Chacun de nous a déjà connu ce bonheur de la Nuit sainte. Cependant, le ciel et la terre ne sont pas encore devenus un. Aujourd’hui comme jadis l’Etoile de Bethléem luit dans une sombre nuit. Dès le lendemain de Noël, l’Eglise dépose ses blancs vêtements de fête et se vêt de la couleur du sang ; au quatrième jour, elle porte le violet du deuil. Etienne, le martyr qui suivit le premier le Seigneur dans la mort, et les Enfants Innocents, nourrissons de Bethléem et de Juda, qui furent égorgés par les mains cruelles des bourreaux, s’assemblent autour de l’Enfant dans la Crèche, formant sa suite. Que signifie tout cela ? Où est donc maintenant l’allégresse des armées célestes, où est la silencieuse félicité de la sainte Nuit, où est la paix sur la terre ? Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Mais tous ne sont pas de bonne volonté. La puissance mystérieuse du mal enveloppait le monde dans la nuit, aussi fallut-il que le Fils du Père éternel descendît de la gloire du ciel.
© Natalia Satsyk – The Nativity of Christ
Les ténèbres couvraient la terre et Il vint comme la lumière qui brille dans les ténèbres ne L’ont pas reçu. À ceux qui L’ont reçu, Il apporta la lumière et la paix : la paix avec le Père du Ciel, la paix avec tous ceux qui sont aussi fils de lumière et enfants du Père, et la paix profonde du cœur ; mais non la paix avec les fils des ténèbres. À eux, le Prince de la Paix n’apporte pas la paix, mais le glaive. Pour eux, il est la pierre d’achoppement contre laquelle ils accourent et qui les brise. Voilà la lourde et grave vérité que ne doit pas nous dissimuler le charme poétique de l’Enfant de la Crèche.
Le mystère de l’Incarnation et le mystère du mal sont étroitement liés. À la lumière descendue du ciel s’oppose, d’autant plus sombre et lugubre la nuit du péché. L’enfant de la Crèche tend ses petites mains et son sourire semble déjà vouloir dire ce que les lèvres de l’homme prononceront plus tard : « Venez à moi, vous tous qui peinez et êtes accablés sous la charge ». Certains répondirent à son appel. Tels les pauvres bergers qui, dans la campagne de Bethléem, ayant vu l’éclat du ciel et appris de l’ange le joyeux message, dirent pleins de confiance : « Allons à Bethléem ! » et se mirent en route. Tels les rois, qui, venant du lointain Orient, suivirent, avec la même foi simple, l’Etoile merveilleuse ; des petites mains de l’Enfant la rosée de la grâce se répandit sur eux et ils « se réjouirent d’une grande joie ».
Ces mains donnent et exigent en même temps. Vous, sages, déposez votre sagesse et devenez simples comme des enfants. Vous, rois, donnez vos couronnes, vos trésors, et humiliez-vous devant le Roi des rois : prenez sans hésiter votre part des peines, des souffrances et des fatigues que son service exige. Vous, petits, qui ne pouvez rien donner de vous-mêmes : les mains de l’Enfant prennent votre tendre vie avant même qu’elle ait commencé. Elle ne peut pas être mieux employée que sacrifiée au Maître de la Louange.
« Suivez-moi ! » disent les mains de l’Enfant, comme le diront plus tard les lèvres de l’Homme. Ainsi ont-elles appelé le jeune disciple que le Seigneur aima et qui, lui aussi, fait maintenant partie du cortège de la Crèche. Saint Jean, jeune homme au cœur pur, partit sans demander : où ? ni pourquoi ? Il abandonna la barque de son père et suivit le Maître sur tous ses chemins, jusqu’au Golgotha.
« Suivez-moi ! » cet appel, le jeune Etienne l’entendit aussi. Il suivit le Maître dans son combat, contre les puissances des ténèbres, contre l’aveuglement de l’incrédulité opiniâtre, et témoigna pour Lui, par sa parole et par son sang. Il marcha selon Son esprit, l’esprit d’Amour qui combat le péché, mais aime le pécheur, et qui, jusque dans la mort, défend, en face de Dieu, le meurtrier.
Ceux qui s’agenouillent autour de la Crèche sont ces fils de lumière : frêles innocents, bergers pleins de foi, rois humbles, Etienne, le disciple inspiré, et Jean, l’apôtre de l’amour, eux tous qui suivirent l’appel du Maître. En face d’eux, dans la nuit de l’inconcevable endurcissement et de l’aveuglement, se tiennent les docteurs de la Loi qui, sachant en quel temps et en quel lieu naîtrait le Sauveur, ne partirent pourtant pas à Bethléem, et le roi Hérode qui voulut faire aussi mourir le Maître de la Vie.
Devant l’Enfant de la Crèche, les esprits se divisent. Il est Roi des rois, le Maître de la Vie et de la Mort. Il dit : « suis-moi ! », et qui n’est pas pour Lui est contre Lui. Il nous le dit à nous aussi et nous met en demeure de choisir entre la lumière et les ténèbres.
Edith Stein, Le Mystère de Noël, Editions de l’Orante, p.29-34