A deux mois d’intervalle, sont décédés Otto de Habsbourg-Lorraine (4 juillet 2011) et son frère Felix (6 septembre 2011), ravivant le souvenir du destin de la famille impériale d’Autriche-Hongrie. Leur père, Charles Ier, dernier empereur d’Autriche, roi apostolique de Hongrie et roi de Bohême a été béatifié en 2004 par Jean-Paul II. Quant au procès de béatification de leur mère, l’impératrice Zita de Bourbon-Parme, il est en cours.
Otto de Habsbourg CC BY Nvpswitzerland
Le bienheureux Charles Ier de Habsbourg est arrivé sur le trône en 1916, au milieu de la grande guerre. Il a tout de suite réduit le train de vie de la cour pour fonder le premier ministère des affaires sociales du monde dans l’esprit de l’enseignement social de l’Eglise. Cela lui valut le titre « d’empereur du peuple » et les quolibets de l’aristocratie. Dès son accès au trône, il cherche par tous les moyens à arrêter la guerre et tente de signer un traité de paix. Il prend des risques pour cela, par l’intermédiaire de ses beaux-frères, engagés dans l’armée belge, et fait des propositions concrètes de compromis au gouvernement français. Cela lui coûta son trône car Clémenceau publia ses lettres demandant la paix, le décrédibilisant complètement auprès de l’Allemagne et des peuples du Danube.
Le traité de Saint-Germain-en-Laye, signé le 10 septembre 1919, scelle le démantèlement de l’empire austro-hongrois. Le « peuple du Danube » est éclaté en une dizaine « d’états – nations » créés de façon artificielle et opportuniste par les alliés. L’empereur Charles Ier dénonce l’absurdité de la création de la Yougoslavie ou de la Tchécoslovaquie et prédit en 1919 déjà que ces échafaudages éclateront dans la souffrance. Les alliés s’appuient par ailleurs sur des extrémistes nationalistes ou bolcheviques pour diviser l’empire austro-hongrois, ce qui ouvrit une brèche pour les idéologues nazis en 1938 puis communistes après 1945.
Après la guerre, Charles Ier est trahi par ses proches collaborateurs – en Autriche par les leaders du parti chrétien-social et en Hongrie par son régent Horthy –. Il doit donc prendre le chemin de l’exil d’abord en Suisse, puis sur l’île de Madère. Les Habsbourg perdent la nationalité autrichienne, la famille est bannie et spoliée de tous ses biens, y compris privés. Ils survivent avec leurs huit enfants en vendant leurs derniers bijoux, mais ils se font escroquer et connaissent une précarité croissante. Charles et Zita vivent ces événements avec la dignité et la sérénité qu’ils puisent dans la prière commune et leur amour de l’eucharistie. En 1922, Charles, très affaibli, succombe à trente-quatre ans d’une simple bronchite. Suite à sa mort, les alliés autorisent sa veuve et ses enfants à revenir sur le continent, en Espagne puis en Belgique. Otto, le fils aîné, est sacré comme l’héritier de l’empire d’Autriche-Hongrie, il fait des études de science politique à Louvain et se bat vigoureusement pour l’indépendance des peuples de Bohême et d’Autriche face à la montée du national-socialisme pangermanique. Il se bat d’abord auprès de ses compatriotes et écrit au président autrichien Schuschnigg pour lui faire savoir qu’il est disposé à intervenir personnellement pour lever la population et l’armée contre le IIIème Reich. Il intervient ensuite auprès des gouvernements européens mais malgré ses efforts, aucun pays occidental ne lève le petit doigt au moment de l’Anschluss. Hitler lance un mandat d’arrêt contre la famille pour haute trahison et demande leur exécution immédiate. Lors de la prise de la Belgique, il fait bombarder leur résidence, qu’ils venaient de fuir, heureusement. Zita s’enfuit avec toute sa famille en France, d’où elle obtient in extremis, le 17 juin 1940, un visa pour les USA, grâce au consul du Portugal. Là encore, la plus grande précarité les attend. L’archiduc Felix, le troisième frère, organise la résistance et s’engage dans le 101e bataillon d’infanterie US appelé aussi « Free Austria Bataillon ». Otto, prétendant au trône, rencontre le président Roosevelt juste avant Yalta pour plaider la cause des peuples du Danube et le supplier de ne pas les abandonner à la dictature de Staline. En vain. Il rencontre ensuite plusieurs fois Churchill pour éviter que l’Autriche ne passe aux mains des communistes. Dès que les alliés arrivent en Autriche, il prend le bateau et s’installe dans son pays occupé où il collabore à la réorganisation sociale et politique. Il œuvre tant et plus pour permettre la reconnaissance du gouvernement autrichien et préserver l’indépendance.
Félix de Habsbourg CC BY Howcheng
Malgré leur engagement politique et militaire pour la libération de l’Autriche, Otto et les siens doivent fuir à nouveau dès que le gouvernement autrichien reprend ses fonctions en 1946. La nationalité leur est refusée et la famille est à nouveau bannie du sol autrichien et interdite de visite, tant que ses membres ne renient pas toute appartenance à la famille impériale. Charles de Gaulle interviendra en leur faveur pour qu’ils obtiennent un passeport monégasque et puissent s’exiler.
