Il y a ternte ans cette année disparaissait le poète, l’auteur, le compositeur et interprète bien-aimé et chanté par beaucoup de Français : Georges Brassens. Une occasion de se remémorer un peu la vie et l’œuvre de l’homme à la guitare et à la pipe, l’homme pudique et pourtant au verbe parfois déroutant.
Georges naît en 1921 dans un quartier populaire du port méditerranéen de Sète ; sa mère Elvira, d’origine italienne, est une catholique fervente ; Jean-Louis, le père, maçon de profession, est un homme paisible et libre-penseur, qui n’imposa jamais sa façon de penser à son fils. De cela, Georges lui en fut toujours reconnaissant. La passion pour la chanson réunit ces deux parents aux caractères opposés : à la maison, le phonographe fait souvent tourner le répertoire de Tino Rossi, et de bien d’autres chanteurs de l’époque.
Au collège, Georges découvre la poésie grâce à son professeur, Alphonse Bonnafé, surnommé « le boxeur ». Une complicité va naître entre l’élève qui soumet ses petits essais de poème et le professeur qui encourage et invite à plus de rigueur : « On était des brutes, on s’est mis à aimer (les) poètes. (…) Et puis grâce à ce prof, je me suis ouvert à quelque chose de grand. Alors, j’ai voulu devenir poète… »
George a toujours eu, malgré tout, davantage le goût des « 400 coups » que des études ; avec trois copains, pour « rouler un peu les mécaniques », dit son meilleur ami Victor Laville, ils décident de voler des bijoux. L’affaire tourne vite court et ils sont découverts. Cet évènement fera le tour de la ville et marquera un tournant décisif dans la vie de Georges qu’il relatera surtout dans deux de ses chansons :
La mauvaise réputation : souffrance de sentir le poids du jugement des gens de son entourage.
Les quatre bacheliers qui raconte l’attitude de son père venant le chercher au poste de police : sans aucun reproche, il salut le « petit » et lui offre une cigarette.
…Pour offrir aux filles des fleurs
Sans vergogne
Nous nous fîmes un peu voleurs
Un peu voleurs
Les sycophantes du pays
Sans vergogne
Les gendarmes nous ont trahis
Nous ont trahis
Et l'on vit quatre bacheliers
Sans vergogne
Qu'on emmène, les mains lié's
Les mains lié's
On fit venir à la prison
Sans vergogne
Les parents des mauvais garçons
Mauvais garçons
Les trois premiers pères, les trois
Sans vergogne
En perdirent tout leur sang-froid
Tout leur sang-froid
Comme un seul ils ont déclaré
Sans vergogne
Qu'on les avait déshonorés
Déshonorés
Comme un seul ont dit : "C'est fini
Sans vergogne
Fils indigne, je te reni'
Je te reni' "
Le quatrième des parents
Sans vergogne
C'était le plus gros, le plus grand
Le plus grand
Quant il vint chercher son voleur
Sans vergogne
On s'attendait à un malheur
A un malheur…
Dans le silence on l'entendit
Sans vergogne
Qui lui disait: "Bonjour, petit
Bonjour, petit"
On le vit, on le croirait pas
Sans vergogne
Lui tendre sa blague à tabac
Blague à tabac
Je ne sais pas s'il eut raison
Sans vergogne
D'agir d'une telle façon
Telle façon
Mais je sais qu'un enfant perdu
Sans vergogne
A de la corde de pendu
De pendu
A de la chance quand il a
Sans vergogne
Un père de ce tonneau-là
Ce tonneau-là
Et si les chrétiens du pays
Sans vergogne
Jugent que cet homme a failli
Homme a failli
ça laisse à penser que, pour eux
Sans vergogne
L'Evangile, c'est de l'hébreu
C'est de l'hébreu
Suite à ces évènements, Georges se réfugie à Paris, pour écrire et proposer ses chansons. Là, il fait la rencontre de Jeanne Planche, personnage important dans la vie du jeune Brassens puisqu’elle l’hébergera pendant plus d’une dizaine d’années : Jeanne et Marcel, son époux, vivent, impasse Florimont, à Paris, dans une masure sans confort, sans eau courante ; malgré les conditions de vie très précaires, en pleine occupation allemande, celui qui passe y est reçu chaleureusement ; dans la cour, tous les animaux abandonnés ou malades y sont choyés. Dans cet univers que Georges aime, il lit, écrit, compose… ; il se plaît chez Jeanne et Marcel car règne là « une espèce de bohème ; c’était un espèce d’ilôt, un peu déshérité (…) On vivait là une espèce de dénuement qui n’était pas de la pauvreté, un dénuement qui était assez riche ; moi je faisais les chansons, je les chantais avec eux ; ça allait : Ce dont on manquait, ne manquait pas ! »
Jeanne
Chez Jeanne, la Jeanne
Son auberge est ouverte
Aux gens sans feu ni lieu
On pourrait l'appeler
L'auberge du bon Dieu
S'il n'en existait déjà une
La dernière où l'on peut entrer
Sans frapper, sans montrer
Patte blanche.
Chez Jeanne la Jeanne,
On est n'importe qui
On vient n'importe quand
Et comme par miracle
Par enchantement,
On fait partie de la famille
Dans son coeur, en se poussant un peu,
Reste encore une
Petite place.
