Quand on entre dans l’œuvre de Bach, on est étonné devant le travail qu’il a fourni en termes de cohérence théologique, de texte, de tonalités, de nombres symboliques, tout en partant de ce qu’il disposait de chanteurs ou d’espace. La présence des deux chœurs qui se répondent offre une grande richesse.
© Yaryna Rudnyk
Du point de vue purement musical, l’époque de Bach voit une évolution du tempérament (la manière d’accorder les instruments), qui permet d’obtenir une harmonie. On passe ainsi du contrepoint où l’écriture est horizontale (superposition organisée de lignes mélodiques distinctes, avec un rythme différent voire décalé, utilisé à plusieurs reprises dans la Passion) à l’harmonie où l’écriture est verticale (que l’on retrouve souvent pour le chant de la fiancée).
Écouter à partir de 36min02
Pierre a tout au long de la passion des réactions très humaines : rapides et impulsives. Dès Gethsémani, Pierre dit qu’il ne reniera jamais. La promesse de Pierre est encadrée par deux chorals, la pierre sur laquelle l’Église sera fondée est entourée du chant de la fiancée, de l’Église. A la suite de Pierre, elle dit : « Je veux rester près de toi ». Et pourtant, son chant est aussi la sixième strophe du fameux O Haupt voll Blut und Wunden, Ô Tête pleine de sang et de blessures. Nous découvrons ce douloureux parallèle entre l’amour du Christ, qui s’exprime par un désir total de fidélité, et, malgré cet amour, la conscience d’avoir failli, d’être cause de toutes ces blessures. Tout comme Pierre qui malgré sa promesse sincère, va renier.
De son côté Jésus lui répond avec une voix de basse. Comme dit précédemment, la musique de Bach est figurative, la voix de basse représente l’humanité : le Christ s’est abaissé, prenant la condition humaine.
Sa voix est pleine d’autorité, toujours très calme. Elle est également accompagnée par des notes longues, jouées par le quatuor à corde (violoncelle, alto et deux violons) : la basse, jouée par le violoncelle (rappelant son humanité), et les aigus du violon, au-dessus de lui, telle une auréole (rappelant sa divinité). Cet accompagnement se répète chaque fois que le Christ parle, et seulement pour lui.
Il n’y a qu’une exception dans l’exécution de cet accompagnement. Connaissant maintenant un peu mieux la profondeur de Bach, cela ne nous étonne pas de noter que sur la croix, il ait choisi de taire les violons : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? ».
Écouter à partir de 2h19m05
Pour en revenir à Pierre, l’épisode de son reniement est chanté par une basse. Tout est assez concis, Pierre répond brièvement, à peine soutenu par l’orchestre, comme s’il se cachait. Le récitatif est entièrement écrit en majeur, une note tragique, sauf pour la dernière réplique de Pierre. Celle-ci est écrite en mineur, annonçant son désarroi et sa tristesse, qui éclate pleinement au chant du coq annoncé par l’évangéliste.
Écouter à partir de 1h13m22
Viennent alors les larmes de Pierre, le célèbre « Erbarme dich », avec la poésie de Picander. Un autre soliste intervient, cette fois un alto selon les indications de Bach, autrement dit, un chant empli par la grâce. Contrairement aux autres épisodes où Pierre chante en récitatif sec (seul), ici ses larmes sont accompagnées par un violon seul, exprimant encore plus sa solitude, comme une allégorie de la tristesse de Pierre. Tout l’aria se déroule en contrepoint, où la voix et le violon ont chacun une mélodie à part entière, entrant régulièrement en dissonance, toujours suivie d’un intervalle à la note suivante qui « résout » la dissonance. La structure de l’aria est ternaire, faisant penser à un Kyrie.
Prends pitié, ô mon Dieu,
Pour contenter mes larmes !
Vois ici, devant toi, un cœur
et un œil pleurent amèrement.
Prends pitié, ô mon Dieu.
Yaryna Rudnyk, artiste Ukrainienne en début de parcours et actuellement étudiante à Paris. Dans sa pratique, elle découvre la fusion entre les arts appliqués et les beaux-arts, et travaille avec la peinture, l’impression et le textile. A propos des oeuvres utilisées dans les articles: « La photo est un détail d’une œuvre plus importante. Les prémices d’un travail portant sur le Christ ressuscité. Au départ, ce travail portait sur le caractère éphémère des choses et sur ce qui nous différencie en tant qu’êtres humains, à savoir l’Esprit. C’est pourquoi j’ai travaillé sur l’effet de la rouille, parce qu’elle me rappelle la manière dont les objets métalliques solides, brillants et utiles deviennent inutilisables avec le temps, ils se décomposent. Cependant, le motif me fait penser à un fil, ou plutôt à une couronne d’épines. Cela me fait penser au corps qui peut être tué, mais aussi à l’amour immortel qui le ressuscitera plus tard.» Instagram de Yaryna