TdC vous propose de partir à la découverte de l’artiste Yekima, pionnier du slam et étoile montante de la scène musicale congolaise. Avec simplicité et élégance, il nous partage dans cette interview sa passion pour sa ville, son pays, ses racines et pour la langue française.
Comment en es-tu arrivé là, peux-tu expliquer en quelques mots ton parcours ?
Merci pour l’intérêt tout d’abord. Plus jeune, je faisais du rap au quartier, dans la banlieue où j’ai grandi, avec mes amis. En 2007, après mes quelques années dans la chorale française de ma paroisse et un passage éclair non moins bénéfique dans la chorale académique Chœur Monseigneur Luc GILLON, à l’Université de Kinshasa (où j’ai fini en sciences économiques et de gestion), j’ai monté un groupe de musique comme chanteur. En 2008, au home de l’université, en suivant les épisodes de la série américaine DESPERATE HOUSE WIVES, je découvre une manière assez singulière de poser mes textes de poésie sur un fond musical. Là, infatué, je crois avoir créé un style avant que je ne me rende compte que ça existait déjà sous le substantif du Slam. Compris cela en écoutant à la radio ABD AL MALIK et plus tard GRAND CORPS MALADE que je rencontre d’ailleurs sur scène comme son invité en 2013 à Kinshasa. Avec mes musiciens donc, on s’est décidés de travailler à la bonne différence des slameurs que l’on dénichait. C’est ainsi qu’est né mon propre style AFROSLAM (Négro’s l’âme, son ancienne appellation).
2012, notre première scène au CCF (Centre Culturel Français) et pour le groupe c’était désormais parti. Moi, c’est réellement en 2016 avec la sortie de Je te présente Kinshasa qu’une exposition au plus grand nombre, ici et ailleurs, a effectivement commencé. Et 2018, la sortie de la chanson Les Années Zaïre a renforcé ces liens avec le public et les fans de YEKIMA.
Quelles sont tes sources principales d’inspiration?
Mes principales sources d’inspiration sont des faits de société, le quotidien, l’environnement exogène et endogène dont notre existence s’entoure : celui des actualités, celui des histoires que l’on se raconte ou de nos rencontres, celui du rétro et celui du viseur.
Avec le clip Je te présente Kinshasa tu as franchi une nouvelle étape. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
C’est une carte postale qui tente de replacer la fierté d’appartenir à Kinshasa au-dessus de toutes péripéties internes, qui tente de restaurer la dignité dans l’attachement à sa Ville, amorce de tout épanouissement. Et à l’instar du football, de raviver la passion au cœur de tout Kinois d’ici et de la diaspora.De la valeur de nos langues (culture) à notre marque d’hospitalité, de la description de nos circonscriptions à l’invitation au tourisme, cette chanson slammée est simplement une chaleureuse déclaration d’amour d’un des jeunes Kinois à sa ville. N’évinçant pas, au contraire, la réalité de la débrouille kinoise ressentie dans la musique, et du quotidien d’une ville vivante qui se construit, mue et se réveille.
Ton 2ème clip aborde un sujet délicat dans l’histoire du Congo : les années Zaïre. Quel était ton objectif ?Alors, ma réponse va être plus ou moins longue. A l’instar des griots dans la tradition orale africaine, je suis témoin de ma société et citoyen du monde.
Avec Je te présente Kinshasa, j’étais dans la géographie, avec Les années Zaïre, je nous téléporte dans l’histoire, l’espace et le temps. Car L’HISTOIRE nous reviendra toujours comme un boomerang.
LES ANNEES ZAIRE C’est une somme de description animée où j’essaie de peindre les faits dont je parle, comme si ce que je dis était actuellement devant vos yeux, je remets les choses sous les yeux de gens, c’est une HYPOTYPOSE. Le devoir de mémoire, c’est aussi cette obligation morale de se souvenir d’un événement la plupart du temps tragique, pour empêcher qu’un autre du même type ne se reproduise, en tirer des leçons. Je le dis parce que l’époque du Zaïre c’est aussi chargé de beaucoup de souvenirs tristes, macabres, douloureux, de ce côté belliqueux, jupitérien et dictateur de MOBUTU. Mais quand la plupart d’entre nous se projette dans le passé, parce qu’il arrive qu’un peuple fasse ce genre de projection, les meilleurs souvenirs qu’il trouve, c’est aussi dans ces années-là. Et moi, je crée une autoroute de souvenirs.
