Depuis le XIIe siècle avant J.-C., le syriaque désigne un dialecte d’araméen oriental, parlé à Edesse (Turquie actuelle), et qui s’est répandu après l’apparition du Christianisme. Devenus la minorité religieuse la plus méconnue du Moyen-Orient, les syriaques avaient fondé des royaumes…
Tétraévangile, manuscrit en langues syriaque et arabe (VIIe-XIIe s)
Quelques mots dans une langue étrangère ; des mots surgis d’un autre temps… si anciens et pourtant toujours présents dans les liturgies orientales. Voilà à quoi se résume et se réduit, à tort, le syriaque. Le terme n’est pas aisé à définir en raison de ses nombreux sens et désigne tout à la fois une communauté, une langue et des Églises. Assyriens, chaldéens, araméens, babyloniens, mésopotamiens, nestoriens, jacobites monophysites, assyro-chaldéens, chaldéo-assyriens, syro-orientaux ou occidentaux… autant de vocables pour désigner une même communauté issue de Syro-Mésopotamie. Il faut envisager un même pays syro-mésopotamien. Ce vaste territoire parfois désigné sous les appellations « Syrie occidentale » (Antioche et sa région) et « Syrie orientale » (les vallées du Tigre et de l’Euphrate) comprend la Syro-Mésopotamie historique, l’Asie mineure, le Liban et la Perse. Ils partageaient tous une langue au destin singulier, héritière de l’ancien araméen qui, lui, remonte à mille ans av. J.-C. : une langue émaillée d’akkadien, de babylonien et d’assyrien. Cette langue, née à Edesse, véritable « peau protectrice de leur identité », s’étendit largement du fait de leur intense activité missionnaire.
Ouverts au monde mais dépourvus de pouvoir politique, ils ont sillonné les pays. On les trouve, dès les premiers siècles de notre ère, à Jérusalem, Alexandrie, Constantinople, Athènes, Rome… Aux IVe et Ve siècles, « les chrétiens parlant le syriaque constituaient la majorité dans tout le diocèse romain d’Orient ». Au cours de leur expansion missionnaire (Inde, Chine, Mongolie…), le syriaque devint la langue de nombreux peuples, influençant ainsi leurs cultures ; il avait la capacité de s’adapter et « tenait au sol comme une plante nationale indigène ». Les syriaques ont reçu et donné. Au contact d’autres cultures, ils n’ont cessé de traduire. Pionniers en la matière, ils furent la première nation orientale à traduire et commenter la pensée grecque, en particulier Aristote, Platon, Galien, Hippocrate, Pythagore… Dès le VIIe siècle, ce sont bien eux qui transmirent aux Arabes la pensée grecque philosophique et médicale ; la plupart des traductions arabes furent faites à partir du syriaque et non directement du grec. Toutefois, la prédominance du grec ne les a pas empêchés de traduire également de l’ancien persan. « La littérature syriaque a le grand mérite de nous avoir conservé, dans ses traductions, un certain nombre d’ouvrages dont le texte original est perdu », les sauvant ainsi de « l’amnésie de l’histoire ». « Excellents traducteurs », les syriaques n’ont pas été de simples passeurs mais bien des créateurs. Ils ont étudié « tous les domaines du savoir, à une époque où les disciplines étaient séparées et où l’on n’abordait pas tous les sujets ». Ayant leur propre lecture de la pensée grecque, ils ont produit « des penseurs de grande valeur ». Traducteurs, ils furent à leur tour traduits en plusieurs langues : l’arabe, l’éthiopien, l’arménien, le géorgien, le grec, le latin, le russe, l’anglais, le français, l’allemand, l’italien…
Au milieu du IIe siècle, la communauté d’Edesse possédait une version de l’Ancien Testament traduite vers l’araméen de l’hébreu par l’apôtre Addaï (Thaddée) et ses disciples. Il s’agit du « plus ancien monument de la littérature chrétienne ». Théologien, ascète, historien et apologiste, Tatien d’Adiabène fut à l’origine de la première version du Nouveau Testament. Les syriaques ont développé une réflexion très poussée sur la dogmatique, la morale et l’ascétisme. Les royaumes d’Antioche (« Église-mère de l’Orient »), d’Edesse et d’Adiabène furent les « berceaux du christianisme syriaque ». Persécutés, leurs Saints martyrs nourrissent une importante hagiographie. Leur liturgie est des plus anciennes. L’anaphore (liturgie eucharistique), dite d’Addaï et Mari en mémoire de ces deux évangélisateurs de la Mésopotamie, date du IIe siècle. L’Église d’Orient s’est développée en dehors de toute influence romaine et n’a participé à aucun des conciles œcuméniques à l’exception de celui de Nicée.
Professeur honoraire à l’Université de Lyon, spécialiste de la question des minorités dans le monde, auteur de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues, Joseph Yacoub analyse méthodiquement les points de divergence qui déchirèrent Orientaux et Occidentaux et furent à l’origine des schismes. Les trésors de la littérature syriaque « sont très loin d’avoir révélé toutes leurs richesses » et constituent, encore aujourd’hui, des sources à exploiter. Cette remarquable étude nous rappelle que « le Moyen-Orient est syriaco-chrétien, au même titre qu’arabo-musulman » et demeure recouvert par l’ombre, si légère, mais bien présente des syriaques.
Le Moyen-Orient syriaque : la face méconnue des chrétiens d’Orient de Joseph Yacoub, éditions Salvator, 2019, 273 p.
Cet article a été publié par Lamia el-Saad sur la page L’Orient Littéraire le 19 janvier 2020