Samedi 14 juin, la photographe autrichienne s’éteignait dans sa 80ème année. Elle laisse derrière elle une immense galerie de portraits qui témoignent chacun à leur façon, du fil rouge de son œuvre : la rencontre.

Festival Stabat de Letino -Italie- sur le thème « Regards lumineux »
Après des études en Autriche et en Angleterre, Christine Turnauer s’installa en 1971 à Paris et fit son apprentissage auprès de divers photographes. Attentive à ceux que l’on ne voit pas, elle partit à la rencontre des gens de la rue, ce qui façonnera durablement son regard. De 1974 à 1976, elle fut l’assistante de Frank Horvat de qui elle apprit notamment la puissance expressive du noir et blanc. Jusqu’à 1979 elle travailla comme photographe freelance à Paris.
Elle émigra en 1979 à Alberta, au Canada occidental, où elle poursuivit divers projets photographiques, le plus important étant les portraits de danseurs traditionnels amérindiens d’Amérique du Nord. Pour cela, elle construisit un studio de lumière du jour portable, sous la forme d’une tente, et voyagea pendant deux ans du nord de l’Alberta au sud du Montana pour assister aux différents « pow wows » (rassemblements amérindiens). En 1992, une publication de son travail intitulée « Portraits » fut publiée au Canada. Une exposition au Weltmuseum de Vienne en 2022 au titre éloquent « I saw more than I can tell » rendit hommage à ce premier grand chapitre photographique de sa vie.
En 2000, Christine retourna en Europe et, de là, se rendit au Japon, en Éthiopie, à Jérusalem, en Inde, en Grèce, en Turquie et en Mongolie pour poursuivre son travail photographique. Une série de portraits en noir et blanc de ces voyages et rencontres fut publiée sous le titre « Présence » en 2014 et exposée dans de grandes expositions solo à Vienne (Forum am Schillerplatz, 2014) et à Arles (Chapelle Sainte-Anne, Ville d’Arles et KLV Art Projects, 2018).
En juin 2014, elle fut chargée de prendre des portraits des gitans en Roumanie. Ce fut le début d’une nouvelle étape photographique sur la dignité des gitans, qui l’emmena en Inde aux racines de l’identité gitane, puis en Roumanie, Hongrie, Bulgarie, au Monténégro et au Kosovo. Son travail fut exposé (Arles et Vienne notamment) et donna lieu à la publication d’un livre « The Dignity of the Gypsies » chez Hatje Cantz en septembre 2017.
En 2023, elle réalisa une exposition solo spécialement pour le festival Stabat de Letino (It) sur le thème « Regards lumineux », qui révèle une des constantes de plusieurs décennies de photographie.
Sa dernière grande exposition à Arles en mars 2025, accompagnée de la publication d’un livre, témoigne de son attirance pour l’Ethiopie et du sentiment de voyager dans la Bible au contact des juifs et chrétiens de cette région. D’où le titre de l’exposition comme du livre : « Visages Bibliques ».
Ce qui frappe dans les portraits de Christine Turnauer, c’est cette impression d’être introduit dans la rencontre qu’elle a faite. Aucun cliché n’a été volé, la plupart des ses modèles l’ont été avec leur consentement et suite à une véritable rencontre. Lorsqu’elle se met à parler des circonstances et de la personne dont elle a réalisé le portrait, son auditoire est à chaque fois saisi. Il n’est pas un portrait qui ne comporte son lot d’anecdotes. Chaque personne photographiée s’est sentie reconnue, regardée, de sorte que la pause n’est pas seulement naturelle mais véritable don de soi. Que ce soit un moine tibétain, une cueilleuse de champignons roumaine, un berger nonagénaire ne descendant jamais de ses montagnes, une cuisinière travaillant sur une décharge en Afrique, un pope orthodoxe au sortir de sa liturgie, ou un gitan sur le seuil de sa maison faîte de tôle et de bois, il nous semble chaque fois recevoir un ami.
Comme Christine le confesse elle-même, sa petite taille l’a souvent aidé, car elle n’en impose à personne. Par ailleurs, le fait d’utiliser un appareil qu’elle tient sur la poitrine et non devant les yeux, a grandement contribué à faire de chaque photo un instant de réelle communion, communion dans laquelle est introduit l’observateur. Ainsi l’un d’eux faisait part lors de la dernière exposition « Visages Bibliques » de son impression d’être devant une galerie d’icônes dans cette Chapelle sainte Anne d’Arles pourtant désacralisée.
Qu’ils soient indiens, bergers, gitans, hommes de prière, paysans, Christine a su se faire des amis de toute condition et sous toutes les latitudes, et chacune de ses rencontres a été l’occasion de témoigner de ce mot qui lui était si cher : la Présence. Requiescat in Pace.