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Que faut-il penser de la popularité du Pape François ?

Après le Times Magazine, c’est au tour du New York Times de se pencher avec admiration sur le pontife romain, consacrant la « une » de son édition du mardi 14 janvier au « Pape avec une touche d’humilité » [1]. La popularité du Pape dans les cercles non-catholiques ne fait jusqu’à présent qu’augmenter. Dans les cercles catholiques, elle réjouit les uns et laisse les autres circonspects, pour ne pas dire plus. Que faut-il en penser ?

On entend dire que la popularité est suspecte de la part d’un disciple de celui qui a dit, lors de son dernier dîner : « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». Le chrétien, aimait à répéter Jean-Paul II, doit être un « signe de contradiction » au milieu du monde. Cela dit,  il ne faut pas oublier que Jésus aussi a connu son heure de popularité. Les références ne manquent pas. Au chapitre 5 de saint Marc, par exemple, il est dit, après la guérison du démoniaque que « tous étaient dans l’admiration » et « qu’une foule immense s’assemblait autour de lui ». Que l’on ne disqualifie pas trop vite ces passages en disant que ce sont les mêmes qui, quelques mois plus tard, demanderont qu’on le mette à mort. Que parmi la foule se trouvent déjà des personnes dont le cœur est armé de mauvaises intentions à l’égard de Jésus, c’est possible. Mais cela ne devrait pas nous faire oublier ce qu’il y a de beau et de juste dans cette admiration de beaucoup dans la foule. Le Christ est vrai Dieu, et cela certes leur échappe, mais il est aussi vrai homme, et c’est cela que la foule reconnaît et admire. On ne peut mépriser a priori la popularité, car le Christ est venu répondre aux désirs les plus profonds du cœur de l’homme. Par conséquent la reconnaissance et l’admiration sont au commencement de toute vie chrétienne.

Dans un contexte de désertification des séminaires et des églises, la popularité, le succès, paraissent forcément suspects. Le principe de persécution peut être un moyen commode de ne pas assumer la responsabilité d’une certaine impopularité, autrement dit d’un christianisme déshumanisé, qui a perdu sa force de ravissement et d’attraction. Un christianisme, pourrait-on dire avec Jean-Paul Ier, dans lequel l’événement de l’incarnation du Verbe est remplacé par des règles (et que ces règles soient de droite ou de gauche ou du centre ne change rien à l’affaire). Il me semble au contraire qu’il faut nous réjouir d’avoir un Pape populaire. Je ne saurais que me réjouir de voir si spontanément louer son humilité et sa compassion, comme je l’ai entendu tout dernièrement, par des adolescents d’un lycée de la banlieue de Brooklyn, à New York.

Certes, il se trouve aussi dans ce concert de louanges, on ne saurait l’ignorer, des louanges hypocrites et calculées, tentatives habiles de dresser les catholiques contre leur chef (ainsi le remerciement publié il y a quelques mois par NARAL sur sa page Facebook) [2]. On peut dire encore que, parmi ces louanges, les raisons nobles et humaines se mélangent souvent à de fausses raisons, fondées sur des préjugés et des incompréhensions, telles que les raisons mises en avant par nombre de médias, qui ne voient dans l’attitude du Pape François que la mise en oeuvre habile et progressive d’un agenda politique libéral. Parmi ceux qui suivaient Jésus, les motifs étaient rarement purs, et sur l’admiration profonde que suscitaient son humanité et sa liberté, se greffaient souvent des motifs politiques (il va prendre le pouvoir !) ou simplement égoïstes (cet homme multiplie les pains !). Même dans le cortège des apôtres, les motifs n'étaient pas entièrement purs. Il est beau de voir que Jésus n'a pas pour autant méprisé leur désir de le suivre, mais a cherché plutôt à l'éduquer.

Le New York Times lui-même ne déroge pas à la règle : après s’être incliné respectueusement devant l’humilité et la compassion du souverain pontife, il se félicite un peu bruyamment de le voir « placer des cardinaux modérés aux principaux postes de l’Eglise ». N’en voulons pas aux médias de poser sur ces événements un regard qui réduit tout au politique et au sociologique. Il ne saurait en être autrement et ce serait un comble que d’attendre du monde qu’il pose sur l’Eglise un regard de foi. Reconnaissons toutefois l’honnêteté avec laquelle l’auteur de l’article avoue que le Pape reste cependant « tricky to define » (on pourrait traduire « difficile à mettre dans une boîte »), du fait qu’il reste malgré tout « conservateur en matière doctrinale ».

Que les médias posent sur le Pape et ses décisions un regard horizontal et politique, on ne saurait le leur reprocher. En revanche, il est absolument nécessaire que les chrétiens portent sur leur Eglise un regard de foi, et gardent à l’esprit qu’en matière de gouvernement de l’Eglise, c’est l’Esprit Saint, et non les médias, qui forme l’ultime tribunal. Nous savons que l’Eglise n’est profondément contemporaine que dans la mesure où elle est véritablement contemplative, c’est-à-dire enracinée dans le Christ. La sainteté et l’humilité sont ses seuls principes de renouvellement, et non la transformation des structures ou l’adaptation à l’esprit du monde, lesquelles ne font par elles-mêmes que substituer un cléricalisme de gauche au cléricalisme de droite.

