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Gaz de schiste en France : pourquoi s’interdire de débattre ?

C'est fait depuis le 14 janvier 2014 : la Grande Bretagne autorise l'exploitation de son gaz de schiste et annonce que des incitations fiscales seront octroyées. Elle emboîte ainsi le pas aux USA, à l'Argentine, au Canada, au Danemark, à la Chine, à l'Ukraine et à la Pologne. La France, quant à elle, se refuse pour le moment à les suivre. Depuis la conférence environnementale de septembre 2012, elle s'interdit même toute recherche sur la viabilité d'une telle exploitation.

Un peu d'histoire

A la fin des années 1990, Georges Mitchell, directeur d'une petite compagnie de production d'hydrocarbures texane, démontre la possibilité et la rentabilité du gaz de schiste. L'exploitation commence et dès les années 2000 les forages se multiplient. La technique est celle de la fragmentation hydraulique (ou « fracking ») qui consiste à injecter à très haute pression des quantités importantes d'eau mélangée avec des adjuvants chimiques et du sable. L'injection ouvre des fissures et libère le gaz enfoui qui remonte par des puits pour être stocké.    

Une première expérience non sans risque de pollution

Les débuts sont prometteurs mais les premiers incidents ne tardent pas à arriver : des nappes phréatiques sont polluées ; un film qui tourne en boucle sur internet montre même de l'eau du robinet s'enflammer [1]. Pour les acteurs du secteur, le problème n'est pas tant la technique de la fragmentation hydraulique que celle de l'étanchéité des puits [2]. Les promesses de rentabilité ont aussi attiré rapidement des compagnies peu fiables, effectuant des forages aberrants, peu regardantes sur la sécurité. Sur le sujet de la sécurité, les études divergent et il semble extrêmement difficile d'avoir des informations fiables et indépendantes. Ceci dit, plus de 12 ans d'exploitation de gaz de schiste permettent aussi aux ingénieurs d'améliorer la technique de perforation et de sécurité des puits. De nouvelles techniques apparaissent : « fracturation pneumatique », « arc électrique »…

Un boom économique et une nouvelle donne géopolitique   

Aujourd'hui le gaz de schiste représente 20% de la consommation énergétique totale du pays (contre 2% il y a 12 ans). La même quantité de gaz vendue 12 dollars en Europe ou 16 au Japon le sera à 2,7 aux USA. « Déjà on évoque une économie de 1000 dollars par an par foyer américain et, du fait de l'essor de toute l'industrie pétrochimique associée, 600 000 emplois dans la décennie à venir. L'équivalent d'un demi point de PIB pour les 5 prochaines années [3] ».

Pittsburgh, l'ancienne capitale du charbon, sinistrée depuis les années 1980, revit désormais : les routes sont refaites, des emplois se créent dans le bâtiment et les services, la pétrochimie et la chimie dérivée (pharmacie, engrais). C'est toute une industrie qui profite du boom de l'exploitation du gaz de schiste [4].

Quant au bénéfice écologique, il est lui aussi immense : les rejets de gaz à effet de serre ont fortement diminué en raison du remplacement progressif du charbon.

Les conséquences sont aussi géopolitiques. Avec un siècle de réserve, les USA seront autosuffisants dès 2030 sur le plan énergétique. Ce qui explique ce titre du Financial Times : «Do we care about Ormuz? [5]». La politique de concession des USA visant à sécuriser leur approvisionnement en énergie au Moyen-Orient pourrait être revue dans le sens d'un certain désengagement ou, du moins, de la révision de nombreuses concessions politiques et économiques aux monarchies pétrolières du Golfe.

En France, le débat est déclaré « clos ».

En 2011, Nicolas Sarkozy avait annulé 3 permis de recherche mais 7 autres étaient en attente. François Hollande a quant à lui été très clair sur ce sujet : « Les arguments économiques existent. Mais dans l'état actuel de nos connaissances, personne ne peut affirmer que l'exploitation par fragmentation hydraulique est exempte de risques lourds [6] ». Delphine Batho, alors ministre de l'Ecologie du Développement durable et de l'Energie affirmait alors de son côté : « Certains tenteront en permanence de remettre le sujet sur la table mais, d'un point de vue politique, le débat sur les gaz de schiste est clos ».

