Bigflo & Oli, les deux frères toulousains, Florian et Olivio de leurs prénoms, sont un phénomène musical. Leur dernier album, La vraie vie, est depuis septembre disque de Platine. Agés d’à peine 24 et 21 ans, les deux frères ont réussi une aventure assez exceptionnelle pour de si jeunes artistes dans un secteur de la musique jusqu’alors peu ouvert au grand public.
Les frangins se sont fait connaitre du grand public en 2014 par leurs chansons Gangsta et Monsieur tout le monde en faisant plus de 4 millions de vues sur Youtube. En 2015, ils reçoivent deux disques d’or (leur album est vendu à plus de 100.000 exemplaires). Aujourd’hui, leurs vidéos sur Youtube font des dizaines de millions de vues. Agés d’à peine 24 et 21 ans, les deux frères ont réussi une aventure assez exceptionnelle pour de si jeunes artistes dans un secteur de la musique jusqu’alors peu ouvert au grand public.
Originaires de Toulouse, ils abordent un style simple, décomplexé, presqu’enfantin. Complices dans la vie autant que dans leurs clips, ils restent très attachés à la ville rose au point de concevoir un album spécialement pour leur ville fétiche ou encore de cacher des CDs dans la ville pour leurs fans organisant ainsi de grandes chasses aux trésors. Leur succès, ils l’expliquent par leur goût pour l’écriture et la passion pour la musique reçue de leurs parents (leur père est chanteur de salsa) : ils baignent dans la musique depuis tout petits. Ils vont au conservatoire, Oli apprend la trompette, Bigflo le piano et la batterie. Ils s’en sont servi « comme une force ». Ils ont eu « la chance d’avoir une éducation musicale ouverte » : nostalgie, musique classique, salsa et Skyrock ! Bigflo ajoute : « on a absorbé tout ça. Ce bagage musical nous suit dans notre rap ». Mais au-delà de ces influences variées, Bigflo et Oli apportent un vrai renouveau au rap français.
Un style qui casse les codes du rap
Ces jeunes n’ont peur de rien et surtout pas de prendre le rap à contre-pied. Dans un milieu influencé par le rap US où on évalue la qualité d’une chanson à la violence qu’elle dégage, où il faut être body buildé et parler de drogue et de prison, où le bling bling est une valeur assumée, où tout clip qui se respecte doit mettre en scène des femmes en bikini, des voitures de luxe, des chaines en or, ils veulent un rap de la vie quotidienne, un rap pour des gens normaux, un rap poétique et fantaisiste. Pour cela ils n’ont pas peur de se montrer tels qu’ils sont : des adolescents comme les autres, qui ont des interros à rendre, qui doivent passer leur permis avant de rêver conduire une grosse cylindrée et qui frôlent le malaise s’ils tentent de faire 10 pompes. Bref, ils ne se prennent pas au sérieux en se moquant de leur physique anodin (dans le clip de Gangsta, on voit Bigflo dans une salle de musculation soulevant une barre d’haltère sans fonte) et assument un côté enfantin voire gamin en réaction à une « jeunesse influençable » selon le titre d’une de leur chansons :
Dans le quartier somme toute très tranquille de ces anti-gangsta, « il y a beaucoup de morts, parce qu’il y a beaucoup de vieux » (Paroles de Gangsta)…
Ils vont loin dans l’autodérision : dans le clip Personne tourné avec Jamel Debbouze, celui-ci leur donne quelques conseils : « Quand on vous écoute, on a envie de pas se bagarrer… on a envie d’aller dans une kermesse… de manger de la barbe à papa… d’avoir des amis… ou encore d’être dans une colonie de vacances… Physiquement… vous êtes gentils »… Il leur explique que finalement leur rap n’a pas grand avenir parce que personne n’a envie d’écouter leurs paroles.
La vraie vie
Mais Bigflo et Oli ne sont pas seulement deux adolescents qui ont réussi en se moquant des codes du milieu. Ce qu’ils aiment et veulent transmettre, c’est un rap qui rejoint les gens dans la beauté et le drame de la vie. Dans la chanson Autre part, ils parlent d’un jeune qui veut se suicider et de son ami qui cherche à le réconforter. Bigflo raconte : « J’ai vécu une période où j’avais des idées noires et je pensais même au pire. C’était au moment de l’adolescence. J’avais besoin d’en parler ».
Ils rapent avec la conscience que les mots peuvent consoler, rejoindre, qu’un artiste n’est pas là d’abord pour divertir ou exposer ses idées mais que, poussé par quelque chose de mystérieux, il peut rejoindre les hommes dans leur expérience, transmettre, en sachant que parfois la musique sauve. Bigflo explique : « En parlant de nous, il y a d’autres gens qui peuvent se reconnaître en nous. Ce n’est pas nécessairement notre histoire qui les intéresse mais ce qu’elle représente. On ne se prend pas pour les sauveurs de l’humanité ou pour des mecs au-dessus des autres. On essaie d’aider les gens, d’apporter d’une manière ou d’une autre des éléments de réflexion. Ce qui me touche le plus dans mon métier d’artiste c’est quand je croise quelqu’un qui me dit : « j’étais à telle période de ma vie, j’ai écouté ce morceau et il m’a sorti du trou ». C’est des trucs qui me font vraiment plaisir et c’est pour cela que je rape. Je ne rape pas pour faire rire les gens mais je rape pour apporter quelque chose de positif à des gens qui ne sont pas bien ».
