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Hommage à la Sainteté de Benoît XVI

« Si à cette heure si tardive de ma vie, je jette un regard sur les décennies que j’ai parcourues, je vois d’abord combien j’ai de raisons de rendre grâce ». C’est par ces paroles que s’ouvre le testament spirituel du pape émérite. À leur lecture, je ne puis qu’entrer en consonance avec ces mots vibrants de reconnaissance et adresser, à mon tour, au travers de cette lettre, une action de grâce fervente à l’Auteur de tous les dons, Dieu lui-même, pour le don inestimable de son « humble ouvrier dans la vigne du Seigneur », le pape Benoît XVI.

 

Le pape Benoit XVI (Photo)

 

En quoi la personne, l’enseignement et l’action du pape émérite sont-ils pour nous un don précieux ?

Mes propos ne se veulent ni un tour d’horizon biographique, ni un exposé didactique de sa pensée, encore moins un inventaire méticuleux de sa sphère d’influence en tant que prêtre, professeur, évêque et pape. Ces lignes n’y suffiraient pas et d’autres fins connaisseurs de sa personne et de son œuvre y pourvoiront bien mieux que moi. Je me contenterai de quelques traits saillants qui m’ont frappé et touché et que je désire confier à l’intelligence de votre cœur.

Un premier trait qui me vient à l’esprit est son souci permanent de l’unité de l’Europe et de l’Église. À ce propos, le choix même de son nom de pape en est déjà l’évidente confirmation. Le cardinal Joseph Ratzinger se met sous l’illustre patronage de Saint Benoît [1]490-560 , patron de l’Europe. Le pape émérite n’avait de cesse de rappeler les fondements de l’Europe et l’importance cruciale de son unité. Son magistral « discours aux Bernardins » [2]12 septembre 2008 en livre un témoignage apodictique. En revisitant les origines de la théologie occidentale et les racines de la culture européenne, il termine sa brillante conférence par un « état des lieux » de la culture européenne et une audacieuse solution pour en garantir l’avenir ! « Pour beaucoup, dit-il, Dieu est vraiment devenu le grand inconnu. Malgré tout […] l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne. « Quaerere Deum » : Chercher Dieu et se laisser trouver par Lui ; cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à l’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable ».

Pour comprendre Benoît XVI, il faut d’abord se laisser interroger par les questions que lui-même se posait et s’est posé tout au long de son existence. Entrer dans sa pensée, c’est apprendre à se défaire des raisonnements simplistes d’un style exclusif et binaire (ou bien… ou bien), c’est se détacher des choses pour en saisir toute la complexité et en même temps en discerner la cohérence et l’unité.

Les faits, pour livrer leur signification, doivent s’inscrire dans une unité qui à la fois les dépasse et les inclut. Rien ne lui est plus étranger qu’une pensée polarisée. Ainsi ne pouvait-il accepter la polarisation classique entre conservateurs et progressistes dans laquelle on le presse et l’enferme par simplisme et paresse d’esprit. Benoît XVI est trop subtil pour être rangé dans une catégorie.

Doué d’une mémoire prodigieuse, le pape émérite fut à sa manière un conservateur et transmetteur, car connaisseur finement nuancé de tout ce qu’il étudiait avec passion et patience, avec comme but ultime la recherche et la découverte de la vérité. Celle-ci se réalise dans l’unité. Ainsi l’unité devient la manifestation de la vérité. À travers le temps, l’unité prend la forme de la continuité, d’où son « herméneutique (art de l’interprétation) de la continuité » selon laquelle la vérité se déploie au fil du temps sous la forme de la tradition vivante.

Ainsi, pour l’avoir étudié avec acribie, Benoît XVI avait mesuré toute la valeur de l’immense patrimoine de la culture occidentale, comprise et vécue non comme une réalité muséale et pétrifiée, mais à la manière d’une source continue et actuelle d’inspiration ; non comme un enfermement dans une étroitesse identitaire, mais à la manière d’une ouverture, d’une amorce de dialogue avec les autres cultures et religions qui n’avaient en rien échappé à sa curiosité et à son amour de la connaissance. Selon lui, sans conscience du passé, aucune stabilité dans le futur. Grâce au pouvoir de la mémoire vivante, le passé interroge le présent et illumine l’avenir, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un peuple.