Donc il y a un télescopage de deux temporalités : celle liée au personnage de MOBUTU et celle de nos souvenirs pluriels de cette époque.L’on devrait normalement raconter notre propre histoire selon que nous, nous l’avons vécue. Et si nous laissons trop souvent les autres raconter à notre place, et à nous, et au monde entier, notre propre histoire, ils se feront le plaisir de ne nous exposer que ce qui leur plaît, bien ou mal. Bien au-delà de la musique et de l’innovation que cela apporte, notre histoire par nous est l’un des éléments activateurs du titre Les années Zaïre. J’offre là un nouvel outil pédagogique, une mine de renseignement, de la culture générale, de l’information et du rappel ; les deux, JTPK comme Les AZ pourraient aussi être écoutés ou vus dans des écoles et universités.
Un autre de tes clips nous ramène à Kinshasa, au plus proche de la vie des gens, pour un thème délibérément engagé : la lutte contre la saleté. Comment t’est venue cette idée ?
Sur ce titre, je suis invité. Ce n’est pas mon titre ni mon idée à la base, ce sont ceux d’un artiste dont j’ai toujours été épris de la voix. Il a fait THE VOICE, voilà qui en effet corrobore aussi bien son talent que mon propos. Il m’a contacté pour l’accompagner en SLAM sur ce thème et le duo qui en est né est juste magique. J’ai mis en ligne la petite répétition qu’on a faite chez moi pour préparer le studio et le clip, et ça a fait son petit buzz. Normal, ça parle aux habitants d’une ville qu’ils veulent revoir propre, de Kin la belle devenue la poubelle et qu’ils désirent ravoir plus belle. C’est une sensibilisation à une ville plus propre qu’avant. Espérer en une Kin MALEBO, pas KIN où le mal est beau. En tout cas, ça valait le coup d’essayer.
Les artistes peuvent-ils jouer un rôle dans le développement du Congo?
La réponse précédente l’étaye. Et Je te présente Kinshasa comme Les Années Zaïre en disent long sur la question. Le développement du Congo est aussi mental. Le changement profond des mentalités se voit naturellement convié sur la table des discussions. Le stylo, la voix et le micro peuvent interpeller, soulever des questions de fond, attirer l’attention et changer les donnes. Aussi chanter la foi dont a besoin le peuple pour croire en son avenir jusqu’où croire se brise. Caresser le peuple dans le sens d’espoir !
A l’occasion de l’hommage au sculpteur Alfred Liyolo, j’ai découvert combien tu chérissais la langue française. Comment la décrirais-tu ?
On retrouve la langue française dans mes vidéos publiées, notamment les extraits de mes représentations postées sur Instagram ; et sous ces POSTS, j’ai eu la chance de lire de nombreux commentaires encourageants les uns les autres du MAGISTER ARTIUM, le très regretté professeur LIYOLO, un honneur et un passage de relais dont je n’ai saisi la portée que bien plus tard après son décès.
Cette langue est pour moi l’outil phonétique de mes textes. Mais aussi une langue dont je suis amoureux, passionné, entiché. Je l’ai apprise, je m’en suis épris, et ses techniques je les ai acquises à l’école, et continue à la pratiquer aussi bien dans mes chansons que dans une grande partie de mes journées à Kinshasa. Mais toujours dans une démarche effrénée qui est celle de slamer en français avec un rythme linguistique africain, une oralité francophone écrite avec les mots du Congo. Trouver à puiser dans ma culture pour donner un parfum d’authenticité à mes textes. Ce qui constitue mon apport essentiel à une forme d’oralité africaine francophone, dans le souci de rester fidèle à l’âme de ceux à qui mon œuvre est dédiée. C’est en cela que je me sens content. Merci. Dieu vous bénisse !