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de Paul Anel   6 mars 2013
Temps de lecture 5 mn

Le 24 février dernier, Daniel Day Lewis est entré dans la légende en remportant l'Oscar du meilleur acteur pour son interprétation du président Lincoln dans le film homonyme de Steven Spielberg, troisième récompense du genre pour l'acteur, après "My Left Foot" (1989) et "There Will be Blood" (2007). Quel est le secret de cet immense acteur aux mille visages ?

Il y a un paradoxe dans le métier d'acteur. Un paradoxe mortel, pour ainsi dire, et Daniel Day Lewis me semble constituer une rare exception.

Aucun acteur ne s'est jamais plaint d'avoir atteint une certaine reconnaissance, et parmi toutes les reconnaissances l'Oscar du meilleur acteur est indubitablement une des plus prestigieuses, et des plus convoitées. Et cependant, rien n'est plus dangereux pour le métier d'acteur que la reconnaissance ! Quand Jack Nicholson apparaît sur l'écran, il a beau arborer la crinière d'un loup garou (Wolf), le maquillage baroque et surchargé d'un joker (Batman) ou le costume impeccable d'un mafieux sans scrupules (The Departed), rien n'y fait : on le reconnaît aussitôt ! Et quand il paraît à l'écran, c'est plus fort que nous, on ne se dit pas : voilà Frank Costello, Will randall ou le Joker, mais bien : Voilà enfin Jack Nicholson ! Et la même chose peut être dite d'un Robert de Niro, d'un Harrison Ford et de bien d'autres encore. Au mieux, s'il est vraiment doué, l'acteur parvient-il à se faire oublier dans la seconde moitié du film, et à laisser ainsi quelques précieuses minutes d'existence à son personnage.

Résumons donc le paradoxe : un acteur qui réussit dans son métier est un acteur reconnu, et pourtant, rien n'est plus nocif au métier d'acteur que la reconnaissance !

Mais Daniel Day Lewis, disais-je, me semble faire exception à la règle. Peut-être est-ce moi qui ne suis pas très physionomiste, mais —si je n'avais lu son nom sur l'affiche— je serais bien incapable de le reconnaître quand il paraît à l'écran ! Une photo ne rend certes pas la richesse du jeu d'un acteur, mais tout de même, la série de photos publiées dans Le Point il y a quelques jours (link ci-dessous), manifeste bien cette extraordinaire capacité de l'acteur à se présenter à l'écran avec des visages sans cesse nouveaux, inattendus. Cela ne saurait être mis uniquement sur le compte de la qualité de son jeu (et moins encore de la qualité de son maquillage), car Harrison Ford, Robert de Niro ou Jack Nicholson sont aussi d'immenses acteurs, et cependant ils ont bien du mal à passer inaperçus. Il y a chez Daniel Day Lewis quelque chose de plus…

Ce "quelque chose de plus", c'est peut-être ce qu'Olivier Gourmet, grand acteur belge, appelle "un physique banal". Mais ne nous y trompons pas. Il ne s'agit pas seulement là d'une appréciation sur le visage que les aléas des gènes et de la vie ont conféré à tel ou tel acteur. Avoir un "physique banal", explique Olivier Gourmet, cela demande à l'acteur beaucoup de travail, de discipline et d'attention ! Car, au fond, qu'est-ce qui fait qu'un visage comme celui de Robert de Niro ne nous apparaît pas comme banal ? Le fait que nous avons vu ce visage si souvent sous les projecteurs : en couverture des magazines, sérieux ou moins sérieux, interviewé au 20h, posant pour le bénéfice de telle marque de voiture, ou pour la loterie nationale. Il y a une forme d'anonymat, certes bien difficile à protéger, et cependant nécessaire au métier d'acteur. En se tenant à l'écart des médias, en se gardant de paraître trop fréquemment sous la lumière des projecteurs, Daniel Day Lewis manifeste non seulement une admirable sagesse, mais également une juste conscience professionnelle : il protège son plus précieux instrument de travail : son visage.

C'est au prix de cet "anonymat", certes relatif, que l'acteur peut accomplir le tour de magie qu'il est seul à pouvoir accomplir : la disparition totale de l'acteur derrière le personnage, dont le visage et la personnalité seuls existent à l'écran. C'est ce qui fait la différence, et la grandeur, de Daniel Day Lewis, et la raison pour laquelle il mérite largement cette triple (mais dangereuse) reconnaissance !

***

Link Tous les visages de Daniel Day Lewis

Trailer de Lincoln

 

 

Pour revoir l'inoubliable scène de "conversion" dans There will be blood

 

 

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1 Commentaire

  1. Bruno ANEL

    Trés juste éloge de Daniel Day Lewis, Paul. Il fait un excellent Lincoln. Du grand Spielberg. Mais mon acteur fétiche dans le film reste Tommy Lee Jones.