Un signe qui trahit immanquablement cette réduction du Corps du Christ à une perspective sociologique et mondaine, c’est la comparaison que l’on fait volontiers entre le Pape François et son prédecesseur. Toujours, cela va sans dire, au désavantage de ce dernier. Suivons plutôt le conseil de la sage Madame Gervaise, du Mystère de la Charité de Péguy, qui nous met en garde contre la tentation « d’opposer les saints d’hier aux saints d’aujourd’hui ». Que les « styles », comme aiment à dire les médias, de ces deux papes soient très différents, c’est une évidence. L’un est professeur, de formation académique, et l’autre pasteur, l’un est germanique, l’autre argentin. Mais au-delà de ces questions de « styles » finalement très superficielles, un regard plus attentif révèle une continuité de fond entre les deux papes. Que l’on relise, par exemple, Spe Salvi :
« L'homme est racheté par l'amour. Cela vaut déjà dans le domaine purement humain. Lorsque quelqu'un, dans sa vie, fait l'expérience d'un grand amour, il s'agit d'un moment de "rédemption" qui donne un sens nouveau à sa vie. » (n26)

« L'homme a pour Dieu une valeur si grande que Lui-même s'est fait homme pour pouvoir compatir avec l'homme de manière très réelle, dans la chair et le sang, comme cela nous est montré dans le récit de la Passion de Jésus. De là, dans toute souffrance humaine est entré quelqu'un qui partage la souffrance et la patience ; de là se répand dans toute souffrance la con-solatio ; la consolation de l'amour qui vient de Dieu et ainsi surgit l'étoile de l'espérance. » (n39)

Réjouissons-nous de la popularité du Pape François, signe que le Christ, dans son humanité, est capable aujourd’hui encore de toucher le cœur de l’homme. Laissons à leur aigreur ou à leur excitation ceux qui ne respirent que politique et calcul. L’intérêt sincère pour la foi chrétienne que le Pape François réveille dans le cœur de beaucoup commence déjà à produire des fruits de conversion. C'est le cas au Royaume-Uni, où l’Eglise a constaté depuis un an une fréquentation exceptionnelle des confessionnaux. [3]
 

Lisez d'autres articles de Paul Anel :

Lumen fidei, ou l’urgence d’un retour à l’incarnation
L'Eglise selon le cœur du Pape François
Pourquoi avons-nous besoin d'un Pape ?

 

 


[1] Référence de l'article : http://www.nytimes.com/2014/01/14/world/europe/pope-with-the-humble-touch-is-firm-in-reshaping-the-vatican.html?hpw&rref=world&_r=0
[2] NARAL (National Association for the Repeal of Abortion Laws) est, aux Etats-Unis, une des organisations les plus influentes et actives pour la promotion de l'avortement. Suite à l'entretien du Pape pour le journal Civilta Cattolica, dans lequel le Pape a affirmé que « nous ne pouvons pas nous contenter de parler des sujets liés à l'avortement, au mariage gay ou aux méthodes contraceptives », NARAL a posté sur sa page Facebook un message de remerciement au Pape François, provoquant la colère et la confusion des catholiques aux Etats-Unis. NARAL ne peut ignorer les condamnations par ailleurs très claires du Pape François sur la question de l'avortement, et il ne fait aucun doute que la colère et la confusion des catholiques américains, leurs ennemis déclarés, étaient précisément l'effet recherché. Sur cette polémique, cf. par exemple ce lien : http://wdtprs.com/blog/2013/09/naral-screwed-up-big-time-over-pope-francis-tbi-but-they-still-win/
[3] Cf. http://www.telegraph.co.uk/news/religion/10280941/Confession-boom-attributed-to-Pope-Francis-effect.html

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3 Commentaires

  1. DC

    Cet article est magnifique et pose un jugement profond auquel j’adhère. Comparer la popularité du pape à celle du Christ est très bien vu. Montrer que de tels jugements peuvent être partiels ou mal intentionnés tout en sauvant le début de vérité qui les met en mouvement est très juste. Cela permet d’éviter les raccourcis et d’aller plus à fond dans le jugement sur les évènements. Enfin, nous aider à nous rappeler que le critère de notre jugement est la foi, quelque soient nos sensibilités, nos désaccords ou nos enthousiasmes est libérant. Nous savons qu’un être humain est toujours limité, mais nous savons aussi que Jésus se sert de nos pauvretés, comme le rappelait Benoît XVI: « Dieu sait travailler avec des instruments imparfaits ». Jésus mène la barque. Vive le pape qui est son humble vicaire. Merci.

  2. Bruno ANEL

    Le pape Jean XXIII fut aussi extraordinairement populaire et sa mort ne fit qu’amplifier ce mouvement de sympathie. Son pontificat fut interprété comme un « signe des temps », formule à laquelle il était attaché. Sans doute le Seigneur a- t-il voulu confier à une figure de paternité bienveillante le soin d’initier l’espérance nouvelle qui allait naître du concile.