d'Apolline Bergier 12 avril 2012
Paix, Darfour, Temps de lecture : 5 m
Passionné par la résolution de conflits à travers la médiation, Randall Butler crée, en 2007, The « Institute for a Sustainable Peace[1] » (ISP). Il nous partage son expérience et celle de son collègue soudanais, Makki Ibrahim Makki, auprès des leaders des tribus « Fur » et « Bin Mansur » du Darfour, en conflit depuis de nombreuses années.
Makki Ibrahim Makki s'adressant aux résidents d'El Malam, aux côtés du maire de la ville et de représentants législatifs
Comment s’est déroulé ce processus de restauration de la paix au Soudan ?
Le Soudan a subi une guerre civile longue de plus de 50 ans. Durant les huit dernières années, le conflit s’est concentré au Darfour, opposant plusieurs ethnies parmi lesquelles les tribus « Fur » et « Bin Mansur », provoquant ainsi la mort de centaines de milliers de personnes et le déplacement de millions d’autres. Si aujourd’hui une relation pacifique semble s’installer progressivement, elle demeure très fragile et sous tension permanente. J’ai très souvent entendu que « le Soudan n’est que culture de violence ». Dans un tel contexte, l’engrenage d’un processus de réconciliation n’est possible que si un groupe d’individus influents, de leaders (politiques, médias, ONG) désire sortir de ces conflits et changer la situation. Ces leaders doivent avoir les moyens d'agir et de mobiliser tout un réseau sur place.
Par le biais d’ateliers de formation aux USA, le rôle de l’ISP a été de leur donner de nouveaux outils afin qu'ils puissent ensuite agir eux-mêmes dans leur pays au service de leurs tribus et communautés. Entre 2007 et 2010, l’ISP a réuni 75 leaders opposés (politiques, rebelles, activistes des droits de l’homme, journalistes etc…) venant de toutes les régions du Soudan, du Sud Soudan et de la Diaspora. Tout l’intérêt de ces ateliers de formation résidait dans leur caractère inter-ethnique, intertribal.
Selon l’ISP, un processus de médiation en vue d’une restauration de la paix se déroule en trois phases:
1/ La réconciliation : l’idée première est de créer des ponts pour communiquer et tenter de se comprendre, afin de permettre aux participants de découvrir par eux-mêmes qu’ils ont des valeurs et des désirs communs, de les partager pour ensuite commencer à construire une relation de confiance.
2/ La réformation : comment améliorer la capacité des leaders en conflit à travailler ensemble à la transformation des structures de leur société, pour qu'elle devienne plus juste et moins violente ?
3/ La reconstruction : quel avenir commun envisager ? Et comment le construire ?
En octobre 2011, suite à cette formation, Makki Ibrahim Makki, l'un des participants à la formation de l’ISP et manager du projet au Darfour, retourna dans sa ville natale d’El-Malam afin d’explorer le commencement d’un processus de réconciliation entre les deux tribus « Fur » et « Bin Mansur ». Il a tout d’abord rencontré séparément plusieurs leaders des tribus ennemies afin de les persuader de l’intérêt de travailler ensemble à la réconciliation et d’identifier les barrières actuelles à une coexistence pacifique. Quelques temps plus tard, il les réunit dans le but d’apaiser les tensions entre les groupes. Ce fut le temps de se demander pardon pour le passé et d'envisager un futur commun. Le dernier meeting impliqua tous les résidents d’El-Malam, incluant les femmes et les enfants des deux tribus. Cette rencontre avait notamment pour but d’encourager les milliers de personnes qui ont fui le Darfour à rentrer chez eux.
Une des premières décisions prises pour consolider la paix fut de reconstruire le Marché d'El-Malam détruit pendant la guerre. Il s'agissait d'un carrefour stratégique entre les deux plus grandes villes du Darfour, un lieu où les différentes tribus venaient vendre et échanger leurs biens. Mais, au-delà du commerce, ce marché représentait surtout un véritable lieu d’échange humain et culturel. Les gens de toutes tribus se réunissaient, discutaient autour d'un café. Le marché d’El-Malam était un véritable symbole de rassemblement et d'unité au Darfour.
Quelles sont vos espérances pour le Soudan et le Sud-Soudan?
Que les leaders soudanais et sud-soudanais réfléchissent ensemble activement au bien commun, qu'ils envisagent un avenir commun.
La paix au sein d'une société n'est pas juste une absence de violence. C'est une dynamique très active. Je redis souvent aux participants que « c'est lorsque vous pensez détenir la paix que vous êtes très probablement en train de la perdre, parce que vous n'y travaillez plus ».
Comment votre foi résonne-t-elle dans votre engagement au sein de l’ISP ?
J'essaie d'exprimer ma foi à travers mon travail à l'ISP, en ayant un amour inconditionnel pour chacun des participants.
Certains amis chrétiens me demandent: « Pourquoi l'ISP n'est-il pas un institut chrétien? Comment peux-tu véhiculer et construire la paix sans commencer par mener les gens au Christ? »
Je crois que le Christ aime chaque homme quel que soient ses choix. Je veux pouvoir avoir des conversations profondes et une amitié avec des gens qui ne partagent pas ma foi.
Pour en savoir plus sur l’institut : http://www.sustainablepeace.org/
[1] Créé en 2007, l’ISP (« L’Institut pour la Paix Durable ») a pour mission de mener sur un chemin de réconciliation des groupes ethniques en conflits, de former les leaders à travailler ensemble dans leur diversité afin qu’ils puissent ensuite mettre leurs compétences au service de leurs communautés.