Selon Benoît XVI, la société contemporaine devrait reprendre conscience qu’elle est héritière, qu’elle vient après coup et n’a pas tout inventé : il s’agit donc de considérer la réalité du monde et de la culture d’abord comme un don et non exclusivement comme un produit de fabrication à maitriser et à exploiter. C’est une idée phare de Benoît XVI que d’avoir cerné l’influence déformatrice d’une certaine logique instrumentale et technicienne qui envisage le réel dans la stricte catégorie de la production et de la faisabilité en oubliant qu’il est aussi et d’abord un don. Cette vision étriquée conduit à croire et à agir selon le principe que tout se construit, se manipule et se déconstruit à volonté. Ainsi en va-t-il aujourd’hui de l’être humain, de sa culture, même dans sa dimension religieuse.

Ainsi l’Église se reçoit-elle avant tout comme un don de Dieu ; elle n’est pas le simple produit d’une construction humaine modulable à discrétion. Il en résulte que l’unité de l’Église est le fruit du Saint Esprit et non la mise en œuvre de stratégies, l’habile orchestration de manœuvres humaines. L’unité se construit dans la charité et la vérité et non dans une entente au rabais. Le pape émérite fut déjà à l’âge de 35 ans un des théologiens très écouté et initiateur de réformes lors du Concile Vatican II. Avec d’autres théologiens, il posa les principes d’un authentique dialogue œcuménique et le pratiqua avec le souci réel de la charité et l’exigence incontournable de la vérité. Si l’unité est la preuve de la vérité, selon son affirmation, alors ce n’est pas le consensus qui fonde la vérité, mais la vérité le consensus : [3]« Nicht der Konsens begründet die Wahrheit, sondern die Wahrheit den Konsens » . Cette recherche commune et infatigable de la vérité assortie d’un respect et d’une charité inlassables sont les critères d’un dialogue œcuménique et interreligieux qui ne se contente pas d’arrangements, de politesse et de bonne entente. Beaucoup voudraient s’en contenter, pas lui ! La vérité dans la charité [4]Cf Encyclique « Caritas in veritas » , est au fondement de sa pensée et de son agir. Ainsi a-t-il cultivé un dialogue assidu avec l’Église Sœur d’Orient (orthodoxe) de laquelle il se sentait particulièrement proche par la théologie et la liturgie orientales dont il était un connaisseur réputé. L’Église issue de la réforme lui était, comme Allemand, particulièrement connue. Là encore, il procède avec la même exigence de ce qu’il entend par dialogue : si la réalité est confuse, chargée de malentendus, il faut pour la comprendre une intelligence toute en nuance et en finesse et un cœur bon et bienveillant. Ces qualités, Benoît XVI les possédait à un degré très estimable. Il était homme de dialogue.

Mais, entendons-nous par le terme « Dialogue » : 1) Se défaire des préjugés et malentendus souvent historiques et culturels. 2) Essayer de comprendre l’autre : la cohérence de ses paroles et sa manière d’être et de sentir. 3) Oser, sans abandonner ses convictions, une recherche commune de la vérité qu’on ne peut brader par commodité au risque de tomber dans le relativisme. La vérité peut avoir plusieurs sens, s’approcher et se dire de différentes manières, mais il n’y a pas qu’une vérité, au service de laquelle il convient de se mettre humblement. Procéder ainsi exclut des avancées à pas de charge et modère l’enthousiasme de ceux qui réduisent l’unité à un faire ensemble en gardant sous silence les différences de conception et de doctrine qui empêchent une communion véritable et durable. Une unité sans contenu demeure vide et se décompose [5]« Einheit ohne Inhalt bleibt leer und verfällt » . Benoît XVI, comme Allemand, eut aussi à cœur de renouveler la vision des rapports entre Judaïsme et Christianisme. Il abolit les anciens préjugés pour aplanir le chemin d’un dialogue, voire d’une réconciliation. Dans le dialogue avec les autres religions, auxquelles il avait voué son ingénieuse érudition et son ouverture d’esprit, le pape émérite garda sans se troubler le même cap.

Il est vrai qu’après l’optimisme enthousiaste du renouvellement attendu du Concile, sa lucidité prévoyante lui fit prendre rapidement des distances, à l’égard de ceux qui l’interprétèrent et le mirent en œuvre dans un esprit de rupture ; ce qu’il dénomme : « l’herméneutique de la rupture », une interprétation du Concile dans un esprit de rupture avec ce qui précède. Jean XXIII avait comparé les bienfaits du Concile à l’ouverture d’une fenêtre livrant passage à l’air frais ; brise rafraichissante et revigorante dans une atmosphère qui sentait quelque peu le renfermé. Bien d’autres l’interprétèrent comme un puissant levier pour faire sortir de leurs gonds les portes de l’Eglise où firent irruption les violentes bourrasques de la contestation, de l’iconoclasme et de la révolution. Joseph Ratzinger en eut un avant-goût lors de la révolte des étudiants qui le marqua en profondeur. Certains s’approprièrent en effet le Concile pour faire table rase de la tradition, de tout l’héritage presque bimillénaire de l’Eglise. Ce fut pour eux le signal d’un commencement absolu, d’une nouvelle Eglise à refaire de fond en comble. La liturgie fut le premier terrain d’expérimentation de la vague révolutionnaire. Tout s’y dit, tout s’y fit !

