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Fabienne Verdier : une peinture métaphysique

L’exposition « Hommages aux maîtres flamands » de Fabienne Verdier est visible à Bruges au musée Groninge jusqu’au 25 août prochain. A travers la peinture et la calligraphie, cette exposition permet d’ouvrir un dialogue fascinant entre la mystique flamande et la philosophie orientale.


© Marie Rosenblatt

1. Chemin d’intériorité :

A l’âge de 20 ans, Fabienne Verdier part pour un voyage initiatique en Chine pour apprendre la calligraphie[1]. Dix années pour se mettre à l’école des grands maîtres chinois, à l’écoute de son cœur, à l’écoute de la réalité.

Fabienne Verdier doit d’abord quitter l’univers de l’art occidental dans lequel elle a grandi, marqué par une recherche conceptuelle idéologique et égocentrique. L’art comme la pensée est réduit à un discours asséchant, l’art n’est plus finalisé par la beauté, il est un moyen de former une mentalité ou de transmettre un concept. Le réel n’est qu’un prétexte car il n’a pas de signification au-delà de l’apparence. Le point de départ est l’idée ou l’ego.

Fabienne Verdier commence donc son itinéraire pictural par une remise en question totale des formes esthétiques modernes. Elle apprend à travers la calligraphie une nouvelle façon de regarder. Au-delà de l’apparent et de la forme, l’artiste doit se laisser habiter par la « sève du réel », la substance, l’élan vital, le souffle qui est le principe de l’être. L’art n’est plus la transmission d’un message ou une description mais veut mettre en contact avec l’essence des choses qui se révèle comme un parfum. Le trait atteint sa vérité lorsqu’il connecte mon "je" le plus intime, l’objet contemplé et l’ensemble du réel.

L’intériorité n’est pas solipsisme mais nous ramène à la « respiration du monde », à la « sève qui anime le monde ». La réalité est éphémère et fragile mais l’artiste perçoit la richesse de cette dépendance ontologique, il scrute le principe, le « ce par quoi » une chose est ce qu’elle est. Cette contemplation de la cause de l’être révèle l'unité du réel.


© Marie Rosenblatt

2. Chemin d’unité

Fabienne Verdier parle d’une jubilation intérieure lorsque l’art permet d’unifier notre vie dans un geste simple qui exprime vraiment ce que l’on est. En ce sens la calligraphie est une ascèse, une interminable répétition pour épurer, simplifier, unifier le geste.

Si le trait est posé en une fraction de seconde, il est le fruit d’une très longue méditation. Il s’agit d’absorber la puissance énergétique, de percevoir l’unité d’une structure complexe, d’exprimer l’esprit et non la forme extérieure. Cette démarche permet d’arriver à la quintessence de l’objet qui devient accessible au-delà des langues et cultures et nous révèle notre propre appartenance au Mystère de l’être.


© Marie Rosenblatt

3. Sens de la matière

La calligraphie est une peinture verticale, le pinceau se tient entre ciel et terre avec une réserve d’encre, il y a un écoulement de la matière et on joue avec la gravité, toutes les formes sont façonnées par la gravité.

Revenant en Europe, Fabienne Verdier va agrandir son pinceau et construire un atelier avec un système de poulies pour pouvoir non plus le tenir en main mais danser avec des pinceaux de plus de cinquante kilos. Elle adapte un guidon pour pouvoir manier ces colonnes de peintures.

Cette peinture verticale permet de donner une densité au trait qui révèle à la fois la profondeur infinie de la matière et le mouvement intérieur. Fabienne Verdier contemple depuis son bateau le mouvement des lignes de la côte. Les crêtes forment des structures essentielles qui évoluent et forment comme une danse, une mélodie, un mouvement ternaire. Ce mouvement continuel à l’intérieur de la matière dévoile la forme de la matière, le désir de finalité inscrit au cœur de la matière.


© Marie Rosenblatt

4. Peindre la prière

L’exposition de Bruges est le résultat de quatre années d’études et de méditation sur les maîtres de la peinture flamande. Dans la peinture flamande, Fabienne Verdier trouve des expressions de prière, des canaux de lumière qui expriment la grâce, des figures labyrinthiques qui conduisent au Mystère.

La peinture flamande s’inspire de la mystique rhéno-flamande : La personne humaine est identifiée à la divinité dans une quête de l’unité de tout le créé en Dieu. La mystique flamande part de la participation de l’être créé à l’être divin. L’altérité du monde est relative puisque Dieu est tout. Cette vision néo-platonicienne chez Eckhart trouve son expression trinitaire chez Tauler et Rusbrock. L’unité de l’essence de l’être correspond à l’union des personnes. Le portrait de Margareta, peint par son époux  Van Eyck, exprime l’âme de cette femme dans une grande retenue et une objectivité presque froide. Elle est à la fois énigmatique et infiniment présente, à la fois lointaine et ouverte au dialogue. Ces contrastes conduisent à percevoir l’âme de la personne dans sa communion aux autres et sa prière.


© Marie Rosenblatt

Fabienne Verdier ouvre ici un dialogue passionnant entre la recherche d’unité taoïste de la calligraphie et la mystique occidentale. Elle recherche le vide de parole pour atteindre l’obscure harmonie intérieure qui n’est pas affirmation égocentrique mais ouverture au Tout.

L’éducation de la mystique flamande et de la calligraphie consiste donc à devenir semblables au Logos qui habite en nous. Nous devons rester dans cette « lumière sans fond » qui dévoile la forme intérieure de la prière.
 


© Marie Rosenblatt

5. La souffrance

La peinture flamande ouvre à Fabienne Verdier l’univers de la souffrance : le sang du Christ, les larmes des apôtres, le labyrinthe des cheveux de Margareta. Il ne s’agit pas d’une douleur morbide et absurde qui reste sur un vide. La mission de l’art est de ne pas laisser la souffrance nous replier sur nous-mêmes. L’art fait de la souffrance une musique et de la douleur une danse pour nous faire entrer dans le dynamisme du Logos miséricordieux.


© Marie Rosenblatt

 

Conférence de Fabienne Verdier au Groeningemuseum

 


[1] Cf. Fabienne Verdier, Passagère du Silence.

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