de Pascal Charmette 7 janvier 2012
Chennai (Inde), décembre 2012.
Et le samedi, me direz-vous, que se passe-t-il donc ? Cela me pose question, comment ai-je fait pour ne pas vous en parler avant ! C’est pourtant une des rencontres les plus fortes de la semaine.
Il y a cinq ans qu’Alex, Manosh et Ravy, les trois « Brothers » de l’époque ont mis les pieds pour la première fois dans ce centre particulier. Comme beaucoup d’autres dans Chennai, il est chargé de recueillir les enfants abandonnés de la ville. Ils sont en fait près de quatre-vingts dans cette grande pièce aux fenêtres à barreaux, qui leur sert à la fois de lieu de vie et de dortoir. Les toilettes sont au fond de la salle, du côté de l’entrée se trouve une petite cour intérieure, de quelques dizaines de mètres carrés à peine, où les enfants viennent prendre leurs repas et se doucher en plein air. Ils ont de huit à seize ans et sont originaires de tous les états de l’Inde. Dans une incertitude totale, ils attendent patiemment un signe de vie de leur famille, une place dans un centre d’apprentissage, ou tout simplement d’être envoyé dans un autre centre similaire dans leur région natale.
Parmi eux me vient aussitôt à l’esprit le visage de Vishva, qui s’est un jour malencontreusement trop éloigné de sa maison, et n’a pas trouvé le chemin du retour. La police l’a aperçu quelques jours plus tard dans un état misérable, couché sur un bout de trottoir. Il est maintenant le boute-en-train de la maison, toujours prêt pour une petite partie de jeu d’adresse avec les mains. C’est aussi le roi des tours de passe-passe, il serait capable de piquer aisément la clé du gardien s’il n’était pas si intimidé !
Il y a aussi le petit Sourli, un des plus anciens pensionnaires. Inutile de chercher d’où il vient, ce petit bout de chou ne peut vous répondre, il est handicapé mental. Dans ce monde de jeunes abandonnés à eux-mêmes, il se retrouve le souffre-douleur de ceux qui n’ont personne à qui dire leurs malheurs.
Heureusement le grand Peter veille sur lui comme un grand frère, et n’hésite pas à faire valoir son autorité lorsque la situation dégénère. Originaire de Delhi, il s’est retrouvé mystérieusement à huit ans dans les rues de Chennai, traînant sa jambe atteinte de la poliomyélite. Recueilli durant neuf ans chez les Salésiens, il s’est finalement enfui de ce cadre trop rigide. Et bien qu’il soit bourré de talents – son rêve est de devenir charpentier – le voilà depuis près d’un an dans l’unique salle, à jouer aux osselets.
Son grand ami s’appelle Kishan. Personne d’autre dans la maison n’est fier comme lui de son origine : Darjeeling, à la frontière du Népal ! Ceci explique ses petits yeux en amande, et son teint de peau couleur café. La contrepartie est qu’il a bien du mal à communiquer avec ses camarades. Je me rappelle de lui depuis ma première visite en janvier dernier. Il était accroupi derrière la grille d’entrée, les larmes aux yeux. La tristesse de son visage m’a remué jusqu’aux entrailles, et me trouvant dans le même cas pour ce qui est de la langue, je me suis naturellement senti tout proche de lui. Heureusement, il est joueur, quelques tours de magie avec une piécette suffiront pour lui faire retrouver le sourire. Depuis lors, l’amitié a grandi entre nous, et lorsque vient le temps de se quitter, il me fait le chiffre « sept » de ces petits doigts, d’un air de dire : « Dis, Brother, tu reviendras bien dans sept jours nous visiter ? »
Jeux de billes, Kasimode 2011 © Aymeric D.
Kasimode a sûrement un peu changé depuis plus de 10 ans mais les enfants sont toujours aussi beaux et touchants. je n'oublierai jamais les quelques jours que nous y avons passés et j'espère de tout coeur pouvoir y retourner un jour. merci pour les photos de Noël reçues par ailleurs. que le Seigneur vous bénisse ainsi que ceux qui vous entourent.