Concession de poids faite aux écologistes d'EELV en coalition au pouvoir alors que les dernières évaluations des réserves de la France sont immenses et évaluées de 3800 à 5000 milliards de mètres cubes de gaz (de quoi tenir un siècle et demi). Pour Louis Gallois, ancien patron d'EADS : « Il est hors de question de faire l'impasse sur cette nouvelle source d'hydrocarbures » tenue pour « une des richesses phares de la France [7] ». D'autant que la France importe 98% de son gaz pour une facture énergétique totale de 60 milliards d'euros par an (soit plus de 80% de notre déficit commercial estimé à 73 milliards en 2012).


CC BY-SA Ruhrfisch

Le poids de l'idéologie

Si la technique du « fracking » est dangereuse pourquoi ne pas tout simplement faire nous-mêmes l'essai pour en avoir le cœur net ? Pourquoi s'interdire de disposer des instruments d'évaluation de cette technique et de son utilisation potentielle ? Plutôt que d'essayer de trouver un terrain d'entente qui favorise la recherche et l'innovation, il semble que le pouvoir politique balaie d'un revers de la main une source potentielle de richesse.

A propos du principe de précaution

Le principe dit de « précaution » invoqué pour bloquer non seulement toute exploitation mais aussi toute recherche sur le sujet devient en fait de plus en plus un principe d'inhibition. C'est devenu « Dans le doute, abstiens-toi » alors que cela devrait être « Ne marchons pas sans évaluer les risques ». Sur ce sujet on ne peut que louer un certain pragmatisme anglo-saxon qui, libre des idéologies catastrophistes, sait que c'est en se lançant que l'on apprend et que les techniques sûres de demain nous seront fournies par l'expérience acquise aujourd'hui. Or, qui refuse de faire les premiers pas ne pourra pas apprendre à marcher…

Conclusion : sortir du pessimisme !

Dans le fond, nous pouvons nous demander si l'idéologie de l'interdiction de la recherche sur l'exploitation du gaz de schiste ne prend pas sa source dans un certain pessimisme sur notre époque. Il y a eu, il est vrai, une grosse désillusion sur la notion même de progrès. Au nom du « progrès », de nombreux dégâts ont été commis, y compris dans le domaine de la protection de l'environnement. Notre époque a découvert que tout ce qui était techniquement réalisable n'était pas automatiquement bon pour l'homme et que les nouveaux outils qu'il a créés (surtout au XXème siècle) ont pu se retourner contre lui. Devons-nous pour autant céder au pessimisme ? Ne faudrait-il pas au contraire réclamer un droit d'inventaire des « progrès » réalisés ces dernières décennies et voir avec calme et raison lesquels ont vraiment permis à l'homme de grandir dans son humanité ? C'est ce qui éviterait peut-être ce qui apparaît comme une crispation d'une certaine partie de la population lorsqu'il s'agit de continuer à avancer, de chercher, d'innover comme dans le cas du gaz de schiste mais aussi des OGM ou de l'énergie nucléaire.    

 


[1] Film « Gasland », sorti en 2010.
[2] Article du 24 juin 2013 paru sur le site du Figaro : « Du gaz de schiste dans des puits d'eau potable » (Fabrice Nodé-Langlois).
[3] Source : « Valeurs Actuelles » article internet du 31 octobre 2012 « Un choix idéologique qui affaiblit la France ».
[4] Le Brésil, de son côté, se lamente d'avoir perdu depuis 2010 l'implantation sur son sol de nombreuses entreprises nord-américaines et de la perte de 10 milliards de dollars d'investissements potentiels. Il est plus commode pour de nombreuses entreprises de s'implanter près d'une source économique d'approvisionnement en énergie (source :  Myriam Leitão, journal « O Globo »)
[5] Traduction « Nous soucions-nous d'Ormuz ? ». Ormuz étant le détroit qui lie le Golfe Persique à l'Océan Indien et par lequel transite la majeure partie des importations d'hydrocarbures du monde entier. Zone à risque car contrôlée en partie par l'Iran.
[6] Déclaration lors de la Conférence environnementale du 14 septembre 2012.
[7] Cité dans « Valeurs Actuelles », article du 31 octobre 2012.

