comme face à une montagne à gravir, mais suscite avant tout une volonté d’en savoir plus.

L’ouvrage Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) continue d’explorer ce thème et lance des pistes. Thérèse Hargot promeut la connaissance de son corps et l’émerveillement devant son fonctionnement comme préalables indispensables à l’entrée en relation avec l’autre. La libération sexuelle véritable est étudiée à travers le prisme de l’identité : « Qui suis-je ? », « Qu’est ce que j’observe ? », « Qu’est ce que je ressens ? ». Ce message est transmis en dressant le portrait d’adolescents, jeunes hommes et femmes, se revendiquant d’un discours sexuel libéré mais dont l’expérience sexuelle est pourtant asservie. Alors, en quoi cette expérience pourrait-elle se libérer ?

• Se libérer d’abord de l’idée d’un couple fusion plutôt que communion. Le couple est devenu refuge et cristallise les attentes de l’un et de l’autre. « On espère y être consolé, guéri, sauvé ». Et dès le plus jeune âge, car « être avec, c’est exister socialement ». Alors que la sexualité est réduite à un rapport mécanique, les sentiments, eux, sont exacerbés et donnent la mesure du couple, le font avancer, puis vaciller dès lors que les sentiments sont consommés, car s’engager fait peur. Une personne ne peut entrer en relation uniquement par son corps et son cœur, mais en sollicitant également son intellect.

• Se libérer de l’addiction de la pornographie ensuite. La sexologue innove en montrant comment la pornographie «résume la sexualité à une prouesse technique où il faudrait être performant pour réussir à jouir». Par conséquent, l’angoisse de ne pas être à la hauteur se diffuse aujourd’hui dès l’adolescence. Face à cela, l’une des urgences de la formation en milieu scolaire est de permettre aux jeunes de découvrir qui ils sont, de se centrer sur leurs fondamentaux, avant de se confronter au corps : « La maturité serait au contraire cette capacité à choisir et à vivre librement ce que je pense être bien pour moi ».

• Se libérer par ailleurs de la contraception hormonale. La liberté trouve ses racines dans le savoir, dans la connaissance du fonctionnement de son propre corps pour maîtriser sa fécondité. L’enjeu est ainsi de rendre aux femmes et hommes ce savoir et cette maîtrise, de les former pour apprendre à se faire confiance. « Le corps, ce n’est pas une enveloppe dont on peut se défaire un jour, pour changer de peau ». La liberté ne viendrait pas du fait de disposer de son corps en permanence et sans risque d’enfant, mais s’affinerait au contraire en écoutant les périodes de désirs, en formulant ses envies, en verbalisant ses doutes et inquiétudes. Après avoir vécu à Bruxelles et New York, la philosophe détaille son propos en montrant qu’en France, l’apprentissage de l’affirmation de soi est trop souvent déconnecté des sens « L’homme agit plutôt en fonction de ce qu’il convient de faire plutôt qu’en fonction de ce qu’il veut faire ».

• Enfin, se libérer de la peur de l’enfant. Pour cette maman de trois enfants, l’enfant est aujourd’hui envisagé comme une menace pour la carrière, pour l’indépendance. Dans cette perception, la liberté est uniquement considérée sous l’angle matériel, celui de pouvoir exister socialement et d’être aisé financièrement. « Etre libre s’impose comme l’objectif d’une vie : devenir indépendant pour être exempt de lien qui limiterait ses loisirs et le déploiement de sa réalisation personnelle. (…) Pour être quelqu’un, il faut faire : tout ce qui entrave l’activité économique devient à combattre, au nom de la réussite professionnelle».

C’est une toute autre liberté que propose la jeune femme, en reliant cette question à celle des identités homme-femme et à leurs différences. L’auteur s’applique à montrer comment l’affirmation de la masculinité et de la féminité participe de la pleine liberté.

