Avec la sortie de Lux, qui provoque une révolution médiatique, l’artiste espagnole Rosalia nous offre un album qui nous rappelle que le drame de l’être humain ne s’explique qu’en relation avec le transcendant.

Rosalía Vila Tobella, connue sous le nom de Rosalía, est née en 1992 en Catalogne. C’est une chanteuse, compositrice et productrice espagnole qui est passée d’une formation classique en musique à la célébrité pop internationale. Elle a étudié la musicologie et a d’abord été liée à la tradition du flamenco avant de la mêler à la pop, à la musique urbaine et à des éléments expérimentaux.
Rosalía a toujours suscité le débat dès ses débuts. Son œuvre porte une empreinte personnelle, faite de recherche et de rupture — non dans une volonté de détruire l’existant, mais plutôt de dépasser les limites de ce qui a déjà été exprimé. Son art naît de cette tension entre la fidélité à la tradition et le désir de la transcender. Cette attitude, propre à tout poète qui prend au sérieux la quête de sens, traverse sa carrière avec un mélange de tension et de professionnalisme, faisant émerger quelque chose de nouveau, sans méconnaître l’histoire antérieure. C’est à partir de cette approche, que Rosalía peut se définir : dans sa simplicité, elle a parcouru avec naturel différents genres et a su jeter des ponts entre eux, dans un travail complexe de dialogue, devenant elle-même ce pont entre le contemporain et l’ancestral, entre l’avant-garde et la racine, pour interpeller ce qui reste encore à venir.
Son travail a brisé les attentes par des projets comme El mal querer (2018), qui l’ont consacrée, en alliant l’ancestral du flamenco à la production contemporaine par une vidéographie minutieuse.
Rosalía fuit les étiquettes, mais pas les racines : son art respire entre le savant et le populaire, entre la liturgie et la pop, entre la parole et le rythme. Et dans ce va-et-vient se révèle le plus humain de sa recherche : la tentative constante de transformer le son en sens.
Et maintenant, avec le lancement de Lux, son nouveau projet qui provoque une véritable révolution médiatique, ce sens prend des contours plus élevés, presque sacrés. Rosalía convoque des images de saints, de chapelets, du Sacré-Cœur lui-même ; elle évoque des oratoires et réunit des collaborations qui semblent prolonger sa quête intérieure. Participent le Chœur de l’Escolania de Montserrat et le Chœur de Chambre du Palau de la Música Catalana. Même dans son premier single, Berghain, sorti avant l’album, elle collabore avec l’Orchestre symphonique de Londres.
S’y ajoutent la présence d’artistes de premier plan — Björk, Carminho, Estrella Morente, Yves Tumor, Yahritza y su Esencia, Sílvia Pérez Cruz — chacun avec sa langue et son accent, tissant une constellation de voix qui transcendent le simple chant pour devenir des prières. Dans Lux, on entend treize langues différentes : un chant de langues étrangères réunies, né de la volonté de Rosalía, qui a consacré trois ans à l’apprentissage linguistique. Comme elle l’a expliqué dans le New York Times Popcast, « le langage, dans sa différence, est une manière de se rapprocher et de connaître l’autre et, par conséquent, de mieux me comprendre moi-même ».
Cette affirmation fait écho aux paroles du philosophe argentin Emilio Komar, pour qui le dialogue authentique exige de sortir de soi sans chercher à réduire la position de l’autre à la sienne. Rosalía semble justement habiter cette attitude d’ouverture — celle d’élargir sa vérité, d’élargir sa vision, de chercher l’unité dans la diversité. Mais pas par une unité politique, sociale ou idéologique : par une unité née de la soif de sens, de ce désir de comprendre même ce qui échappe à la raison.
Ainsi, Lux se présente comme une expérience qui ne cherche pas à offrir des réponses, mais à susciter des questions — un espace où la pluralité des langues devient un dialogue entre visions du monde, entre différentes altérités. En suivant encore Komar, le dialogue est possible parce que la réalité est intelligible, parce qu’elle est lumineuse. Rosalía semble avoir découvert précisément cela : que Lux ne consiste pas à répondre, mais à soutenir le mystère des questions les plus humaines et les plus risquées : Où est ma valeur ? Qui suis-je, moi, Rosalía, au-delà de la célébrité et de ce rôle pesant ? Quel est le sens de tout cela ? Qui me regarde et me tire de ce désert que personne ne voit ?
Ces questions, qui rongent et deviennent des couteaux dans nos aubes, sont précisément celles que Rosalía, dans une chanson intitulée De Madrugá, nous demande d’accompagner :
me pesan las cadenas
de tanto mirar pa’ trás
no hay un arma una glock o beretta
que dispare y te traiga de vuelta [1]Les chaînes me pèsent/ tant je regarde en arrière/ Il n’y a pas d’arme, ni Glock ni Beretta, qui puisse tirer et te ramener à nouveau
Et alors, un signe apparaît dans le travail de Rosalía : sur ce même disque figure une citation de Simone Weil — L’amour n’est pas un réconfort, c’est une lumière.
Ainsi, Lux se révèle non comme un réconfort, mais comme une lumière qui éclaire le chemin, ardu et magnifique, vers ce qui continue de nous appeler, même quand cela n’a pas de nom.
Car Rosalía parle directement du vide intime et du besoin vital de trouver cet espace que seul le transcendant peut combler, comme elle le révèle aux côtés de Björk dans Berghain :
The only way to save us is through divine intervention
The only way I will be saved is through divine intervention [2]La seule façon de nous sauver est par une intervention divine./La seule façon dont je serai sauvé est par une intervention divine
C’est comme si son art se transformait en rite, et sa voix en lampe allumée dans la pénombre de l’humain. Certains y voient une mode, une esthétique du divin ; d’autres y lisent une quête authentique — et c’est là que réside la tension, le drame de sa proposition artistique, de sa propre vocation.
Car le drame de l’être humain ne s’explique qu’en relation avec le transcendant — ce qui nous dépasse, ce que nous sentons parfois nous écraser au sol, ou, d’autres fois, nous faire lever les yeux vers le haut. Mais quand nous nous abandonnons à cela, un nouveau cœur de chair s’installe en nous, qui nous libère des catégories mondaines et nous présente une bonne nouvelle : Un Monde Nouveau, un monde où se trouve la vérité, ma vérité.
Ya, quisiera, quisiera yo renegar
yo quisiera renegar
de este mundo por entero
volver de nuevo habitar
Madre de mi corazón
volver de nuevo a habitar
por ver si en un mundo nuevo
por ver si en un mundo nuevo encontrada más verdad [3]Oui, j’aimerais, j’aimerais renier / j’aimerais renier/ce monde tout entier/revenir habiter à nouveau; Mère de mon cœur / revenir habiter à nouveau/ pour voir si dans un monde … Continue reading
Interview en espagnol de Rosalia
Rosalía sobre Dios: « un vacío que solo Él puede llenar«
References
| ↑1 | Les chaînes me pèsent/ tant je regarde en arrière/ Il n’y a pas d’arme, ni Glock ni Beretta, qui puisse tirer et te ramener à nouveau |
|---|---|
| ↑2 | La seule façon de nous sauver est par une intervention divine./La seule façon dont je serai sauvé est par une intervention divine |
| ↑3 | Oui, j’aimerais, j’aimerais renier / j’aimerais renier/ce monde tout entier/revenir habiter à nouveau; Mère de mon cœur / revenir habiter à nouveau/ pour voir si dans un monde nouveau pour voir si dans un monde nouveau j’ai trouvé plus de vérité |




