Etienne Hubert est cadre supérieur dans une grande société multinationale française. Il a débuté sa carrière comme responsable de projets d’ingénierie. Puis il a été en charge d'activités business au Japon et en Italie, avant de diriger la filiale allemande puis ensuite les filiales dans la péninsule ibérique. Il nous livre quelques réflexions sur la crise économique : que peut-on apprendre de celle-ci ? Vers où regarder pour progresser ? Loin d'être un commentaire désespérant, son regard réaliste nous remet devant les nouveaux défis que nous devons affronter pour avancer.
Etes-vous affectés par la crise dans votre domaine ?
E.H. L'entreprise dans laquelle je travaille distribue des produits et services vers un très grand nombre d’entreprises petites et grandes. Dans les économies matures, il est indiscutable que les volumes de nombreux produits baissent, et que la pression sur les prix augmente car nos clients cherchent évidemment à réduire leurs coûts.
Les conséquences de la crise sont plus importantes dans les économies développées que dans les économies émergentes, là où il y a une forte croissance de l’économie et un grand dynamisme entrepreneurial. On ne peut d’ailleurs que se réjouir du fait que de plus en plus de gens sur la planète commencent à vivre mieux. On parle souvent en termes négatifs de la mondialisation, mais c'est aussi les transferts massifs de technologie et l’extraordinaire fluidité des échanges commerciaux qui permettent à des pays de se développer, là où des gens mouraient de faim il y a 20 ans.
Pour revenir à notre entreprise, nous cherchons avec détermination à nous développer dans les zones du monde en croissance, tout en visant des développements tournés autour des nouvelles technologies dans les économies avancées.
Cette situation de crise va t-elle perdurer ?
E.H. On a l'impression que lorsque que l'on parle de crise aujourd'hui, c’est par nostalgie d'une période passée stable, heureuse et tournée avec optimisme vers l’avenir. N'est-ce pas une illusion optique ? Y a-t-il eu dans l'histoire une période sans crise profonde ? A quelle autre époque de notre histoire la France a-t-elle été aussi riche et développée tout en assurant grâce à l’état-providence une aussi grande répartition de la richesse nationale ? Certes il y a beaucoup de situations individuelles difficiles, vis-à-vis desquelles nous devons inlassablement nous mobiliser, mais ne faut-il pas relativiser et reconnaître que cela a toujours été ainsi. Je suis convaincu que la situation d'ajustement des comportements des Etats, des entreprises, et des personnes est quelque chose qu'il faut admettre comme une nécessité permanente. La crise n'est pas une réalité uniquement négative, ainsi qu’on le voit dans la vie d’un être humain, elle marque une transition, elle est signe de vie. A l’inverse, les longs fleuves tranquilles et les eldorados n’existent que dans des paradis imaginaires. Et par ailleurs, le fait qu'on perde du terrain par rapport à d'autres pays du monde n’est-il pas en rapport avec le fait que beaucoup d’autres pays sont en train de sortir de la misère, ce dont on peut se réjouir ?
Beaucoup en France et en Europe ont l’impression qu'avant on allait beaucoup mieux. Ce qui est probable, c’est qu’on était plus fataliste, notamment devant la maladie. On avait moins peur de l'avenir, d'un licenciement, d'un accident de la vie.
Y-a-t-il des responsables de la crise ?
E.H. Il me semble que l’atmosphère générale, entretenue en particulier par les médias, tend à faire porter la responsabilité de la crise à des boucs émissaires qu’on cloue au pilori les uns après les autres. La crise est censée être provoquée, favorisée, par des « méchants », des puissances plus ou moins occultes qui s’acharneraient contre le monde et notre société française. Il y a certes des gens qui portent une responsabilité importante dans certaines évolutions économiques et sociales qu’on observe, mais d’une part, il y a eu de tous temps des gens malfaisants et, d’autre part, chacun d’entre nous est appelé à contribuer aux évolutions positives plutôt qu’à se lamenter d’une situation donnée.
Pourriez-vous nous dire un mot sur l'Allemagne ? Que pouvons-nous apprendre de ce pays ?
E.H. C'est une économie très compétitive qui s’est depuis longtemps distinguée par la qualité de ses produits manufacturés. L’excellence dans la conception et la production font qu’aujourd'hui plus que jamais le « made in Germany » est réclamé dans le monde entier. De plus un réseau important de grosses PME très innovatrices et dynamiques à l’exportation génère un formidable excédent commercial, ce qui rejaillit sur toute l’économie du pays. Il est certain qu’avec la concurrence des pays émergents champions des produits low-cost, la capacité de produire du haut-de-gamme fiable, robuste et esthétique est la seule option viable pour les économies développées
Il se trouve qu'en plus, depuis 10-12 ans l’Allemagne a fait un énorme effort de productivité avec en particulier des accords entre des employeurs et des syndicats pour modérer des augmentations de salaire. Le coût du travail qui était beaucoup plus élevé que dans le reste de l'Europe il y a une dizaine d’années, a beaucoup baissé relativement aux autres pays européens. Cela fait que, non seulement l’Allemagne produit des articles de grande qualité, mais qu’elle le fait avec des coûts relativement compétitifs. Ce pays semble donc entrer dans un cercle vertueux, en ayant d’ailleurs beaucoup profité de l'euro.
Mais ironie de l’histoire : alors que l’Allemagne est un des pays les plus prospères au monde, ses habitants sont parmi les plus inquiets pour leur avenir personnel et collectif. Cela se traduit en particulier par une évolution démographique catastrophique et une attitude souvent excessive vis-à-vis des questions d’environnement.
Comment faire pour éviter les délocalisations en France ?
E.H. Pour une grande part sûrement, suivre l’exemple de l’Allemagne dans la poursuite de productions innovantes et de grande qualité, mais aussi sans doute en remettant en cause la progression et les excès de cet état-providence qui nous a si bien servis depuis le milieu du siècle dernier. Alors qu’il y a à nos portes des populations entières qui sortent par le haut de la misère ou de la médiocrité économique grâce à leurs efforts, nous ne pouvons plus continuer à appesantir la barque avec des charges sociales rendant nos productions économiques non attractives tant pour les clients français que pour ceux du monde entier.
Un certain nombre de remises en cause douloureuses de notre modèle de société seront sans aucun doute nécessaires si nous voulons éviter de devenir uniquement une destination de tourisme pour les vacanciers du reste du monde.
Et oui, c'est ça la mondialisation: les peugeots ne se vendent plus, alors que les BM s'arrachent comme des petits pains…
Merci pour cette leçon d'économie pratique. Quand on parle de "crise", on pense spontanément à un phénomène provisoire, du à une baisse conjoncturelle de la demande. Michel Rocard faisait récemment remarquer que nous ne sommes pas en crise mais en mutation. Une mutation qui nous conduit à partager les bénéfices de la production – donc de la richesse et de la consommation – avec les pays émergeants. Il ne s'agit pas d'un phénomène provisoire mais d'une nouvelle organisation de l'économie mondiale. Les vieux pays industriels sont fortement concurrencés par les pays où la main d'oeuvre est moins chère. Seule solution pour eux: la qualité -comme en Allemagne- ou les produits de trés haute technologie, puisque cette mutation s'accompagne d'une nouvelle révolution industrielle, celle de l'informatique et des nano-technologies.