Jusqu’en 2000, la situation reste très tendue avec la république d’Autriche qui réitère plusieurs fois les interdictions et le bannissement à l’encontre des Habsbourg. La gauche s’offusque régulièrement chaque fois qu’un journal étranger mentionne une particule de noblesse des Habsbourg, ce qui reste encore aujourd’hui interdit sur le sol autrichien. Finalement, Otto de Habsbourg obtient la nationalité allemande et s’engage comme député au parlement européen au côté de la CSU (chrétiens-sociaux). Comme citoyen allemand, il est autorisé à visiter brièvement la Hongrie, puis l’Autriche. Il travaille à plusieurs projets européens dans un esprit fédéraliste et chrétien. Il apporte l’expérience de l’empire austro-hongrois unissant des peuples si divers sans fusion ni centralisme bureaucratique. Il défend par exemple les langues nationales – parlant couramment huit langues européennes – il résiste au nivellement anglophone et fonde même un groupe de députés favorables à l’usage du français au parlement. Il n’oublie pas ses origines lorraines et le château de Lunéville où il a célébré son mariage et ses noces d’or.
Alors que l’euro semble aujourd’hui l’unique ciment et l’unique souci d’une construction européenne bureaucratisée, la famille du bienheureux Charles Ier, qui utilisait à table chaque jour de la semaine une langue européenne différente, est un signe d’espérance. Les Habsbourg donnent un exemple d’unité au-delà des états, mais pas au détriment des peuples. L’identité d’un peuple est la conscience commune de l’idéal, des richesses de son patrimoine, de son histoire et de ses personnalités. Nier l’histoire et l’identité, fait de l’état une structure anonyme et déshumanisante dont l’unité ne repose plus que sur l’idéologie, les structures, ou la soif individuelle et collective de domination.
L’année de la chute du mur de Berlin, l’impératrice Zita meurt, exilée, en Suisse. Elle a gardé toute sa vie les habits de deuil, s’est consacrée comme oblate de l’abbaye Sainte-Cécile de Solesmes où vécurent ses trois sœurs et sa cousine germaine et passa le reste de son temps à soutenir sa famille et à servir son pays. La république autrichienne accepte, à titre exceptionnel et gracieux, que Zita de Bourbon-Parme soit enterrée en Autriche et que son fils, l’archiduc Félix de Habsbourg puisse assister à l’enterrement, mais son séjour est très limité et strictement surveillé. Sept ans plus tard, en 1996, Félix revient en Autriche profitant de l’abrogation des contrôles frontaliers en Europe, la police autrichienne interpelle immédiatement l’octogénaire et le chasse encore une fois hors des frontières ! Dernier survivant de la fratrie, il s’éteint à Mexico le 6 septembre dernier.
L’enterrement d’Otto de Habsbourg, le 16 juillet dernier, dans la cathédrale St Stephan de Vienne, présidé par le cardinal Schönborn en présence d’une foule nombreuse est sans doute un signe d’une réconciliation nationale et d’une reconnaissance posthume du dévouement de la famille de Charles et Zita envers les peuples de l’Europe centrale.
Photo sur la page d'accueil : Armoiries d'Autriche CC BY-SA Adelbrecht
Ce n'est sans doute pas Charles qui a scéllé le sort de la monarchie des Habsbourg, mais son prédécésseur François Joseph en engageant l'Autriche-Hongrie dans la guerre aux côtés de l'Allemagne. Toutes les monarchies de langue allemande (l'empire allemand était une fédération de royaumes) seront englouties dans la défaite. Cela étant, des historiens conviennent aujourd'hui que le démantelement intégral de l' Empire des Habsbourg fut une erreur : non seulement il portait en germe le futur conflit yougoslave, comme le souligne l'article, mais il laissait l'Europe centrale éclatée à la merci de l'Allemagne et de la Russie.
Clémenceau a dit de la maison d'Autriche-Hongrie : "Je hais tous ces rois, ces princes et ces archiducs, je les hais comme on haïssait ce tyran de Louis XVI. Entre eux et nous, c'est une question de vie ou de mort." (cité par Jean des Cars).
Charles Ier n'avait aucune chance face à une haine aussi fanatique et aussi aveugle. Même au prix de milliers ou de millions de morts, le gouvernement de la France voulait la destruction de l'empire austro-hongrois quoi qu'il arrive, et donc ne voulait pas entendre parler d'une paix séparée.
Merci à "poine" pour sa mise au point: elle rééquilibre tout de même la légéreté du terme "erreur" du précédent commentaire pour qualifier ce qui a été une véritable tragédie. La haine qu'ont inspiré nos princes n'a eu d'égal que le traitement tout à fait disproportionné que leur ont réservé les différents gouvernements européens d'alors opposés par principe à un système monarchique soutenu par la foi ardente de tout un peuple. Charles Ier était un agneau, il aurait mieux valu un autre François-Joseph pour tenir tête à la violence irresponsable des Clémenceau et consorts d'un côté et à l'hégémonique Kaiser de l'autre. L'histoire ne se juge pas à la louche…