Sans vouloir revenir à une époque antérieure, Thérèse Hargot appelle à une relation homme-femme l’un avec l’autre et non pas l’un contre l’autre. Pour elle, le rapport du pouvoir entre hommes et femmes a été déstabilisé au cours de la libération sexuelle. La revendication de l’égalité a abouti à une relation homme-femme pensée en termes de pouvoir et de lutte. « Plus l’homme se sent menacé dans sa virilité, et moins il a d’espace pour le dire et l’exprimer». Thérèse Hargot alerte dès lors sur la déresponsabilisation des hommes vis-à-vis de la contraception et de l’avortement. La femme exerce et assume seule la possibilité ne pas avoir ou de ne pas garder un enfant. « C’est entre ses mains que revient la décision de le garder ou pas. Le désir seul de la femme peut laisser vivre ou rejeter ce petit être en devenir ».

En s’appuyant sur son expérience d’accompagnatrice de couples, l’auteur dresse ainsi le portrait de femmes actuellement sur-responsabilisées mais aussi fragmentées, tiraillées. Tiraillées entre obligations familiales et professionnelles. Pour dépasser ces constats, c’est une vision unifiée de la femme qui est avancée dans l’ouvrage, c'est-à-dire une vision qui considère femme, épouse, mère comme une seule et même personne. Pour cela, d’autres parcours de femmes pourraient être valorisés, qui ne soient pas que basés sur la performance, l’efficacité, la productivité. Alors que les femmes ont jusqu’ici cherché à modifier leur propre corps pour s’adapter aux institutions, d’autres voies sont possibles dans le mouvement inverse, vers l’adaptation des institutions aux femmes – recrutement, horaires, déroulé de la carrière selon les périodes de la vie. Cette unification se vit à travers l’accueil, la connaissance de son corps et le partage avec l’autre.

En conclusion, tout l’enjeu du message de Thérèse Hargot est de montrer l’importance du rôle de l’éducateur pour « faire émerger le je » : qu’est ce que je veux. L’autonomisation de l’enfant vers l’âge adulte nécessite un réel accompagnement pour apprendre à discerner, à unifier corps, cœur et esprit et pouvoir énoncer clairement son désaccord, ses désirs, ses craintes. « Etre parent, c’est aimer son enfant pour qu’il nous quitte. L’amour n’est pas un discours, il s’incarne dans le quotidien. (…) L’éducation à la vie et à l’amour ne devrait pas être considérée par les parents comme un sujet à part et sensible, mais plutôt comme une question naturelle ». C’est ici toute une philosophie qui est proposée, un art de vivre qui s’apprend et se cultive, puis se transmet.

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1 Commentaire

  1. bekeôgle

    Comme c'est rafraîchissant, pour un vieux couple qui peut dire qu'il se réalise quotidiennement par la fidélité à un engagement pourtant bien ancien, de voir que surgissent d'une jeunesse joyeuse et bien enracinée, des promesses de voir la beauté du mariage entre un homme et une femme continuer à être célébrée.

    Et ainsi , de se dire que le bonheur qu'il a éprouvé et qu'il espère se vérifier jusqu'au terme de la séparation obligée, ce bonheur, il est au cœur de cette jeunesse qui en renouvelle les expressions. 

    Tant il est vrai que les conditions de la vie changent et nécessitent une analyse pertinente qui dispose des acquis et des nouveautés propres à chaque époque .

    Ici, on peut sans risque de se tromper, considérer que Thérèse Hargot possède parfaitement le corpus doctrinal développé de façon si magistrale par JP II.

    Et ce n'est pas le moindre des paradoxes que de voir une jeune femme , jolie , intelligente , mère de famille , n'ayant pas la langue dans sa poche , développer avec autant de pertinence les différents aspects de la vie personnelle , conjugale , sexuelle, qui attire très naturellement les jeunes et qui fait l'objet d'un black-out quasi complet dans l'Eglise de France.

    Quand on voit le nombre de fois où a été évoqué JP II lors du synode sur la Famille    (à mon avis , pas une seule fois par les "occidentaux") on reste bluffé par la joie de vivre de cette jeune femme qui devrait être invitée à donner des cours , suivis sur internet, à tous les séminaristes de France et de Navarre qui n'ont sur ces sujets majeurs qu'une soupe indigeste voire vomitive …..

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