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5 Commentaires

  1. jb

    Suite au WEF de Davos, plusieurs spécialistes relèvent l’absurdité de la politique écologique européenne. L’Europe veut passer pour le donneur de leçon et le modèle de l’énergie verte or cette politique de subvention à outrance de l’énergie dite renouvelable a pour conséquence de faire exploser les coûts et donc d’accélérer le processus de délocalisation et d’augmenter la pollution de CO2 car pour réguler les pics de l’énergie verte, c’est le charbon qui prend le relais !
    Le Wall Street Journal du 29 janvier titre que l’EU donne l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire ! Chiffre à l’appui, Mr Darwall, auteur de „The age of global warming“ (Quartet Books, 2013) montre que le coût moyen du kilowatt pour les entreprises est le double en Europe par rapport aux USA (6.67 cent contre 12.25). Les subsides de l’Union Européenne rendent les investissements dans les énergies conventionnelles non polluantes comme le gaz ou l’hydraulique non rentables. Depuis 2008, les entreprises américaines ont réduit leur coût énergétique de 2.3% alors que dans la même temps, les entreprises européennes ont vu leur coût exploser de 16.7%, les américains paient maintenant 45% de moins que les européens.
    Le quotidien suisse „le Temps“ fait le même constat : les américains font mieux que les européens en matière de réduction de CO2 entre 2007 et 2012. L’Europe doit compenser sa politique verte par le charbon américain qui provoque la fermeture des installations à gaz. La taxe carbone, fruit de l’idéologie écologiste est un fiasco non seulement économique mais même écologique.

  2. Rigalleau Antoine

    Je veux bien répondre positivement à la question du titre mais je constate seulement que la conclusion de l’article est pleine d’idéologies ! (il n’y a d’ailleurs plus de référence bibliographique).
    L’argument « pourquoi s’interdire d’essayer ? » ne tient pas. Il n’invite pas à un jugement. Il ressemble au serpent qui parle à Eve !

    Ce n’est pas nier les capacités intellectuelles de l’homme que de remettre en cause sa fascination pour les jouets technologiques. Simplement après 50 ans de technologie nucléaire en France, aucune centrale n’a jamais été démantelée en entier (à commencer par la fameuse centrale de Brennilis -http://fr.wikipedia.org/wiki/Site_nucl%C3%A9aire_de_Brennilis).

    Les arguments scientifiques méritent eux aussi un débat (http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/01/04/gaz-de-schiste-des-fuites-de-methane-plus-importantes-que-prevu_1812943_3244.html).

    Qui plus est, un véritable débat doit se faire avec une certaine équité dans la prise de parole. Il ne me semble pas que ce soit être catastrophiste, ou complotiste ou obscurantiste que de dire que les lobbys pétroliers ont des moyens d’actions que de simples citoyens n’ont pas. Les enjeux financiers sont tous simplement immenses. Cela permet à l’union française des industries pétrolifères de se montrer arrogante face à l’état français : http://plunkett.hautetfort.com/archive/2012/02/03/gaz-de-schiste-pression-tres-arrogante-des-petroliers-sur-le.html

    Enfin est-ce vraiment raisonnable (au sens explorer toutes les raisons) que de ne voir que l’enjeu de l’utilisation des gaz de schistes ? Rappelons-nous que plusieurs centrales nucléaires tournent aujourd’hui en France pour l’utilisation de nos jouets technologiques (écrans plats, tablettes numériques, etc). Est-ce que là n’est pas vraiment le cœur du débat ?

    Dernier truc : le pessimisme. Merci de ne pas caricaturer les défenseurs de l’environnement comme d’éternels pessimistes, se chauffant à la bougie et mangeant des graines. Je pourrais témoigner de nombreux chrétiens qui y voit là un formidable chantier, un lieu de conversion personnelle et surtout un lieu de forte espérance…

    1. Arnaud Guillaume

      Cher Antoine, je pense comme toi qu'avec la notion de "progrès" il y a eu beaucoup de dérives. Au nom du progrès tout et n'importe quoi a été validé. Aujourd'hui avec du recul nous voyons qu'il y a eu des "progrès" qui n'en ont pas été. Qui ont détruit l'homme et son environnement.

      Ceci dit il faut aussi éviter de jeter le bébé avec l'eau du bain. Et ne pas tomber dans l'excès inverse qui consterai à nier a priori tout progrès. Pour savoir si une avancée technologique comme l'exploitation du gas de schiste fait réellement "progresser" l'humanité il faut bien ne pas s'interdire l'expérimentation,CAD de savoir si c'est bon ou pas.

      Je ne suis nullement expert sur ce sujet et comme je le souligne dans l'article les études sur la sécurité divergent. Par contre je trouve que c'est une forme de terrorisme intellectuel que de se refuser les moyens de connaitre la vérité. A mon sens la meilleure façon d'interdire le gas de schiste sur notre territoire c'est de ne pas avoir peur de réaliser les études qui diront soit "oui on peut y aller" ou "non c'est trop dangeureux".

