Home > Fioretti > Huit ans et un jour en Haïti

Depuis maintenant six ans le Point-Coeur d’Haïti est fermé. Et voilà qu'un jour… un seul petit jour – ou  toute une journée – m'est donné pour aller visiter les amis du quartier de Sainte Philomène, au Cap Haïtien, où pendant huit ans des volontaires de Points-Coeur se sont succédés pour servir et aimer ce petit peuple. Une journée pleine de joie et d'espérance.


Laetitia avec Man Val et Clersida, Haiti, juin 2012

Quelques jours avant de partir des questions m'assaillent. Vais-je me souvenir des prénoms de chacun ? Comment vais-je trouver nos amis après le tremblement de terre, le choléra, après aussi et surtout six années de plus de pauvreté immense ? Nous voilà dimanche matin. Le cœur serré, j'arrive, un peu avant la messe, à l'Asile communal, ce foyer tenu par les frères Missionnaires des Pauvres qui accueillent personnes âgées, orphelins, malades du sida… A peine arrivée dans ce lieu si familier, toutes mes questions s'effacent. Il semble que cette caractéristique si haïtienne d'ouvrir tout simplement son cœur à la réalité du moment présent est contagieuse. Place donc à la réalité de ces lieux connus, visages connus; place à cette joie surtout de revoir ceux que j'ai aimés de tout mon cœur et qui l'habitent encore largement !

Le premier que je reconnais est Philomène. J'ai connu ce garçon handicapé petit enfant. le pauvre avait alors bien du mal à contenir un flot de bave continuel. Il aimait à suivre de son pas boiteux les frères partout où ils allaient, toujours heureux de rendre service. Il nous accompagnait aussi dans nos visites aux personnes âgées. En le voyant, sa dignité me frappe. Il a maintenant une vingtaine d'années, une tête de plus que moi, habillé comme un postulant des frères, il est maintenant une des personnes clés de l'Asile. Il sait tout sur tout, il est celui à qui l'on peut tout demander, et lui, sans pouvoir parler, répond par signe jusqu'à ce que vous compreniez. Je lui demande s'il me reconnait. Son sourire alors s'élargit jusqu'aux oreilles, laissant paraitre une dent en sang (petit désastre causé par une chute la veille). Pourtant, sa joie n'en semble pas affectée! Je lui demande s'il est content et il secoue la tête pour me dire non… pourtant son sourire s'élargit de plus belle ! Tout son être rit ! Qu'il est beau ! Les frères aiment à dire qu'il est le seul saint chez eux et je leur donne certainement raison !

Après la messe, nous remontons la ravine pour regagner la rue principale du quartier. Il semble que rien n'a changé en six ans. Et tout à coup, alors que nous arrivons aux premières maisons que nous connaissons bien, ce ne sont plus quatre "blancs" qui montent, mais "Points-Coeur". Je viens de saluer des amis et un cri a été lancé ! En quelques secondes, c'est l'attroupement ! Petits et grands viennent voir de leurs yeux et toucher de leurs mains, vérifier que cette visitation est bien réelle ! Quelle fête ! Alors se succèdent les retrouvailles maison après maison, amis après amis. Je me laisse guider ici et là et peu à peu la joie envahie le quartier comme une trainée de poudre !

A un moment donné, j'entends une amie commenter : "tu ne la reconnais pas? Elle est l'une des nôtres", (moun an nou li ye). Elle résume ici toute l'expérience de mon après-midi passée dans le quartier et met le doigt sur la différence avec celle des deux jours précédents, pendant lesquels je visitais une école à la campagne. Là-bas, en quelques heures (quelques minutes, devrais-je dire), je m'étais fait de nouveaux amis et, du matin au soir, je ne pouvais faire un pas sans avoir entre 10 et 30 enfants autour de moi ! J'ai joué, ri, visité leur familles. Mais cette affection, si belle soit-elle, venait d'abord de l'attraction pour ma différence, étant "blanche" au milieu d'Haïtiens. En revanche, ici dans notre quartier, ce qui me lie à chacun n'est pas ma différence mais mon appartenance. D'une certaine manière, je leur appartiens et ils m'appartiennent. J'ai reçu chacun d'eux à travers ma mission : j'ai épousé ce peuple. Je découvre à présent que ces épousailles sont éternelles. Elles ont pris chair dans une vie quotidienne commune, partageant chacune de leurs joies ou de leur peines, et dans une affection grandissante. Elles nous lient à jamais.

Ainsi la présence du Point-Coeur se révèle, plusieurs années après sa fermeture, beaucoup plus profonde qu'un service social, comme celle de vrais amis, de ceux qui constituent les racines de notre être, modèlent notre manière de vivre, éclairent notre chemin. Et je peux voir combien ces racines ont donné de beaux fruits : je vois des jeunes, qui ont grandit dans la cour du Point-Coeur, qui maintenant étudient avec sérieux, ce jeune qui avait reçu, grâce à nous, un cours de 15 jours d'électricité, tout fier de me dire qu'il continue dans cette branche, ou bien tous ceux et celles qui ont à leur tour des enfants et dont l'éducation est informée par ce qu'ils ont reçu au Point-Coeur.

A la fin de la journée, je ne sais même plus si l'on peut dire que ces six années depuis que le Point-Coeur est fermé sont six années d'absence. Je constate plutôt que chacun de ceux qui nous ont été proches continuent de vivre et de grandir, comme un arbre bien enraciné, dans cet esprit que nous avons essayé de partager avec eux, esprit de gratuité, de dignité, de compassion, d'humanité. Quelle espérance!

Vous aimerez aussi
El Salvador, entre foi ardente et gangs
La véritable royauté
Vienne : une voix d’enfant dans la tragédie
Mgr Aupetit : « L’Espérance est le propre de l’homme »

4 Commentaires

  1. Cécile

    Merci pour ce beau témoignage… Haïti Chérie est gravée à jamais dans nos coeurs.
    Cécile (orphelinat de Madeline)

  2. marie-alix

    Ce témoignage est très émouvant et bien que je ne sois pas une "point coeur" mais une "fidesco" je me sens rebaigner dans cette ambiance. Il est vrai que lorsque l'on retourne dans ce pays si attachant on retrouve les personnes que nous y avons laissées et toujours nous accueillent à merveille.

  3. maud

    quel temoignage! merci! quelle joie transparait de cette experience Laeticia, cela me rapelle une mission humanitaire en Inde, et l'universalité des sourires de ceux qui partagent et vivent quelque chose de fort ensemble, je suis ravie de te suivre et de t'écouter au fil de tes aventures tu es notre boussole et nous rappelle l'unique chose importante ;) que nous avons tendance à oublier parfois…je t'embrasse!!

  4. Nicole de Bagnols

    Puissent mes enfants et petits-enfants, qui arrivent la semaine prochaine à N.Y, vous rencontrer et entendre de votre bouche les merveilles de Points-Coeur !
    NB

Répondre