Le 15 janvier dernier, dans le cadre de la Troisième Conférence Internationale du Clergé Catholique qui s’est tenue à Rome, le Cardinal Robert Sarah a prononcé un discours intitulé « La Beauté et la Mission du Prêtre ». En mettant l’accent sur l’importance de la beauté dans le sacerdoce, fondée sur l’intégrité et la vérité, le discours a exploré les défis liés à la préservation de la beauté liturgique, les dangers posés par le subjectivisme et le rôle central de la célébration de la Sainte Liturgie.
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Quelques extraits:
Je suis très reconnaissant pour l’invitation à prendre la parole sur « La Beauté et la Mission du Prêtre ». Il y a beaucoup de choses laides et mauvaises dans notre monde, et parfois même dans l’Église, et il est facile, même pour les prêtres, de devenir découragés et déprimés. Pourtant, chers frères, vous souvenez-vous de la beauté de votre première offrande de la Sainte Messe ? Vous souvenez-vous de l’émotion, peut-être même des larmes, que cela a occasionné ? Notre première Messe a peut-être eu lieu il y a de nombreuses années maintenant, mais la beauté d’offrir le Saint Sacrifice est la même aujourd’hui et chaque jour ! La beauté de notre vocation, de notre configuration particulière avec Jésus-Christ, la beauté de notre ministère et la beauté de notre témoignage lorsque nous Le portons aux autres et amenons les autres à Lui, demeurent inchangées.
Qu’est-ce que la beauté ?
Nous vivons à une époque marquée par le subjectivisme et le relativisme, où toute réponse à la question « Qu’est-ce que la beauté ? » suscite souvent cette réplique : « Cela dépend de vos goûts ou de vos préférences. » Cette vision subjectiviste prive la beauté de tout contenu objectif, rendant chaque goût et chaque désir — même ceux qui étaient autrefois considérés comme profondément choquants — également acceptables.
Le philosophe anglais Roger Scruton (1944–2020) réfute vigoureusement cette idée. Il affirme : « Imaginer que nous pouvons… considérer la beauté comme rien de plus qu’une préférence subjective ou une source de plaisir passager, c’est mal comprendre la profondeur avec laquelle la raison et les valeurs pénètrent notre vie. »
Scruton poursuit en déclarant : « C’est ne pas voir que, pour un être libre, il existe des sentiments justes, des expériences justes et des plaisirs justes, tout autant que des actions justes. Le jugement de la beauté ordonne les émotions et les désirs de ceux qui le portent. Il peut exprimer leur plaisir et leur goût : mais il s’agit d’un plaisir dans ce qu’ils valorisent et d’un goût pour leurs idéaux véritables. » [1]Beauty: A Very Short Introduction, Oxford, 2011, pp. 163–164
Cette perspective montre que la beauté n’est pas simplement une préférence subjective, mais qu’elle est profondément liée à la raison, aux valeurs et à l’harmonisation des émotions avec des idéaux supérieurs.
Appliquons ce raisonnement philosophique au domaine théologique
En tant que catholiques, nous croyons que Jésus-Christ est la révélation définitive de Dieu dans l’histoire humaine, et que son enseignement, fidèlement transmis par l’Église jusqu’à nous aujourd’hui, est objectivement vrai. C’est ce que Dieu Tout-Puissant, notre Créateur, nous a révélé sur ce que signifie être véritablement humain et sur ce que nous devons faire pour atteindre la vie éternelle avec Lui au ciel.
Ainsi, pour le catholique, il existe assurément des actions justes, une doctrine juste et un culte juste — tout comme la révélation définitive de Dieu en Jésus-Christ exclut clairement certaines expériences, jouissances et désirs. Nous avons le privilège de vivre dans la Vérité et ne sommes pas limités à une simple spéculation philosophique. Par conséquent, à la lumière de la Révélation divine, nous devons affirmer que le subjectivisme en matière de foi, de morale ou de culte est faux. Il n’est pas de Dieu. Il conduit les âmes en enfer, non au ciel.
Un autre éminent intervenant a abordé hier les questions de la « Vérité », et un autre encore étudiera avec vous demain la « Bonté ». Je me contenterai donc de dire que la vraie beauté est celle qui participe à l’objectivité de la révélation de Dieu dans l’histoire humaine. Autrement dit, théologiquement (et moralement, pastoralement, etc.), la beauté n’est pas avant tout une question d’esthétique, mais une question de savoir si tel ou tel aspect perceptible de notre culte de Dieu et de nos vies vécues dans et à partir de ce culte participe véritablement à ce qui appartient à Jésus-Christ, qui est la Beauté, la Vérité et la Bonté incarnées.
Car Dieu seul est beauté, et Son Fils incarné, Jésus-Christ, est l’homme le plus beau qui ait jamais existé — même, et surtout, lorsqu’Il était suspendu à la contradiction hideuse de la Croix. Sa beauté ne réside pas dans son physique, mais dans son intégrité, sa sainteté et son dévouement sacrificiel à sa mission. Il est beau parce qu’Il est totalement abandonné à l’accomplissement de la volonté de son Père.