Comme témoins autorisés du Concile et inspirateurs de ses réformes, Joseph Ratzinger, Hans Urs von Balthasar, Louis Bouyer, avec d’autres éminents théologiens, manifestèrent leur inquiétude, sinon leur franche opposition à une certaine mise en œuvre de la réforme liturgique étrangère ou au moins très peu conforme à l’esprit du Concile. Il est inutile de rappeler que les débordements d’un côté et les raidissements de l’autre conduisirent à un schisme dont Jean-Paul II puis Benoît XVI essayèrent d’endiguer les conséquences délétères. La liturgie est loin d’être indifférente à la vérité de la foi et à la juste et digne communion avec Dieu et des fidèles entre eux. Car selon l’antique adage « Lex orandi, lex credendi », l’Eglise croit comme elle prie. La manière de célébrer engage la manière de croire.

Benoît XVI en avait une vive conscience. Il était un éminent liturge et tout son être était entièrement tourné vers la liturgie. Cela se manifestait par une atmosphère de joie et de solennité qui se dégageait de lui lorsqu’il célébrait. Il savait que cet instant était « la source et le sommet de la vie chrétienne », et cette prise de conscience remplissait son cœur de joie et d’admiration. Cela débordait sur son visage et rayonnait à travers tous les gestes de son corps. Benoît XVI incarnait au sens propre du terme « l’esprit de la liturgie ». Cette expression « Der Geist der Liturgie » devint le titre même d’un ouvrage qu’il publia en 2001 et qui représente une forme de synthèse de son expérience et de sa pensée à propos de la liturgie. Cette contribution majeure à la juste compréhension et à la digne pratique de la liturgie s’inscrit dans la grande tradition de l’Eglise dont la réforme de Vatican II, du moins dans son intention, est une étape dans un développement continu. Une liturgie authentique n’est pas le produit sur mesure fabriqué pour répondre à un besoin rituel religieux ou simplement festif. Elle est un don qui vient de plus loin que nous-mêmes et ne peut donc se situer en rupture avec ce qui précède, mais dans une continuité réformatrice, un développement purificateur : « L’histoire de la liturgie – dit-il – est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture ». Là encore la vérité se manifeste à travers l’unité : cette synchronique, qui unit les fidèles d’une même époque, mais aussi celle diachronique qui unit au fil du temps des fidèles dans la célébration d’une même foi.

C’est ce constant souci de l’unité qui conduisit le pape émérite, en 2007, à ouvrir largement et généreusement aux prêtres et aux communautés la possibilité de célébrer la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970 et dont les origines remontent au IVe siècle pour ses parties les plus anciennes. Par ce geste d’ouverture, le pape émérite avait œuvré avec succès en faveur de la paix liturgique et de la réconciliation à l’intérieur de l’Eglise catholique romaine. Son successeur n’embrasse malheureusement pas ce point de vue et risque ainsi de fomenter à nouveau troubles et divisions. La fonction du pape est justement d’être le garant de l’unité et de la paix par le lien de l’amour. La vocation du pape est de veiller et d’assurer la communion des fidèles à travers l’espace et le temps. Par le ministère confié à Pierre, Jésus lui assura, ainsi qu’à ses successeurs, l’assistance de son Esprit d’amour et de vérité. Le pape est le serviteur et garant de l’unité dans l’amour et dans la vérité : la vérité, « lieu » de division des esprits et de leur rencontre.

La question à la fois théologique et philosophique de la vérité est au fondement de la réflexion de Benoît XVI.

