Eduviges Carranza, 67 ans, est née dans un village retiré de la montagne de San Ramon avec pour vocation : être peintre. Sa famille n’a jamais pu lui acheter un seul crayon de couleur, mais son désir et son enthousiasme pour dessiner était tellement intense, qu’elle malaxait la terre, les fruits et les fleurs afin d’en extraire la couleur.
Eduviges Carranza
A quatorze ans, Eduviges s’est enfouie pour échapper à un mariage forcé, puis à l’âge de 20 ans elle se retrouve veuve avec un enfant à charge. Son fils, devenu indépendant, elle supporte pendant plus de trois ans une maladie qui avait atteint ses os. Un médecin lui recommande des exercices pour se remuscler. Elle décide de retourner à son village natal et chaque jour, elle fait l’ascension d’une côte de 10 kms. Durant cette réhabilitation, elle commence à voir les différentes couleurs qui se cachent dans la nature et son désir de peindre resurgit de plus en plus fort. Elle décide de partir à la recherche de tous les pigments qui lui sont nécessaire pour pouvoir réaliser sa vocation. Il lui faudra « huit ans » pour recueillir toutes ces couleurs, huit ans à escalader les parois, descendre dans les canons de Costa Rica. Tout le monde la traite de « folle », mais seule cette « folle » peut voir les couleurs. Pendant ces années, elle a développé sa technique afin de peindre à partir de cette terre colorée. A 50 ans, elle peut – enfin – présenter son premier tableau et gagnera le premier prix lors d’une exposition. Entre les paillettes et le champagne, tout le monde fut surpris lorsque Eduviges se présente en jeans et chemisette, et déclarant qu’elle n’a étudié dans aucune université ou école d’art. Seule sa folie de peindre l’a entraînée à parcourir tout le pays pour obtenir la matière première, qu’elle ne pouvait s’offrir. A partir de cet événement, elle reçut le soutien de nombreux organismes qui l’aidèrent à exposer.
Eduviges répond à nos questions :
Quelle est la relation entre l’art et la nature ?
La relation est UNE, la nature est l’œuvre de Dieu. Dieu nous permet d’être heureux en mettant la nature à notre disposition. Je suis remplie de joie et je me sens réalisée parce que j’ai réussi grâce à l’enthousiasme et au don que le Seigneur m’a donné de pouvoir être ce que je suis, et faire, ce qui naît du plus profond de mon être.
Que savourez-vous le plus dans l’art ?
TOUT ! Je suis née avec le désir de peintre. Je savoure quand je peins, quand je pars à la recherche des pigments, quand je mouds les pierres, quand j’expose, quand je rencontre les personnes qui viennent voir une exposition, quand je donne des conférences, quand j’enseigne. Parfois, je rencontre des personnes qui se laissent mourir de dépression et je leur conseille de rechercher ce qui les rend heureux (cela peut-être simplement arroser un jardin…).
A 67 ans, je continue à escalader les montagnes du Costa Rica. J’ai rencontré, en tout, 73 tonalités de couleurs : 18 tonalités pour le jaune, 23 pour le rouge, 13 pour le violet, il y a aussi le vert, le blanc, le noir et le bleu. J’ai découvert le bleu, quinze ans après avoir commencé à explorer les richesses de la nature et je dois avouer que c’est la nature elle-même qui s’est offerte à moi ! Je ne veux pas mourir de dépression mais d’émotions ! Vivre le présent.
Comment l’art peut-il guérir une personne ?
J’ai fait cette expérience avec une personne qui vivait dans un centre de réhabilitation (alcoolique anonyme). Il était très grognon, insupportable avec le personnel. Je lui ai proposé de venir peindre à l’atelier. Il n’avait jamais touché un pinceau de sa vie, mais dès qu’il eut le pinceau entre ses mains il s’est transformé… Il est décédé peu de temps après, mais il a eu le temps de peindre 4 tableaux. Je suis heureuse de pouvoir partager ce don que le Seigneur m’a donné afin de soulager, un temps soit peu, la douleur d’une vie.
Que dire à une personne qui veut se consacrer à l’art mais qui pense qu’elle n’a pas le talent suffisant ?
Si une personne a le désir de l’art cela signifie qu’elle a déjà le talent. Elle n’a pas besoin d’étudier, il faut s’armer de patience, redoubler d’efforts et d’enthousiasme. Ne laisser personne voler notre enthousiasme. Avoir confiance en Dieu et en soi, car tout est possible. La phrase : « je n’en peux pas » n’existe pas dans mon vocabulaire.
Je pense que le contact avec la nature me donne une énergie incroyable et aussi le fait que je dois mettre tout mon être en action pour pouvoir peindre. Tous les jours je mouds des pierres pour remplir une bouteille de pigment…
Comment avez-vous acquit votre technique ?
Comme je n’ai jamais étudié, la technique est venue après des heures et des heures d’efforts et de pratique. L’art sort de l’âme. Notre corps est une matière dense, pesante mais l’âme est subtile. Il faut mettre son corps à travailler pour dominer la torpeur, la pesanteur afin qu’une ombre de ce qui existe de l’âme puisse jaillir.
Que faîtes-vous quand l’inspiration vous manque ?
Je m’arrête de peindre uniquement lorsqu’ apparaît des douleurs musculaires, car normalement je peins tous les jours et si je ne peins pas, je lis ! Je lis deux à trois livres par semaine. J’aime la métaphysique et l’histoire ancienne (les pyramides…).
Reportage en espagnol sur Eduviges Carranza