En tant que prêtres de Jésus-Christ, nous ferions bien, tous, de considérer cela avec beaucoup de soin. Nous sommes appelés à devenir les amis proches du Christ. En effet, nous ne sommes pas simplement appelés à devenir un alter Christus —un autre Christ— mais à devenir ipse Christus, c’est-à-dire à devenir le Christ Lui-même ; à entrer dans Son auto-donation au Père. Il est possible d’être un alter Christus et un fonctionnaire, et il existe trop d’exemples de véritables fonctionnaires laids dans l’Église aujourd’hui.
Mais si, à chacun de nos souffles, nous nous efforçons de devenir ipse Christus — même si ces souffles sont pris au milieu de la douleur et de la souffrance des croix que nous devons porter —, notre coopération continue avec sa grâce, qui nous a été donnée d’une manière spécifique dans le sacrement de l’Ordre, nous configurera plus étroitement au Christ Beau. Cela fera de nous, hommes faibles et fragiles, une œuvre de la beauté rédemptrice de Dieu pour la gloire du Dieu Tout-Puissant, le salut de nos âmes et des âmes que nous sommes appelés à servir.
Ceci est fondamental. Le Christ est la beauté même, et la vocation du prêtre est belle lorsqu’elle participe véritablement à l’offrande sacrificielle de soi du Christ dans les circonstances particulières où il est appelé à servir. En tant qu’homme, je connais mes limites. Je connais mes péchés. Je connais mes incapacités. En tant que prêtre de Jésus-Christ, je suis appelé à devenir quelque chose que je ne pourrai jamais accomplir par moi-même. Mais par sa grâce, c’est possible : le beau visage de Jésus-Christ, la révélation définitive de Dieu dans l’histoire humaine, peut briller en moi et à travers moi ; mais seulement si je coopère avec cette grâce aujourd’hui et renouvelle ma résolution de le faire pour autant de lendemains qu’il me sera donné de vivre sur cette terre.
Nous devrions tous considérer cette réalité avec beaucoup d’attention. Elle a des implications pour chaque aspect de notre ministère sacerdotal, et je suis sûr que les autres intervenants de cette semaine en exploreront plusieurs. Les organisateurs de la conférence m’ont demandé de parler spécifiquement de la beauté dans la liturgie sacrée, dans la vie et la mission du prêtre, ce que je vais faire maintenant avec grand plaisir, car, comme l’a dit le cardinal Ratzinger :
« L’Église tient ou tombe avec la liturgie. Lorsque l’adoration de la Trinité divine décline, lorsque la foi n’apparaît plus dans sa plénitude dans la liturgie de l’Église, lorsque les paroles de l’homme, ses pensées, ses intentions l’étouffent, alors la foi aura perdu le lieu où elle s’exprime et où elle habite. Pour cette raison, la véritable célébration de la liturgie sacrée est le centre de tout renouveau de l’Église, quel qu’il soit. » [2]Consultez : A. Reid éd., Looking Again at the Sacred Liturgy with Cardinal Ratzinger, St Michael’s Abbey Press, 2003, p. 139
Beauté et Liturgie Sacrée – Quelques principes
Si nous voyageons un peu, nous rencontrerons une grande diversité de styles architecturaux ecclésiastiques. La simplicité austère et solide du Roman nous confronte au Christ-Dieu (souvent représenté dans l’abside). La hauteur et les détails des cathédrales gothiques élèvent notre âme vers Dieu. Le baroque et le rococo nous montrent comment de simples hommes ont célébré avec exubérance la magnificence de l’Incarnation en mobilisant toutes les fibres créatives de leur être. Les grandes églises de l’Orient chrétien nous plongent dans la cour céleste.
Le contraste avec les églises et chapelles où nous servons peut être assez frappant. Nous pourrions même ressentir une certaine découragement face au manque de ce que nous avons vu ailleurs. Certaines des églises que nous visitons pourraient même nous paraître un peu trop extravagantes pour nos goûts.
J’ai utilisé l’analogie de l’architecture des églises pour illustrer le principe d’intégrité comme composante fondamentale de la beauté liturgique. De même, ce principe d’intégrité peut et doit être appliqué aux rites liturgiques eux-mêmes. Les rites liturgiques que nous célébrons doivent être exactement ce qu’ils sont censés être, et rien d’autre.
[…]
Je veux ici faire appel à cette herméneutique de réforme dans la continuité, évoquée par le pape Benoît XVI [3]Discours, 22 décembre 2005 . C’est une opinion personnelle, mais il me semble que les livres liturgiques réformés ont désespérément besoin de cette continuité avec la tradition liturgique que les Pères du Concile Vatican II ont cherché à réformer, afin qu’ils soient vrais, beaux et bons, et qu’ils puissent ainsi accomplir au mieux leur mission de sanctification et d’édification du saint peuple de Dieu.