Elle lui trace son orientation constante. Je dirais même qu’il est littéralement habité par la passion de la vérité, au double sens du mot passion : désir intense de la vérité et souffrance acceptée pour en témoigner. Toute sa pensée et son agir sont une réponse vigoureuse à la crise de la foi religieuse, mais aussi à la crise de la foi en la raison, en sa vocation et sa capacité de chercher et d’atteindre le vrai. La vérité est, en effet, la source de tout ce qui est, elle en est la raison d’être première et la légitimité ultime. C’est elle qui rend le réel compréhensible à l’intelligence, le revêt de bonté qui appelle l’amour, et ainsi donne sens et orientation à la volonté et donc à l’agir humain. Pour Benoît XVI, la vérité suprême est Dieu lui-même, car il est l’Amour et la Raison en personne. Il y a certes des chemins variés qui conduisent à la vérité, mais la vérité est une. Dénier à l’homme la capacité d’atteindre la vérité conduit au relativisme : le vrai, le bon, le juste… sont définis et légitimés en fonction de chaque individu. Il n’y a donc plus de valeurs ni de normes universelles. L’être humain est alors exposé à l’arbitraire, à l’égoïsme, au nihilisme. Le relativisme est le règne de la confusion et finalement de l’indifférence.

Le pape émérite conclut par ce triste constat : « Wo alles gleich gültig ist, wird auch alles gleichgültig » (Là où tout se vaut, tout devient aussi indifférent). Selon lui, cette crise intellectuelle s’étend à la totalité de la culture occidentale, à la manière dont l’être humain se comprend, agit et vit dans son rapport aux autres, au monde et à Dieu. Benoît XVI discerne et cerne le cœur de la crise de la vérité dans le divorce ou l’indifférence réciproque entre foi et raison. Ne pouvant traiter dans le contexte de cet éloge une question si vaste et dense, je me permets de vous renvoyer à ma série de conférences sur ce sujet et surtout au fameux discours de Ratisbonne que Benoît XVI prononça en 2006 et qui fut l’objet d’une mésinterprétation notoire. Son sujet n’était pas de se livrer à une critique de l’Islam, mais de mettre en lumière que le dialogue entre la raison et la foi est à l’origine de la culture européenne. Il affirme que la foi est raisonnable, car le Dieu chrétien est « logos » : raison et Parole (Prologue de Saint Jean). La foi cherche par principe à se comprendre : « fides quaerens intellectum ». Dès lors, la rencontre intime entre la foi biblique et les interrogations de la philosophie grecque ne s’est pas produite par hasard. Il plaide enfin pour un dépassement d’une conception de la raison réduite au positivisme mathématique et à l’empirisme exclusif.

Le rétrécissement du rayon de la science et de la raison empêche de se poser les questions radicales sur le sens et le fondement ultime de la vie humaine, de l’éthique et de la politique. « Les questions spécifiquement humaines sur nos origines et notre destinée, les questions soulevées par la religion et l’éthique, ne trouvent alors plus de place dans le champ de la raison communément définie par la « science », mais doivent être reléguées dans le champ de la subjectivité. » Cette rupture peut entrainer une « pathologie » de la raison et de la religion. Pour avoir vécu l’horreur du nazisme, Benoît XVI rend attentif qu’une raison trop étroite qui exclut Dieu par principe et affranchit son domaine de toute sagesse religieuse et de toute référence morale, court le danger de légitimer même sous couvert de démocratie une dictature totalitaire. Dans ce contexte, il pose la question cruciale de savoir où trouver le fondement éthique des choix politiques qui lient les hommes par des devoirs réciproques, expressions d’un droit qui oblige au respect de chaque homme au nom d’une dignité intouchable. Mais d’où lui vient cette dignité ? Les célèbres discours prononcés en 2010 à Londres devant le Parlement et la British Society, ainsi qu’en 2011 à Berlin devant le Bundestag, apportent une réponse lumineuse dans un développement d’une logique limpide. Le dialogue entre le cardinal Ratzinger et le philosophe Jürgen Habermas était déjà une contribution prometteuse à la question de savoir ce qui permet et justifie l’être et le vivre ensemble des humains. La réflexion de Benoit XVI culmine dans les affirmations : « Nichts der Konsens begründet die Wahrheit, sondern die Wahrheit den Konsens » (Ce n’est pas le consensus qui fonde la vérité, mais la vérité qui fonde le consensus). « Wahrheit ist keine Mehrheitsfrage » (la vérité n’est pas une question de majorité). La vérité ne se décide pas, elle ne se fabrique pas, elle s’offre à la reconnaissance et à la connaissance.

Il n’aura pas échappé au pape émérite que l’affirmation non équivoque d’une vérité non relative ouvrait le débat houleux entre le relativisme d’une pluralité soit disant tolérante et le soi-disant absolu d’une unité intolérante. Rechercher la vérité, s’y ouvrir et la proclamer humblement est-ce obligatoirement un acte d’intolérance ? La paix et l’unité ne sont-elles possibles qu’en renonçant à ce qui est vrai ? Déjà comme professeur de théologie, Joseph Ratzinger fit face à ce dilemme apparemment irréconciliable avec la douce force persuasive de sa pensée et de sa personne. Benoît XVI reste fidèle à lui-même : sa pensée ; ses convictions constituent sa personne, éclairent son expérience et dirigent son action.

