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Des œuvres englouties par les eaux

De Makoto Fujimura.

Lorsque je suis intervenu lors du dernier rassemblement de l’IAM (International Arts Movement) sur le “Soin porté à la Culture", j’ai évoqué le changement à venir des galeries de Chelsea. J’en ai dépeint un portrait assez morose. Jamais je n’aurais imaginé les dégâts qu’ont subi les galeries de Chelsea à cause de la tempête Sandy.


Superstorm Sandy, CC BY-NC-SA Life Goes Through

  

 

La galerie Dillon, qui exhibe mes œuvres, s’est retrouvée sous près de 4 mètres d’eau. Celle-ci s’est engouffrée avec une telle force que la vague a fait plier les soutiens métalliques qui maintenaient la galerie. Le personnel avait pourtant remonté toutes les peintures à l’étage en prévision de la tempête. Mais l’eau a renversé la structure et toutes les peintures ont été emportées par un mélange d’eau et de mazout provenant d’une usine à côté.

Je suis resté éveillé toute la nuit de la tempête, en suivant sur Twitter les progrès de l’eau. Une par une, j’ai dit en pensée au revoir à mes œuvres entreposées à la galerie Dillon. J’étais reconnaissant car les peintures prévues pour l’exposition "Golden Sea" censée ouvrir le 8 novembre étaient dans mon studio de Princeton. Elles ont donc été protégées de l’eau. Ma nouvelle série de peintures très larges s’appelle ironiquement « Marcher sur l’eau ». Les œuvres auxquelles il m’a été le plus douloureux de dire adieu furent les originaux du projet The Four Holy Gospels.

Il s’agissait des enluminures originales, encadrées et présentées dans diverses galeries et musées l’été dernier. Leur perte serait très douloureuse puisqu’il s’agit de pièces impossibles à reproduire. Mais le jour suivant, mon assistante m’a rappelé que la collection était partie pour la Floride pour une exposition dans une église. J’en ai soupiré de soulagement ! J’ai rendu grâce à Dieu pour cette exposition organisée par le Père Dan Siedell. Mais j’ai supposé que le reste des enluminures était sous l’eau.

Lorsque Valérie Dillon m’a appelé pour me faire part des dégâts, jamais je n’avais entendu voix plus traumatisée et déprimée. Je lui ai dit que j’avais déjà dit au revoir à mes œuvres et que j’étais donc prêt pour tout ce qu’elle me dirait. Un artiste professionnel, vivant de ses œuvres, apprend chaque jour à s'en détacher. C’est ce qu’implique le fait de vivre de son art. Un ami m’expliquait récemment qu’il en est de même pour le fermier, il ne s’attache pas trop à ses bêtes car elles seront abattues de toute façon. Ce n’est pas là pensée réjouissante mais elle semble juste puisque d’une certaine manière, mon art me nourrit, mon attachement ne saurait être trop profond.

Mais l’attachement à mes créations EST profond et durable. Aucune pensée rationnelle n’a pu atténuer ma douleur en entendant la liste des œuvres qui ont été détruites. Olana – Vision, Trinity screens, Gravity and Grace, Emily Dickinson's Trinity, Interior Castles, etc., etc. Les images ont traversé mon esprit, en passant par mes entrailles et elles n’avaient plus le droit d’être présentes. J’ai dit à Valérie que ce n’était pas la peine que je voie les œuvres. Elles ont été détruites, elles sont détruites. Et pourtant je suis sûr que j’en verrai les fragments au moment venu, afin de remplir les devoirs post mortem d’un artiste envers son œuvre. Près de 20 de mes œuvres significatives et plus de 50 petites œuvres et lithographies mélangées à de nombreuses autres œuvres d’artistes, ont été englouties par l’eau, cette nuit du 29 octobre à Chelsea.

Mais Valérie m’a dit alors quelque chose de miraculeux : "Mako, the Four Holy Gospels n'ont rien". J’étais sans voix ! "Ils ont survécu". Apparemment, Valérie les avait mis sur le coin d'une étagère car ils étaient plus petits et n'étaient pas à vendre. Cette étagère a été épargnée par la vague.

Incroyable…

Il est bien entendu évident que nous devons reporter l’exposition (au mois d'avril prochain, après celle de Yale). A la place de l’ouverture de l'exposition qui devait avoir lieu le 11 novembre, nous avons décidé de diffuser le documentaire de la rétrospective de "Golden Sea" en ligne, sur le site de la galerie Dillon. Rejoignez-nous pour regarder ce remarquable court métrage de Plywood Pictures, retraçant ma carrière.

N’hésitez pas à soutenir la galerie Dillon en ce moment. En effet, Valérie a besoin de fonds pour reconstruire la galerie. L’assurance ne couvre pas les dégâts causés par les tempêtes et la FEMA (Federal Emergency Management Agency/Agence Fédérale de Gestion des Urgences) n’aide pas les entreprises. Elle apprécierait votre aide !

 


Superstorm Sandy, CC BY-NC-SA Life Goes Through

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