Leur recherche est une recherche de La vraie vie, celle qui est l’essentiel, la vie réelle, celle où se joue notre bonheur : « Après notre première tournée, on s’est demandé si justement c’était ça, la vraie vie. On s’est aperçu que la famille, les amis comptaient plus que le succès. Le titre s’est donc imposé assez rapidement, c’était l’essence de l’album. Il en va de même pour la photo : il s’agit d’un cliché qui trône depuis toujours à côté de l’ordi sur lequel on travaille, parmi d’autres photos d’enfance. La pochette de La vraie vie, on l’avait sous les yeux depuis le début ».
Sur cette pochette on voit Bigflo et Oli enfants sur leur vélo en plastique. C’est cela pour eux la vraie vie, une histoire de lien, de fidélité à leur famille (ils ont fait une chanson avec leur père !), à leurs amis, et un lien entre frères particulièrement fort qui leur permet de ne pas perdre de vue cette vraie vie : « On se sent tellement forts quand on est tous les deux. C’est une histoire de famille. C’est plus que de l’amitié, on est liés par le sang. On est très complémentaires dans le travail ». Et Oli d’ajouter : « Je ne pourrais pas écrire seul ». La chanson Pour un pote fait une liste un peu déjantée de tout ce qu’on serait capables de faire pour un ami, quand Alors alors met en scène la recherche d’un ami autour du monde en essayant désespérément d’avoir des nouvelles.
Pour eux, décrire la vraie vie, c’est écrire pour de vraies personnes, celles qui souffrent, celles qui sont seules, celles qui traversent des moments difficiles. Leur rap n’est plus du tout gaminerie, il est chargé du poids de la vie :
Un rap à l’écoute du monde
Ils ont une seule hantise : être déconnectés de la réalité. Pour trouver l’inspiration, ils scrutent le quotidien, parlent de leurs rencontres, de ce qu’ils ont vu et entendu : « On est très observateurs : ça peut venir de plusieurs discussions, de nos voisins. On se nourrit de tout ce qu’il y a autour de nous. Parfois c’est une phrase prononcée au cours d’un dîner qui va nous inspirer. On s’exclame : « ça pourrait faire une chanson de ouf ! ». Parfois c’est un pote qui raconte ses difficultés… ». Il arrive à Oli de commencer un texte dans le métro, il coupe la musique de son casque et prête une oreille attentive aux discussions de ses voisins qui parlent du quotidien.
Dans leur manière d’écrire, ils aiment employer le « story telling », raconter une histoire, ou se mettre dans la peau d’un personnage : « C’est ce qui est le plus facile à écrire pour nous. Ça devient toujours plus long quand il s’agit de raconter des choses très personnelles, qui nous touchent au plus profond ». Ils ont ainsi écrit la chanson Dommage, un de leurs plus gros succès, qui raconte simplement quatre petites histoires de jeunes qui ont une décision à prendre pour que leur vie bascule et trouve un nouveau sens, mais elles n’osent pas.
Ils racontent l’histoire d’une femme, « bien trop jeune pour faire le plus vieux métier du monde », avec pudeur ils parlent de ses regrets, ses angoisses et ses rêves, « échapper aux griffes du périph de Paris »…de son fils, « son petit bout d’âme », sa consolation et le sens de sa vie.
Ce ne sont donc pas seulement des humoristes ou des ados qui se contentent de parler de leurs sorties ou de leurs amis. Ils abordent sans moralisme les drames de la vie humaine, en racontant une histoire, une expérience. Dans Monsieur tout le monde, une chanson vraiment étonnante pour des jeunes de 20 ans, ils évoquent la journée d’un homme pris dans la banalité du quotidien, « coincé dans un rêve », voyant son travail comme « un lapin dans un clapier » avec la question revenant sans cesse, « où est passée la vie, où est passé l’amour ». Cet homme, pris dans le rôle, la routine, considéré comme quelqu’un d’ordinaire, finit par commettre l’irréparable : « Seul dans l’ombre, j’suis qu’un monsieur tout l’monde / J’avance, je tombe, j’suis qu’un monsieur tout l’monde / J’ai jeté l’éponge, comme monsieur tout l’monde / Je plonge dans le plus sombre de mes songes ». Et le texte termine avec cette question, adressée à tout un chacun, « qu’est ce qui m’empêcherait de faire pareil ? »
Dans la chanson Le Cordon, Bigflo et Oli abordent le thème délicat de l’avortement de manière tout à fait originale.
Dans ce dialogue imaginaire, l’enfant demande à sa mère de ne pas l’oublier : « Parle-moi, j’veux pas te voir en pleurs / Tu ne m’as pas gardé dans ton ventre, mais laisse-moi une place dans ton cœur ». Et sa mère de lui répondre, imaginant sa vie avec son enfant : « D’abord, Maman t’aime, ça, faut qu’tu le saches / Je pense tous les jours à toi en m’regardant dans la glace / […] Je nous vois dans un parc, la boue sur les chaussures les éclaboussures / à avoir peur du temps qui passe ». Ce regard sur cette vie qui n’est plus, mais dont le lien ne peut s’effacer la conduit à formuler cette demande de pardon : « Mon enfant, tu sais que j’tadore / Et je te demande pardon » car « je sens encore le cordon ».
Plutôt que de prendre un parti ou un autre et d’instrumentaliser le drame au service d’une cause, ils scrutent le tabou de la douleur d’une mère qui ne peut effacer le lien maternel et porte seule le poids d’un acte que la société veut faire passer pour anodin.
La vidéo a déjà fait plus de 4 millions de vues.