Frédéric Eymeri est un artiste peintre contemporain et français. Il double une technique maitrisée d’une approche profonde de l’art au XXIe siecle.
Quel est le défi de l’artiste au XXIe siècle ?
Le défi des artistes est le même pour chaque génération, ce qui change, c’est la génération. Le dilemme ressemble à ceci : dire quelque chose de l’objet, de ce « morceau de présence », de cette « parcelle d’infini » qui essaie de se dire dans le fini et qui n’attend que l’artiste pour achever sa course. Pour le peintre, il s’agit d’insérer dans une once de matière le goût de l’incréé, pénétrer son temps d’un infini qui le dépasse. L’artiste est l’homme qui permet le dévoilement. L’oeuvre est l’espace en lequel l’objet affirme sa liberté au monde. Cela s’incarne dans une oeuvre.
Peindre aujourd’hui un citron ou une fleur comme le faisait Vermeer ou Chardin, c’est une très grande chose, mais cela ne suffit pas ! Depuis, il y a eu Monet, Cézanne, Picasso, Matisse, Malevitch, Duchamp, Ernst, Pollock, Bacon, Freud, Abramovic (pour ne pas citer que des peintres)… Il ne s’agit pas de dire « j’aime » ou « je n’aime pas », « je suis d’accord » ou « je ne suis pas d’accord », c’est un fait ! Ils marquent l’histoire de l’art. De même, il y a eu Auschwitz, le 11 septembre 2001, les attentats de Paris et de Nice. Il y a le réchauffement climatique, la crise économique… Il faudrait mettre également en parallèle l’histoire de la pensée, l’arrivée des nouvelles sciences et sur un autre plan l’arrivée d’Internet et l’évolution de la haute technologie qui fait exploser les comportements sociaux connus jusqu’ alors. La liste n’est pas exhaustive.
Tout cela impacte fortement notre rapport au réel. Le fait est : nous ne pouvons pas voir un citron de la même manière qu’au XVIIe siècle. L’infini que Chardin a su dévoiler est toujours présent dans l’objet. Mais nous, nous sommes absents. Pour nous rendre l’objet intelligible, le défi est, en quelque sorte, de faire rentrer et Malévitch, et Pollock et Abramovic dans le citron ! Et avec eux, la crise économique, l’effondrement des Twins Towers… Pour le dire selon les bons mots du grand Mark Rothko « il s’agit d’adapter l’infini au temps ». La première chose, peut-être, est d’épouser son temps ! Je suis atteint des mêmes maux, des mêmes angoisses, je porte les mêmes espérances et joies que les persones de mon temps. Mais, également, je perçois avec Philippe Jaccottet « que ce monde est la crête d’un invisible incendie » et je ne peux m’empêcher d’essayer, tant à certaines heures cet incendie me brûle, de l’inscrire dans la matière.
Peut-on espérer que naisse encore un art « nouveau » ?
La nouveauté ne consiste pas à réaliser quelque chose auquel personne auparavant n’avait pensé. La nouveauté ne se fabrique pas. Elle consiste en la transmission d’une expérience. Un art nouveau ne peut se justifier comme tel sans l’irruption d’un certain « miracle » dont il porte nécessairement la blessure. Le jaillissement de la nouveauté sourd de la fréquentation d’avec le mystère. L’inspiration est cette étrange source qui, de l’objet, se met à vivre soudain dans l’artiste. Cela n’est pas convocable à ma guise. La difficulté n’est pas de « bien peindre », mais de le faire aujourd’hui, de savoir montrer un citron aujourd’hui ! Et qu’il soit vu pour ce qu’il est ! C’est à dire reconnu à son apparence et, en quelque sorte, transcendé par elle.
Concrétiser un tel art serait qu’une oeuvre autonome dise : REGARDE ! IL N’Y A PAS RIEN ! Il y a quelquechose ! Ce citron est là ! Sous cette forme ! Cela a du sens et procède d’un ordre que tu ne te donnes pas toi-même. CECI EST ! C’est comme une parole qui t’est adressée, et qui t’invite à chercher le visage qui la prononce. La visée de l’art, c’est ce visage ! Là est le germe qui l’a toujours renouvellé, le sortant des ornières dans lesquelles il s’enfonce sitôt qu’il s’affranchi de cet absolu pour penser trouver sa finalité en lui-même.
J’aime Alberto Giacometti lorsqu’il dit qu’entre un chat et un Rembrandt à sauver dans une pièce en feu, il sauverait le chat. La cessité de notre temps consiste dans le fait d’avoir abandonné l’étonnement de l’enfance devant le réel pour se demander, croyant que cela est sérieux : « ce citron est-il bio ? ». Nous ne voyons plus aujourd’hui ni le chat, ni le Rembrandt ! Pour pallier à cela, j’en viens à habiller mes citrons de bande Velpeau ; mais ce ne sont pas eux qui sont malades…
Entretien paru dans l’Article d’art, 11 mai 2017.
Galerie et contact sur le site de l’artiste : http://www.fredericeymeri.com/fr/