Malgré les attitudes cléricales intransigeantes opposées à la vénérable liturgie gréco-latine, des attitudes typiques du cléricalisme que le pape François a maintes fois dénoncées, une nouvelle génération de jeunes a émergé au cœur de l’Église. Il s’agit d’une génération de jeunes familles, qui démontrent que cette liturgie a un avenir parce qu’elle a un passé, une histoire de sainteté et de beauté qui ne peut être effacée ou abolie du jour au lendemain.
Je le maintiens. Et bien que je comprenne qu’à l’heure actuelle, de nombreux prêtres se trouvent dans une position très difficile concernant l’usus antiquior, je vous encourage à ne jamais oublier ou nier la vérité profonde enseignée par le pape Benoît XVI : « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur donner leur juste place ». [4]Lettre aux évêques, 7 juillet 2007 : https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/letters/2007/documents/hf_ben-xvi_let_20070707_lettera-vescovi.html
J’en ai dit assez, peut-être trop, ou même de manière trop maladroite pour certains : au moins, je n’ai pas parlé de la beauté et de la valeur pastorale de la pratique légitime de célébrer la liturgie moderne ad orientem!
Notre souci de la beauté dans la liturgie n’est donc en aucun cas ésotérique ou purement esthétique. Il est fondamentalement pastoral. En tant que prêtres, notre premier devoir est à l’autel de Dieu. De là découle tout le reste. Si nous ne pouvons pas garantir que ce que nous faisons à l’autel de Dieu est comme il se doit — beau et intègre — nous manquons à notre premier devoir envers le Dieu Tout-Puissant.
Nous pouvons être dotés de nombreux autres dons qui servent bien le Seigneur et l’Église de manière importante, mais notre tout premier devoir est de devenir des homo liturgicus, dont la vie et la mission émanent de l’autel. L’exemple de notre dévouement à nos devoirs sacrés nous permettra ensuite de devenir des pater liturgicus, formant d’autres dans la liturgie sacrée par notre propre exemple. C’est peut-être quelque chose que nous avons nous-mêmes expérimenté lorsque nous étions plus jeunes, auprès des prêtres qui ont nourri nos vocations simplement en étant des prêtres absorbés par les mystères sacrés qu’ils avaient le privilège de célébrer.
Prenez le temps, d’une manière ou d’une autre, de vous préparer et de vous recueillir dans le silence — peut-être en priant les prières d’habillement liturgique — et prenez le temps de former votre intention. Cela peut nécessiter un peu de discipline au début, mais j’ai utilisé le mot “investir” à dessein.
Réaffirmer le caractère sacré de la liturgie en observant le silence avant de la célébrer ne formera pas seulement les autres de manière juste, mais cela donnera également à nos âmes sacerdotales souvent occupées un espace pour respirer. Cela nous permettra d’entrer plus intimement dans les mystères que nous sommes sur le point de célébrer. Cela transformera ce qui peut parfois sembler une simple routine en une expérience semblable à notre première messe. Cela vaut bien cet investissement.
Sacramentum Caritatis nous rappelle un fait important : la musique liturgique est un élément intégral de l’ars celebrandi. En réfléchissant à cela, le pape Benoît XVI observe avec une certaine ironie que « dans le cadre de la liturgie, on ne peut pas dire qu’un chant vaut un autre » (n. 42). Comme il a raison ! Il reste encore beaucoup à faire pour chanter la liturgie elle-même plutôt que de simplement chanter quelque chose pendant la liturgie.
Conclusion
En 2015, au début de sa retraite, Benoît XVI a rédigé une préface pour l’édition russe de ses œuvres complètes sur la liturgie. Cette réflexion nous offre une conclusion plus qu’adéquate à nos considérations de ce soir : « Que rien ne soit préféré à la liturgie sacrée. »
La cause la plus profonde de la crise qui a bouleversé l’Église réside dans l’obscurcissement de la priorité de Dieu dans la liturgie. Tout cela m’a conduit à me consacrer davantage au thème de la liturgie, car je savais que le véritable renouveau de la liturgie est une condition fondamentale pour le renouveau de l’Église…
Après de nombreux efforts, même durant sa retraite, pour promouvoir ce renouveau, le pape Benoît XVI a rejoint sa récompense éternelle il y a un peu plus de deux ans. La tâche de ce renouveau repose désormais pleinement sur nos épaules, chers Pères, chacun selon la mission qui lui a été confiée.
J’espère que, si vous ne l’avez pas déjà fait, vous pourrez prier pour lui sur sa tombe dans la basilique Saint-Pierre pendant votre séjour à Rome. Peut-être pouvons-nous aussi lui demander son aide dans le magnifique travail qui est le nôtre, et dans lequel il fut lui-même un phare.
Merci, chers Pères. Que Dieu vous bénisse.
References
↑1 | Beauty: A Very Short Introduction, Oxford, 2011, pp. 163–164 |
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↑2 | Consultez : A. Reid éd., Looking Again at the Sacred Liturgy with Cardinal Ratzinger, St Michael’s Abbey Press, 2003, p. 139 |
↑3 | Discours, 22 décembre 2005 |
↑4 | Lettre aux évêques, 7 juillet 2007 : https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/letters/2007/documents/hf_ben-xvi_let_20070707_lettera-vescovi.html |