La Jeanne, la Jeanne
Elle est pauvre et sa table
Est souvent mal servie
Mais le peu qu'on y trouve
Assouvit pour la vie
Par la façon qu'elle le donne,
Son pain ressemble à du gâteau
Et son eau à du vin comme deux
Gouttes d'eau.
La Jeanne, la Jeanne,
On la paie quand on peut
Des prix mirobolants
Un baiser sur son front
Ou sur ses cheveux blancs
Un semblant d'accord de guitare,
L'adresse d'un chat échaudé
Ou d'un chien tout crotté
Comme pourboire.
La Jeanne, la Jeanne
Dans ses roses et ses choux
N'a pas trouvé d'enfants,
Qu'on aime et qu'on défend
Contre les quatre vents
Et qu'on accroche à son corsage
Et qu'on arrose avec son lait
D'autres qu'elle en seraient
Toutes chagrines.
Mais Jeanne, la Jeanne,
Ne s'en soucie pas plus
Que de colin-tampon
Être mère de trois
Poulpiquets, à quoi bon
Quand elle est mère universelle
Quand tous les enfants de la terre
De la mer et du ciel
Sont à elle.
Vivant « aux crochets » du couple, Brassens ne veut pas chercher de travail car ce serait, pour lui, trahir alors ce pour quoi il est fait : la chanson. Parfaitement compris et encouragé par Jeanne, les années 1939 à 1952 sont une longue période de traversée du désert ; travaillant énormément, il frappe à toutes les portes de cabaret où il est toléré qu’il gratte un peu sa guitare avant d’être « remercier ». Le soutien de ses proches va lui permettre de ne pas désespérer complètement jusqu’à ce que son ami sétois, Victor Laville, persuadé de son talent, lui obtienne un rendez-vous au cabaret de Patachou, à Montmartre, où peut-être son répertoire serait accueilli. Le 24 janvier 1952, alors que le trac le paralyse littéralement, soutenu par son ami, il entonne les chansons une à une et séduit complètement son auditoire qu’il sera invité à retrouver les soirs suivants. Patachou parlera de sa découverte à Jacques Canetti, le directeur du théâtre des Trois Baudets, et directeur artistique chez Philips. C’est le début de la reconnaissance pour George qui ne changera pourtant en rien la vie simple et ascétique qu’il mène encore de nombreuses années chez Jeanne et Marcel, l’agrémentant de l’installation de l’eau courante, de quelques meubles bretons pour Jeanne et de balades en voiture le dimanche.
L’esprit très libre, il n’hésite pas, par ses textes, à exprimer des choses que d’autres n’oseraient dire en public ; certaines paroles choquent la France de l’époque et font réagir. Brassens est avant tout un homme qui veut rester vrai avec lui-même et sortir des sentiers battus des conventions ou des bonnes pensées de l’époque ; « Ceux qui ne pensent pas comme nous sont des cons », « Mourir pour des idées » ou bien « la mauvaise réputation » ou bien « Gare au gorille » et bien d’autres sont de ce répertoire.
« Les gens n’aiment pas que
L’on prenne une autre route qu’eux. » La mauvaise réputation
« Entre nous soit dit, bonnes gens, pour reconnaître que l'on n'est pas intelligent, il faudrait l'être
Entre nous soit dit, bonnes gens, pour reconnaître que l'on n'est pas intelligent, il faudrait l'être »
Ceux qui ne pensent pas comme nous sont des cons
Bien qu’il ait rencontré plusieurs femmes dans sa vie, spécialement Joha Heiman, d’origine estonienne, plus connu sous le nom de Pupchen (ce qui signifie poupée en allemand), et qui sera pour ainsi dire la compagne de sa vie, il ne voulut jamais l’épouser, estimant ne pouvoir rester entièrement fidèle à la chanson en y entraînant femme et enfant.
Brassens désira toujours rester l’homme du Port de Sète ou de l’impasse Florimont, le commun des passants, menant la vie simple de tous les gens ordinaires. Entre deux tournées ou enregistrements, il se retire chez Jeanne ou emmène ses amis en Méditerranée. Il demeurera l’auteur et interprète timide et réservé, déterminé et humble. En 1967, recevant le Grand Prix de poésie pour l’ensemble de son œuvre, il pense ne pas le mériter : « Je ne pense pas être un poète… Un poète, ça vole quand même un peu plus haut que moi… Je ne suis pas poète. J’aurais aimé l’être comme Verlaine ou Tristan Corbière. »
Après une carrière de presque deux cents chansons et de nombreux concerts, Georges sera contraint de se retirer à Saint-Gély, dans la région de Montpellier, où il sera soigné pour un cancer. La « camarde » si souvent citée dans ses chansons, l’emportera dans la nuit du 29 octobre 1981, laissant tout un peuple orphelin d’un père, d’un ami, d’un frère…
Dieu s'il existe, il exagère.
Un homme de lettre pour tous, un homme fidelle en amitié, un homme simple comme on aime qui pretant ne pas s'assoir sur les bancs de l'église mais qui par son humanité se tient pres de Dieu…
yannick