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Le centenaire du 11 novembre vu des champs de Confrécourt

Entretien avec Jean-Luc Pamart. Il y a 100 ans, lundi 11 novembre 1918, à 11h, les cloches sonnaient dans toute la France, annonçant le « Cessez-le-Feu », l’arrêt de ces combats qui, en 4 ans, ont fait, côté français, 1,5 million de morts et 4 millions de blessés. De nombreuses célébrations sont prévues pour cette commémoration. Nous avons interviewé à cette occasion notre ami Jean-Luc Pamart, « paysan des poilus » comme il se surnomme lui-même : ces « poilus », en effet, habitent toujours son quotidien. Ses terres agricoles de Confrécourt, près de Soissons, ont été les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Elles en portent la mémoire vivante avec les douilles d’obus, les grenades, les dépouilles des soldats enfouies dans le sol.

Photo : Capture d’écran du film : Vingré avec Jean-Luc Pamart, La tombe Amory,
 

Le « 11 novembre » reste dans les mémoires le symbole de la victoire et de la fin de la guerre. Mais que s’est-il passé exactement à cette date ? Quel a été l’impact historique de cette journée ?

Le 11 novembre 1918, on a signé l’armistice, ce qui signifie l’arrêt des combats, mais en fait ce n’est pas encore la fin de la guerre. Le 7 novembre 1918, les Allemands avaient envoyé une délégation demander l’armistice. En effet l’Allemagne est à bout, le Kaiser a abdiqué, la révolte bolchevique menace, et le gouvernement craint une offensive alliée sur le Rhin qui porterait la guerre en terre allemande. Après quelques négociations, retransmises à Berlin via le télégraphe installé sur la Tour Eiffel, les Allemands acceptent les conditions des Alliés. L’arrêt des combats est signé dans un lieu tenu secret, dans un wagon stationné dans une clairière de la forêt de Compiègne, non loin du village de Rethondes ; d’où le nom qu’il prendra, l’armistice de Rethondes. 

Mais les hommes restent encore au front, prêts à repartir si les clauses n’étaient pas respectées. On demande aux soldats allemands de nettoyer les champs français des milliers de mines et obus qui restent. Certains trouveront la mort dans cette entreprise. Pendant ce temps, ce sont les longs pourparlers pour établir les traités de paix. Il faut ainsi attendre 8 mois avant la signature du traité de Versailles, le 28 juin 1919 : c’est la fin officielle de la guerre entre l’Allemagne et les Alliés, 5 ans jour pour jour après l’attentat de Sarajevo qui avait lancé le conflit, le 28 juin 1914. Alors seulement les soldats peuvent rentrer chez eux, dans un monde qui leur est maintenant étranger, où ils auront du mal à retrouver leur place.

D’où vient votre passion pour la Grande Guerre ?

J’ai toujours baigné dedans : enfant, je jouais dans les champs entre les restes d’obus et d’uniformes. Ce n’était pas du passé, c’était la vie de mon grand-père, qui a été sur le front durant ces 4 années de conflit. C’est lui qui m’a tout transmis : il me racontait ce qu’il avait vécu, il m’emmenait sur les champs de bataille du Chemin des Dames, il me montrait ses livres et photos. Il n’avait rien dit à ses enfants, qui ne cherchaient d’ailleurs pas à savoir. Après la guerre, ce fut le temps du « grand silence » pour les hommes revenus du front. Mais moi, j’ai fait parler mon grand-père : la mémoire saute toujours une génération.

Ainsi, en France, la Première Guerre mondiale fut oubliée jusque dans les années 1980. Puis, avec la génération des petits-enfants, une nouvelle prise de conscience est arrivée, de nombreuses associations se sont créées pour entretenir la mémoire et les lieux de la guerre. J’ai créé moi-même l’association « Soissonnais 14-18 », qui compte environ 400 personnes aujourd’hui, et s’occupe particulièrement de ce bout de front de 40 km, de Noyon au chemin des Dames – sur les 700 km que faisait le front, de la Belgique à Mulhouse. Et les personnes que je reçois, qui viennent retrouver dans mes champs l’endroit où un homme de leur famille a vécu la guerre, ce sont les petits-enfants. Il ne se passe pas une semaine sans que j’aie une de ces visites.

Comment célébrez-vous ce centenaire du 11 novembre ?

Pour moi, c’est une année comme les autres : chaque 11 novembre, depuis quelques années, nous faisons une marche ouverte à tous, dans les champs de Confrécourt, pour honorer la mémoire des poilus. Ce n’est pas seulement une marche, c’est un pèlerinage. Nous marchons, nous prions, dans la joie, le recueillement, les chants, et nous finissons par une messe sur l’autel du Père Doncœur (aumônier militaire durant la guerre), dans la carrière de pierre qui servait d’abri aux soldats. 

Cette année il y a bien sûr aussi de nombreuses cérémonies officielles, qui vont clore ces quatre ans de mémoire de la Grande Guerre (2014-2018), voulus par le gouvernement. L’année prochaine ce sera fini. Mais pas chez nous, nous continuerons à faire ce pèlerinage du 11 novembre en 2019, c’est tellement ancré dans notre terre. 

La Croix-brisée de Confrécourt, érigée en 1929 par Jean, Marquis de Croix sur le lieux même des tranchées. 
« La Croix est tombée, le Christ est vivant » est la devise de la famille. 
 

Maintenant qu’un siècle est passé, quel est le sens de garder cette mémoire ? Qu’est-ce que les poilus ont à nous apprendre aujourd’hui, dans ce lieu ?

