de Marie Boeswillwald 28 février 2012
Interview de Michel-Olivier Michel – Temps de lecture : 7 mn
Michel-Olivier Michel met en scène la pièce tragi-comique Gabbatha[1], écrite par Fabrice Hadjadj[2] qui sera donnée à l’Espace Bernanos (Paris) du 6 au 25 mars 2012. Le jeune metteur en scène attache une importance toute particulière à la rencontre entre art dramatique et démarche anthropologique. A ses yeux, cette rencontre permettrait à l'esthétique théâtrale d'être véritablement le reflet d’un regard d'émerveillement et d'espérance posé sur le monde et sur l’homme. Afin d'en apprendre un peu plus long sur la genèse de cette pièce, nous avons posé quelques questions à Michel-Olivier.
Michel-Olivier Michel
1/ Peux-tu nous parler du lien si fort que tu établis entre la philosophie et le milieu artistique ?
Si je pars de mon expérience, je reconnais qu'après dix ans de pratique du théâtre, où l'imagination, la sensibilité et la subjectivité furent fortement sollicitées, la découverte de la philosophie m’a permis de trouver un équilibre, comme si ma raison avait besoin d’une certaine vérité objective.
De nos jours, on perçoit le philosophe comme un être particulièrement doué de raison mais désincarné, et l'artiste, comme un être passionné mais déstructuré… Ces images, évidemment caricaturales, disent néanmoins quelque chose de vrai. Deux manières d'approcher le réel qui sont certes complémentaires, mais trop séparées.
Or, il y a un lien tout naturel entre la philosophie et la pratique des arts : Si j'en crois Aristote, la philosophie est née parce que l'homme s'est étonné de ce qui l'entourait et de lui-même. Bien sûr, en exerçant son intelligence, il essaye de comprendre la cause des choses et d'y mettre de l'ordre, mais c'est avant tout un regard émerveillé, contemplatif qu'il porte sur le réel. De même, l'artiste est celui qui s'étonne de la beauté des choses (et aussi de leur laideur parfois mais comme une absence de beauté ?) et il rend compte de cette beauté, par le moyen qu'il possède, en l'exprimant de manière toute personnelle, parce qu'il a su saisir le temps d'un instant quelque chose de cette réalité.
Le philosophe a besoin de l'artiste qui est en germe en lui : il exprime la beauté de la chose, et par son intelligence, cherche à la comprendre ; de même l'artiste a besoin du philosophe en lui : il trouve la cause de la beauté qu'il a saisie dans telle chose et cherche à la reproduire.
2/ Selon toi, comment l'art théâtral peut-il rejoindre les interrogations spirituelles de nos contemporains?
Ce qu'il y a de spécifique dans le spectacle vivant c'est qu'il est… vivant ! C'est un art qui peut montrer l'invisible et sollicite la fois des spectateurs, il repose sur une convention reconnue par tous : pour que le spectacle ait lieu, le public doit croire à ce que dit l'acteur de ce qu'il a vu hors scène : " ce que je vous dis mais que vous ne voyez pas, vous devez le croire " sinon il n'y a pas de spectacle. C'est la base de la confiance… la base de notre foi. Je crois comme vrai ce dont témoignent les apôtres qui ont vu Jésus mort puis ressuscité… Mais moi,. je ne l'ai pas vu. La confiance c'est la base de toute vie sociale D'ailleurs, si je devais vérifier chaque chose qu'on me dit, la vie serait vite un enfer…
Dans un extrait de JEAN-PAUL II, une comédie musicale que j’ai écrite, Karol (jeune acteur et futur pape) et son amie Danuta abordent ce sujet, alors que les nazis ont envahi la Pologne et interdit toute forme d’art :
Danuta : A quoi bon faire du théâtre ? Nous vivons déjà une tragédie.
Karol : A quoi bon faire du théâtre ? Souviens-toi de ce que dit Shakespeare : Le théâtre n’est pas seulement un miroir de la vie, il lui sert aussi d’exemple, il permet de dire la vérité sur le bien et le mal et d’agir sur l’esprit de notre temps… jusqu’à arracher son masque au mal.
D : Arracher son masque au mal ! J’aimerais tellement pouvoir le faire…
K : …c’est ce que nous faisons à travers les mots en transmettant la pensée de nos poètes et leur combat pour la liberté.
D : Les mots ? Mais comment les mots peuvent-ils agir ?
K : Il faut que tu croies que la parole est vivante. Les mots sont comme une pulsion mystique. Ils agissent sur la conscience et le cœur de ceux qui nous écoutent, si nous donnons tout à travers eux, si nous nous donnons nous-mêmes.
3/ Peux-tu dire un mot sur ton métier de metteur en scène: une manière de "se faire serviteur de tous"? de se mettre à l'écoute des âmes? d'œuvrer pour l'harmonie au sein d'un groupe?
Dans le métier de metteur en scène, le cœur c'est la direction d'acteurs. C'est comme une maïeutique, il s'agit d'accoucher l'acteur de ce qu'il porte en lui, et souvent il ne le sait pas. Toute la difficulté est de ne pas lui imposer le résultat, mais de l'accompagner dans ce qu'il va trouver. Il faut du temps pour cela, et on en manque souvent, alors parfois, on fait au plus "efficace" : on lui dit ce qu'il doit faire, pire on lui montre… C'est un art qui ressemble à celui de la voile : pour atteindre telle destination il faut tirer des bords qui pourtant ne semblent pas les plus courts. Comme l'art de la peinture où il faut superposer plusieurs couches de couleur pour atteindre celle que l’on cherche. La mise en scène est une mission délicate qui nous est confiée car la pâte est une pâte humaine : le regard porté sur l'acteur doit être d'une grande bienveillance car sinon on peut faire des dégâts.
4/ Quel est le personnage de la pièce Gabbatha qui t'a le plus touché ?
Le personnage du "clown blanc" (scène « Méditation sur l'agonie ») me touche tout particulièrement parce qu'il est contraint, dans notre mise en scène, d'incarner toutes les situations tragiques de notre condition humaine. Il est un peu à notre image, prisonnier de sa condition d'homme. Mais il le vit comme un enfant : il est profondément atteint par ces horreurs qu'il découvre certes, mais il n'est pas détruit. Au contraire, il partage avec nous sa joie de croire et d'espérer en Celui qui est descendu "plus bas, plus bas encore […] pour être à ceux qui ont le dessous".
Pour plus d’information, consulter le site internet : http://www.espace-bernanos.com/theatre-gabbatha.php
[1] Gabbatha est à l’origine un livre d’art où sont réunies de belles méditations commentant le polyptique « Passion-Résurrection » du peintre Arcabas. Dans cette création pour la scène, huit personnages insolites et décalés interviennent au cours de scénettes où sont abordés les grands thèmes existentiels du sens de la vie, de la mort, du péché et de la grâce. Ils nous interpellent et nous interrogent sur notre condition humaine et le drame de la liberté qui nous est octroyée. Si le ton oscille de la farce à la tragédie, c’est en fin de compte l’espérance qui a le dernier mot. Espérance surnaturelle. Espérance « du désespoir surmonté », comme l’aurait dit l’écrivain français Georges Bernanos.