En guise de conclusion, je ressaisis sa conviction fondamentale en quelques mots : la vérité représente et définit ce qui constitue en profondeur la réalité des choses et des personnes, car elle en est l’origine, la mesure et l’accomplissement futur. Cette vérité se dévoile peu à peu comme le Dieu Trinité : unité d’amour dans la différence des personnes. La vérité ne peut se déployer, être comprise et se vivre que dans cette tension exigeante entre la recherche de l’unité et le respect des différences légitimes. Il n’y a pas d’amour sans vérité, au risque de le réduire à un sentimentalisme passager et à une unité sans contenu d’individus dont la liberté peine à s’engager. Comme il n’y a pas de vérité sans amour, au risque de la réduire à un totalitarisme uniforme d’une masse informe bêtement obéissante.

Pour comprendre en profondeur une personne, sa pensée et son action, il faut un minimum d’empathie et de sympathie, simplement une ouverture bienveillante à l’autre en tant qu’autre. L’histoire qualifiera d’injuste et d’aveugle une partie de cette génération pour n’avoir pas compris Benoît XVI livré aux jugements souvent simplistes, partisans et mensongers de la tyrannie médiatique, qui distille sans vergogne rumeurs et clichés nourris d’ignorance, de malveillance, voire d’arrogance. C’est le travers de certains esprits superficiels et grossiers que de vouloir enfermer les personnes dans des catégories. Or, Benoit XVI déborde toutes les catégories, ce qui met mal à l’aise un semblant de pensée insensible aux délicates nuances et aux fins balancements. Le pape émérite n’avait rien d’un « Panzer ». Derrière sa silhouette fluette et élégante se cache un homme certes timide, mais d’une courtoisie distinguée et attentive. Son expression précise, juste et d’une beauté savoureuse lui valent le titre de « Doctor Melifluus », un enseignant dont la parole coule comme le miel. Certains n’y perçurent qu’un goût acide et rance. On ne lui a pas pardonné sa lucidité supérieure à discerner les grands enjeux de notre temps et sa courageuse détermination à dénoncer ce qui risquait d’entamer la dignité de l’homme, de ruiner l’humanisme d’une culture sans Dieu, de détruire une nature sans autre référence que celle d’une matière à exploiter. Reste à souligner que ce qui rendit Benoit XVI particulièrement vulnérable fut son piètre sens de l’administration et l’absence d’une forme de ruse ou d’habilité propre à déjouer les intrigues et les coteries de son entourage. Il n’a pas toujours su s’entourer de bons conseillers et d’alliés efficaces.

Le pape émérite avait mesuré l’ampleur des réformes à accomplir. C’est lui, comme premier pape qui, malgré tous les reproches de certains compatriotes particulièrement, entreprit de lutter contre la pédo-criminalité, tout en se sentant dépassé, en raison de son âge et de sa force physique, par l’étendue des réformes ou même des assainissements à mener à bien. Sa lucidité, son humilité le conduisirent alors en 2013 à cet acte d’une modernité insoupçonnée : sa démission ! C’est à bon droit, sans doute, que Nicolas Diat a pu intituler sa biographie de Benoît XVI : « l’homme qui ne voulait pas être pape ». On sait gré à celui qui se serait volontiers contenté d’une vie de professeur et de théologien, à l’écart des foules et de l’agitation du monde, comme d’ailleurs des critiques qui n’ont cessé de l’accabler, d’avoir accepté sa charge humblement, conscient de ses limites comme gage de son obéissance à la volonté de Dieu en vue d’un bien supérieur. Mais c’est peut-être justement, parce qu’il aura vécu toutes ces responsabilités par amour de Dieu et des hommes, dans un esprit de sacrifice et de service qu’il aura pu accomplir une œuvre aussi remarquablement féconde.

Benoît XVI, cet homme frêle et fragile d’apparence cachait un géant. L’héritage qu’il laisse à l’Eglise et au monde est monumental. Il faudra des années, peut-être des décennies pour apprécier sa stature intellectuelle, sa grandeur morale et son envergure spirituelle. Soyons nombreux et fervents à lui rendre l’offrande de notre prière et l’hommage de notre reconnaissance.

References

References
1 490-560
2 12 septembre 2008
3 « Nicht der Konsens begründet die Wahrheit, sondern die Wahrheit den Konsens »
4 Cf Encyclique « Caritas in veritas »
5 « Einheit ohne Inhalt bleibt leer und verfällt »
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