C’est vrai qu’un siècle plus tard, une page se tourne. Pour les classes d’enfants qui viennent en visite ici, les soldats de la guerre sont leurs arrière-arrière-grand-père. Autant dire qu’ils ne les connaissent pas, ce n’est plus un prénom, un visage. On passe de la mémoire vivante à une page d’histoire. 

Mais contrairement à d’autres lieux de mémoire, Confrécourt n’est pas seulement un lieu d’histoire, c’est un lieu de pèlerinage. C’est mon cher ami, Alexandre D., membre de Points-Cœur, qui m’a fait découvrir cela. Confrécourt a quelque chose qu’il  n’y a pas ailleurs. Il y a ces carrières de pierre où ont vécu les poilus, où ils ont souffert et prié, où ils ont sculpté notamment l’autel où célébra le Père Doncœur. 

Il y a Vingré, avec la petite cave voûtée où les 6 « fusillés pour l’exemple » passèrent leur dernière nuit [1]Le 4 décembre 1914, six soldats français furent fusillés « pour l’exemple » par leurs camarades, suite à une tragique erreur militaire. … Continue reading. Ils s’y confessèrent tous, et écrivirent une dernière fois à leur famille, lettres bouleversantes, que l’on peut encore lire sur les murs du village.

Il y a le monument de la Croix Brisée, devant lequel je passe tous les jours, avec son grand Christ qui descend jusque dans la boue des tranchées. Il a été érigé en 1929, à la place de l’ancien calvaire, détruit par les obus. Sa devise rappelle le sacrifice des soldats : « La croix est tombée, le Christ est vivant ».

J’ai la chance d’avoir ces 3 lieux qui interpellent, qui font grandir, qui ne sont pas seulement souvenir, mais vie. On se construit avec le modèle de courage et de foi de ces soldats. Un tel pèlerinage, qui se vit 100 ans plus tard, pourra se vivre dans 101 ans, dans 102 ans… Chacun peut venir lire ces lettres, s’interroger sur cette croix brisée, prier sur cet autel. 

Avec les classes qui viennent, je ne fais pas un exercice scolaire : on marche dans la boue des champs, on descend dans les carrières, on rencontre Jean Blanchard, un des fusillés de Vingré, qui écrit à sa jeune épouse une lettre magnifique de foi et de dignité, sans aucune haine… Il finit par ces mots pleins d’espérance : « Au revoir là-haut, ma chère épouse ». A Confrécourt on ne raconte pas l’histoire, on la vit.  

Photo : Messe célébrée dans une carrière de Confrécourt sur l’autel du Père Doncœur.
 

Pour finir, à qui transmettez-vous cette passion aujourd’hui ? Qu’est-ce qui vous marque chez les personnes qui viennent visiter ce lieu ? 

Chaque année, je reçois entre 3000 et 4000 jeunes dans les carrières de Confrécourt. Pour de nombreux groupes scolaires c’est souvent l’occasion de faire une expérience forte, comme je vous en parlais. Beaucoup de scouts viennent également. Leur attachement presque viscéral à ce lieu est lié à la figure du Père Doncœur, un des aumôniers les plus décorés de la Grande Guerre, devenu ensuite un pionnier du scoutisme en France. Chaque année, des dizaines de jeunes prononcent leur promesse ou font leur départ routier devant l’autel du Père Doncœur.

Il existe aussi une initiative originale, mise en place depuis le début du centenaire, en 2014, pour faire de ces lieux de mémoire des chantiers d’insertion. Entre 200 et 300 jeunes y ont déjà participé. Je m’occupe ainsi de jeunes de la banlieue de Soissons, qui ont perdu tout repère. Ils aident à restau les monuments de la première guerre mondiale dans la région : ils retrouvent un cadre de travail, réapprennent à structurer leur vie, et découvrent tout de ce monde de la Grande Guerre. On discute, ils ont beaucoup de questions, ils reviennent parfois montrer les lieux restaurés à leur famille… Quelque chose est semé, c’est encore une autre façon de vivre la mémoire.

Et puis il y a les jeunes volontaires qui se préparent à partir en mission avec Points-Cœur, à l’étranger. C’est toujours pour moi un moment particulier. Ils viennent un après-midi, durant leur stage de formation. Ils ont entre 20 et 30 ans, l’âge qu’avaient les poilus. Avant de partir en mission, ils empruntent, dans les carrières, les mêmes marches que prenaient les poilus pour monter au front. Les soldats montaient offrir leur vie sur le champ de bataille, eux vont donner au moins un an de leur jeunesse auprès des plus pauvres. Voir leur sourire, la vie qu’ils communiquent, c’est pour moi extraordinaire. Un vrai échange se fait, ils ne ressortent pas indemnes de cette visite, moi non plus. Il y a là une joie, un mystère.

Une dernière chose importante, comme en 2014, nous aurons la chance cette année d’avoir la messe de Noël dans la carrière de Confrécourt, sur l’autel du Père Doncœur, là où lui-même l’avait célébrée à Noël 1914. Ce sera le 24 décembre à 20h, avec la présence de l’évêque de Soissons, Mgr de Dinechin. Vous y êtes tous conviés !

 

Propos recuillis par Alexandra F. 

 

Pour aller plus loin : 

 
 

References

References
1 Le 4 décembre 1914, six soldats français furent fusillés « pour l’exemple » par leurs camarades, suite à une tragique erreur militaire. Réhabilités en 1921, ils restent connus comme les « fusillés de Vingré ».
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