Guy de Buttet, bénévole au sein de la Maison Médicale Jeanne Garnier, est aussi postulateur de la cause en béatification de Jeanne Garnier, pionnière des soins palliatifs en France. Il nous introduit dans la vie et l’œuvre de cette femme encore trop peu connue.
Jeanne Garnier
Comment en êtes-vous venu à vous pencher sur la figure de Jeanne Garnier ?
Bénévole dans la Maison qui porte son nom, c’était la moindre des choses de s’interroger sur la personne dont on avait donné le nom à cette remarquable institution, et je n’ai que trop tardé, plus de 4 ans avant de m’y intéresser !
Qui est cette femme, comment a-t-elle commencé à s’occuper des malades incurables, et qu’est-ce qui vous marque dans sa vie ?
Jeanne Chabod naît à Lyon en 1811 de parents négociants en sel. Elle fera quelques études, puis aidera au commerce de ses parents. Elle épousera Jean-Etienne Garnier, lui aussi commerçant (fers et quincaillerie) et ils ont la joie d’accueillir un premier enfant, Pierre-Claude. La joie sera courte, car le bébé meurt après seulement quelques jours. Un peu plus tard, Jeanne donne naissance à une petite Marie-Suzanne, qui est mise en nourrice… et qui décède elle aussi après quelques jours, au moment où Jean-Etienne est à son tour frappé d’une maladie qui le foudroie aussitôt.
Jeanne a 24 ans et affronte une terrible et relativement longue épreuve de ces multiples deuils cruels. Elle se tourne progressivement vers les autres, notamment à travers les œuvres de sa paroisse, puis, à l’issue de plusieurs retraites, elle résout de se consacrer entièrement à l’accueil et au secours des « incurables », ces pauvres femmes dont les hôpitaux ne veulent pas, et qui vont finir leur vie dans la misère la plus noire et dans des souffrances sans soin ni consolation. Ce qui me marque dans la vie de Jeanne, c’est son caractère entier, sa résolution, sa dévotion et son humble vénération du Calvaire qui va sublimer sa grande peine au profit de l’œuvre magnifique qu’elle a le courage de fonder en 1842. Foi, tendresse, persévérance pour surmonter tant de difficultés. Jeanne mourra en 1853, âgée de seulement 42 ans.
Qu’est-ce qui vous semble important dans sa spiritualité ?
Jeanne ne fait rien à moitié, c’est son tempérament. Alors, elle se donne entièrement : ferveur de sa prière, accueil illimité (au prix de péripéties immobilières quasi-miraculeuses) des malades « les plus répugnants », mission de sanctification personnelle d’elle-même et des quelques veuves qui l’ont rejointe dans son entreprise, ainsi que – autant que possible et avec tendresse – des malades (souvent « de mauvaise vie »). Jeanne se tient toujours au pied de la Croix et ne cesse de s’humilier devant tant d’Amour auquel elle remet tout ce qui lui est donné de faire au service des pauvres malades. Ce que nous savons de ses prières illustre une foi brûlante et très humble à la fois, à l’adresse de Notre Seigneur, de la Très Sainte Vierge, de Saint Joseph, de Sainte Jeanne de Chantal.
J’ajoute que Jeanne n’est pas une figure triste ! Elle démontre un entrain, un humour et une joie qui surprennent. Je ne sais plus qui a dit qu’ « un saint triste est un triste saint ».
Une anecdote de sa vie qui vous touche plus particulièrement, en tant que postulateur de sa cause en béatification ?
Habitée par l’Esprit-Saint, Jeanne fait preuve de jugement, et elle est capable de discernement : elle renonce – à regret – à transformer l’œuvre des Dames du Calvaire qu’elle a fondée en congrégation religieuse, faute de consensus suffisant. De même, elle tenait beaucoup à serrer sur son lit de mort la croix pectorale de Saint François de Sales qui lui avait été offerte, mais elle y a renoncé, à la demande du Cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, à qui elle a donné cette précieuse relique. Chez Jeanne, au renoncement s’ajoutent non seulement la délicate attention mais aussi l’entièreté du don, tout ce qui peut restaurer l’humanité abîmée des malades qui n’ont plus figure humaine. L’une d’elles demande des huîtres, à la grande indignation de la Dame du Calvaire de service ce jour-là. Jeanne va trouver et apporter des huîtres, coûteuses certes, mais servies de tout cœur, et donnant au passage une petite leçon de charité sans limite à la Dame du Calvaire trop économe.
Et puis, l’anecdote de l’acquisition du Clos de la Sara souligne le caractère très pratique des prières que Saint Joseph se plaît à exaucer : Jeanne convoitait cette propriété dotée d’une grande maison, d’une ferme, d’un potager et d’un verger, de quoi accueillir plus de 60 malades, mais les fonds manquaient. Jeanne demande à visiter une nouvelle fois le domaine et cache subrepticement une petite statue de Saint Joseph dans le jardin. Et voilà que le prix baisse de près d’un tiers et permet l’acquisition. C’est là que Jeanne décèdera un an plus tard, dans cette maison qui est aujourd’hui l’Hôpital de Fourvière, toujours fidèle à l’esprit de Jeanne et des Dames du Calvaire.
Pourquoi songer à ouvrir un procès en béatification de Jeanne Garnier ?
Pour les trois raisons que j’ai exposées dans ma lettre initiale au Cardinal Barbarin, archevêque de Lyon :
– ce que je pouvais percevoir de l’héroïcité des vertus de Jeanne ;
– la pérennité et le développement de l’œuvre qu’elle a fondée (c’est l’Esprit qui fait que nos œuvres demeurent) ;
– l’actualité brûlante des sujets de bioéthique, notamment sur la fin de vie et sur les soins palliatifs dont Jeanne a été la précurseur inspirée.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de la Bande Dessinée qui relate la vie de Jeanne Garnier ? Comment a-t-elle vu le jour ?
« Délégué de l’Évêque en charge des causes des saints », le Père Peyret m’avait recommandé, au titre de mon rôle de postulateur de la Cause, de faire prier et faire connaître Jeanne Garnier. Pour susciter la prière, j’ai pu mobiliser un grand nombre de monastères et congrégations qui ont fait bon accueil à ma requête, et j’ai édité une « carte de dévotion » comportant prière et résumé biographique. Pour faire connaître Jeanne, l’idée – un peu folle – a surgi d’écrire et faire publier une BD. Encore une belle inspiration de l’Esprit Saint tellement présent dans toute cette aventure. Un éditeur m’a très vite fait confiance et m’a proposé de solliciter l’un ou l’autre des dessinateurs habituellement utilisés par cette maison d’édition. Je n’étais pas enthousiaste, et je continuais à chercher lorsque m’est revenu en mémoire un mail d’une amie de Points-Cœur comportant l’adresse mail d’un dessinateur, lui-même ancien volontaire de Points-Cœur. Une belle entente et une belle amitié est née avec Yann. Nous avons appris à travailler ensemble, en partie chez lui à la campagne et en partie à distance. Il a sauté à pieds joints dans l’histoire, il a fait de méticuleuses recherches pour représenter la ville de Lyon telle qu’elle était au début du XIXe siècle, et nous avons ainsi progressé, page après page, à partir du scénario que j’avais en tête pour mettre en exergue les épisodes et les caractéristiques de la vie de Jeanne, au point de contribuer à justifier la cause de béatification dont le récit conclut la BD.