« Chaque jour, je reçois à Rome des prêtres découragés et blessés. L’Eglise fait l’expérience de la nuit obscure. Le mystère d’iniquité l’enveloppe et l’aveugle ». C’est ainsi que le Cardinal Robert Sarah, Préfet de la congrégation pour le culte divin, commence son livre d’entretien avec Nicolas Diat, « le soir approche et déjà le jour baisse ».
A lire cet ouvrage, on sent un homme qui reprend sa plume parce que pris de compassion. Devant les vents violents qui assaillent la barque de Pierre, les scandales ecclésiaux qui ont tendance à faire oublier le Scandale, celui de la croix, le Cardinal Sarah dit simplement « je ne peux plus me taire, je ne dois plus me taire ». Et comme Benoit XVI sortant de son silence pour nous livrer un texte magistral [1]https://terredecompassion.com/2019/04/18/texte-du-pape-emerite-benoit-xvi-sur-la-crise-des-abus-dans-leglise/ – sur les raisons de la crise actuelle de l’Eglise, et nous inviter à l’espérance – le cardinal Sarah, comme évêque qui a reçu la charge d’enseigner nous partage dans ses pages son regard de foi sur ce qu’il n’a pas peur de nommer « le Vendredi Saint de l’Eglise ». Dénonçant la trahison du Christ par des prêtres, évêques, cardinaux, au sein même de l’Eglise, par des pasteurs qui ne sont pas bergers mais mercenaires, affirmant que « le mystère de Judas plane sur notre temps » … Comme père, pasteur de l’Eglise, à l’imitation du Christ : « Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors il se mit à les enseigner longuement » (Mc 6, 34). Il écrit dans son introduction, « les chrétiens tremblent, vacillent, doutent. J’ai voulu ce livre pour eux (…) J’ai voulu ce livre pour réconforter les chrétiens et les prêtres fidèles ».
Comme le Pape Emérite Benoit XVI, il n’a pas peur d’affirmer que la crise actuelle n’est pas organisationnelle, institutionnelle, mais une crise de la foi et de la transmission de la foi : « au nom de postures soi-disant intellectuelles, des théologiens s’amusent à déconstruire les dogmes, à vider la morale de son sens profond. Le relativisme est le masque de Judas déguisé en intellectuel ». Il commence par rappeler que l’Eglise n’est pas une institution humaine en crise mais la continuation du Christ, mettant ainsi en garde contre la tentation de l’activisme structurel (« il ne s’agit pas de s’organiser et de mettre en œuvre des stratégies. Comment croire que par nous-mêmes nous pourrions améliorer les choses ? »), celle de la division (« Un parti ? un courant ? telle est la tentation la plus grave : les oripeaux de la division ») pour nous rappeler que la réforme commence en nous : « Nous reformons l’Eglise en commençant par nous changer nous-mêmes ! N’hésitons pas, chacun à notre place, à dénoncer le péché, en commençant par le nôtre » ; et que notre première tâche est de renforcer l’unité, qui n’est pas une construction humaine, un « esprit de corps », mais un don du cœur de Jésus Christ. L’unité de l’Eglise repose sur 4 colonnes qu’il décrit brièvement :
1) La prière, le trésor de l’Eglise, le trésor de nos vies, celle qui remet face à Dieu et donne le sens de toute vie : « une Eglise qui ne porterait pas la prière comme son bien le plus précieux court à sa perte ». Face aux scandales, à la pression médiatique, comme ces jeunes devant notre Dame de Paris le soir de l’incendie, « il s’agit de nous taire et de prier. Il s’agit de nous mettre à genoux ». S’adressant avec audace aux évêques il leur dit « chers amis, vous voulez relever l’Eglise ? Mettez-vous à genoux ! C’est le seul moyen ».
2) La doctrine catholique : « la source de l’unité nous précède et nous est offerte. C’est la Révélation que nous recevons ». Il rappelle l’unité de la foi, de l’interprétation du magistère dans la continuité de la tradition de l’Eglise, la méfiance à avoir envers les pasteurs qui sont des mercenaires et annoncent à grand renfort médiatique la rupture, les grands changements pour l’Eglise d’aujourd’hui. Seule la vérité de l’Evangile unira l’Eglise. Et il invite au courage sur les vérités de la foi : la présence réelle, l’indissolubilité du mariage, l’appel à la vie consacrée, la nécessité de la vie sacramentelle… « préfères tu le succès ou veux tu venir à ma suite ? » demande le Christ à ses pasteurs.
3) L’amour de Pierre : « le mystère de Pierre est un mystère de foi. Jésus a voulu remettre son Eglise à un homme ». Un homme qui n’a jamais été parfait, qui dans l’histoire a chuté, s’est trompé, mais nous avons toujours un successeur de Pierre grâce à « la main invisible de Dieu ». Mais il n’est pas au-dessus des débats, il est un pécheur et le cardinal Sarah rappelle le devoir de chaque chrétien vis-à-vis des pasteurs : « ce n’est pas en les méprisant que vous construirez l’unité de l’Eglise. N’ayez pas peur d’exiger d’eux la foi catholique, les sacrements de la vie divine ».
4) La charité fraternelle : c’est l’unité des chrétiens qui attire, cet amour fraternel au-delà des suspicions et des querelles de clocher est le levain dans la pâte de notre monde, la « lumière du monde » parce que reflet de la lumière de l’amour trinitaire. Il est temps d’entrer « dans une démarche de réconciliation interne » (Benoit XVI) car « en nous disputant, en nous haïssant, c’est Jésus que nous persécutons ».
L’appel à reconstruire l’Eglise n’est pas adressé à quelques commissions, ne se fera pas par des plans pastoraux. Mais comme le Crucifié s’est adressé à Saint François d’Assise, « va et répare mon Eglise », l’appel est aujourd’hui le même pour chaque chrétien : « va et répare par ta foi, par ton espérance et par ta charité. Va et répare par ta prière et ta fidélité ».