      L'attitude qui consiste à se boucher les oreilles et dire "non c'est forcément pas bien et ne faisons aucune étude pour savoir la vérité" me parait être une attitude pessimiste et empreinte d'idéologie.

      Comme toi je suis un défenseur de l'environnement et je vois dans la nature l'oeuvre de Dieu, une beauté incroyable qu'il s'agit de préserver. Comme toi je ne désire nullement que nous ajoutions une nouvelle source de pollution. Et je ne juge pas les défenseurs de l'environnement comme des attardés. Je cherche juste à ne pas être prisonnier d'idéologies qui nient a priori tout progrès.et qui interdisent le débat.        

  3. Michel de Malartic

    Si la technique actuelle d’exploitation du gaz de schiste présente des risques pour l’environnement, il paraît normal d’en interdire l’utilisation, si ces risques sont réels (prudence vis-à-vis des films qui à force de vouloir trop démontrer s’embourbent dans l’outrance).
    Par contre l’interdiction de toute recherche sur ce sujet me semble lié à une attitude plus discutable : le rejet de toute nouvelle exploitation des ressources fossiles.
    On entend derrière cette affirmation un vieux fond de culpabilité :  » Nous avons abusé de notre planète, l’homme est coupable de saccage, etc… ».
    C’est vrai que les ressources naturelle de la terre ont été mises à rude épreuve depuis une cntaine d’années, mais est-ce une raison de désespérer de la nature humaine et de sa créativité, dont les fruits sont parfois extraordinairement bénéfiques (je pense d’abord à la santé) ?
    L’excès de consommation, la recherche de la satisfaction des désirs individuels n’ont pas commencé avec la découverte du gaz de schiste.
    Le monde dans lequel nous vivons demande de plus en plus d’énergie, et cet appétit entretient d’interminables conflits.
    La perspective de voir les régions pétrolières du moyen-orient et de l’Afrique perdre de leur importance stratégique, une nouvelle possibilité d’espérer une fin de l’interminable conflit Israëlo-Palestinien, est-ce si effrayant ?
    Pour en revenir à l’économie d’aujourd’hui, la transition énergétique décrétée en Europe ne fait pas que des heureux là où elle est le plus avancée : les allemends brûlent de plus de charbon pour compenser les irrégularités de l’éolien et personne n’a encore commencé à calculer les coût de démontage des fermes d’éoliennes en mer.
    C’est vrai que tout serait tellement plus simple si on pouvait consommer moins d’énergie, mais allez proposer à des électeurs de baisser leur consommation d’électricité de 240 %
    en allée électorale …
    Cela ne dispense pas de faire ce que l’on peut, chacun à son échelle, pour limiter les gaspillages, mais cela passe d’abord par des efforts permanents d’éducation au respect des autres et du monde qui nous entoure.
    Une recherche patiente vers quelque chose qui nous dépasse ne nuit pas.

  4. Rigalleau Antoine

    Cher Arnaud,

    Je te rejoins bien sur ton raisonnement. Ce n’est effectivement pas « raisonnable » d’écarter une hypothèse. Si l’exploitation du gaz de schiste permet à l’humanité de progresser (dans le sens d’un développement global et intégral comme le défini la doctrine sociale de l’Eglise), pourquoi éviter cette technique ?

    Les arguments de la géopolitique (indépendance énergétique), du développement technique (qui n’aide en rien l’homme a être plus libre), ne me touchent guère.

    Quand je vois la difficulté que nous avons chacun (moi le premier) à être libre face aux éléments de confort matériel, je trouve cela factice de présenter l’arrivée d’une nouvelle technologie comme source de liberté (ce n’est pas ce que tu proposes dans l’article).

    En ce sens, la véritable question est bien : quel type de développement et de mode de vie voulons-nous ? Est-ce que nos tablettes numériques (désolé je fixe) nous aide à être plus en relation, à aimer librement, à éprouver de la confiance pour mes proches ? Est-ce que le développement de nos technologies d’état, le fait d’avoir une essence moins chère vont nous aider à avoir un mode de vie plus dans l’échange et la gratuité ?

    Bref, je veux bien répondre à cette question de l’exploitation du gaz de schiste (d’ailleurs je crois me rappeler d’un débat sur France culture avec Alain Lipietz qui ne disait pas non à cette exploitation, mais la repoussait à plus tard, en disant qu’elle pourrait être utile dans un processus de transition énergétique). Mais je crois que plus fondamentalement nous sommes invités à nous interroger sur nos modes de vie et modes de consommation. Là, pas sûr que « les écolos » fuient le débat…