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Le peintre de Pâques : Anselm Kiefer

Une exposition intitulée « Maintenant ou jamais » présente l’œuvre d’Anselm Kiefer au musée Essel, à Vienne, jusqu’au 29 mai.

Né en mars 1945 au sud de l’Allemagne, Anselm Kiefer est un enfant de la guerre ; il recherche une rédemption dans les décombres d’une tradition européenne marquée par l’absurde et la violence. Kiefer est le peintre du passage, il nous fait entrer dans le Mystère de Pâques.

Jeudi Saint : La matière en extase

Kiefer est connu pour utiliser dans ses toiles une abondance de matériaux. Tel un alchimiste, il choisit des matières « en état de transition » : la cendre, la suie, le bois, la paille, le plomb, etc. Ces matières sont métamorphosables dans leur forme et dans leur signification. Elles nous aident à vivre le passage sur l’autre rive de la Mer Rouge ou du torrent du Cedron.

Kiefer utilise le plomb pour ses avions, ses sous-marins ou encore ses livres scellés. Pour l’alchimiste, le plomb est « l’uranium », le matériau de base pour faire de l’or. Le métal le plus lourd est en chemin vers la finesse de l’or. Le plomb exprime l’opacité de la condition humaine et en même temps, sa malléabilité, son ouverture à tous les possibles.

Kiefer utilise aussi abondamment la cendre, le bois, la suie comme signes de la mort et de l’holocauste d’Auschwitz. Mais le feu reste aussi présent sous forme de collages, comme une matière extérieure qui veut ranimer l’amour et la foi.

La paille évoque l’or, la fragilité de ce qui est à la merci du feu et du vent, elle fait surtout référence à la poésie de son ami Paul Celan dans laquelle les cheveux d’or de Marguerite se mêlent aux cheveux de cendre de la Sulamith[1] :

La matière est passage car elle renferme une potentialité qui est un appel à un plus-être. La matière porte en elle une évolution vers une finalité qui la dépasse.


Poème "Fugue de la mort" de Paul Celan illlustré par des oeuvres d'Anselm Kieffer

Kiefer mêle sa peinture aux matériaux : l’objet posé sur la toile est en partie peint et il s’entremêle ainsi à l’œuvre de l’artiste. L’objet fait ainsi partie du tableau comme point d‘intersection entre l’art et la réalité. La beauté donne son sens à la matière et l’art commence au seuil de l’inaccessible. L’œuvre de Kiefer recherche le moment du passage, passage du figuratif à l’abstrait, de la matière brute à l’art, du signifié au Mystère, de l’impasse au sacrifice.

Vendredi Saint : L’histoire interrogée

Kiefer cherche aussi dans l’histoire des traces de la Rédemption. Comme son ami Paul Celan à qui il dédia de nombreuses toiles, Anselm Kiefer cherche à « sauver » l’histoire, à déceler dans les événements un enseignement ou plutôt une porte vers l’espérance.

Kiefer contemple le message de paix du peuple juif et sa tragique histoire d’exil et d’extermination. Il interroge la kabbale et les mythes européens et asiatiques au sujet de ce destin tragique.

La collection d’Essel présente plusieurs toiles à ce sujet : « Le buisson ardent » comme « la Maternité virginale de Marie » sont pour Kiefer des archétypes de l’art : une présence du divin dans la fragilité et la violence humaines. L’exil à Babylone et la violence vécue dans le « Croissant fertile » rappellent que la paix vient d’ailleurs et d’en haut. Kiefer représente aussi la « fragilité de Samson », vaincu et vainqueur dans son sacrifice. Enfin ses tableaux cosmiques sont délimités par des séries de chiffres, qui symbolisent les interprétations kabbalistiques mais surtout les numéros tatoués dans les camps de concentration. Comment parler d’un ordre cosmique après Auschwitz ? Comment parler de Dieu devant la souffrance innocente ? L’image de l’anneau est pour Paul Celan un chemin d’espérance dans la nuit :

Il y avait de la terre en eux, et
ils creusaient des tombes.

Ils creusaient et creusaient des tombes, leur jour s’en allait ainsi, leur nuit.
Et ils ne louaient pas Dieu
qui, ainsi l’entendaient-ils, avait voulu tout cela,
qui, ainsi l’entendaient-ils, avait voulu tout cela.
Ils creusaient des tombes et n’entendaient plus rien
ils ne devenaient pas plus sages, ne trouvaient aucun chant,
n’inventaient aucune langue.
ils creusaient des tombes

O l’un ! O aucun !  O personne ! O toi :
Où cela allait, puisque cela n’allait nulle part ?
O ! tu creuses des tombes et je creuse une tombe,
et je me creuse une tombe
pour aller vers toi

Et au doigt s’éveille un anneau[2].

Samedi Saint : l’intérieur du silence

Kiefer est avant tout un peintre du Samedi Saint. De nombreux tableaux représentent une impasse, une porte fermée, une longueur oppressive et sans issue. Plus que la porte que l’on voit ou que les rails qui finissent dans un terrain vague, le tableau transmet un vide, évoque une absence, renvoie à quelque chose qui n’est plus ou qui est derrière la toile.

Kiefer inverse les perspectives linéaires pour nous mettre devant une réalité indéfinie, qui n’a plus de repère ; le monde du « on » anonyme est presque chosifié dans le tableau. Qu’on regarde sa toile de près ou de loin, de face ou en diagonale, il n’y a pas d’échappatoire à ce vide. Il faut y entrer pour voir surgir peu à peu les reflets et la force de la couleur. Le tableau est comme un mémorial qui conduit au silence, une pierre dressée à l’ombre de la croix :

Tenir debout dans l’ombre des stigmates des blessures
Tenir debout pour personne et pour rien

Non reconnu
Pour toi seul
Avec tout ce qui a ici de l’espace
Et même sans paroles[3] »

Interview d'Anselm Kiefer sur Arte

 


[1] Paul Celan, la Fugue de la mort.
[2] Paul Celan, in La Rose de Personne.
[3] Paul Celan, in Grilles et Paroles

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