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La Sagrada Familia à l’époque de la fièvre jaune

Il existe une expression en espagnol qui nous dit : quand quelque chose semble ne jamais finir, on le compare à la construction de la Sagrada Familia. Dans l’ironie typique des dictons, il y a toujours une vérité plus profonde et un désir : celui de relier à l’éternité l’œuvre probablement la plus significative des temps modernes.

 

The Beggars Cathedral – Joaquim Mir (Source)

 

Malgré tout, l’avancement des travaux a permis aux constructeurs d’espérer que 2026, le centenaire de la mort de Gaudí, serait l’année de l’achèvement du chantier. Le scénario mondial actuel, qui confronte quotidiennement la vie à la mort, remet également en question de nombreux aspects de ce que sera notre avenir, et ramène également l’histoire de la Sagrada Familia à une période indéterminée. Mais si l’indéterminé transmet l’incertitude au cœur de l’homme, l’éternité l’ouvre à l’espérance. Ainsi, si la pandémie qui afflige le monde nous fait craindre pour l’avenir, l’histoire du temple expiatoire peut nous faire réfléchir à une positivité qui s’impose dans le malheur et peut éventuellement nous aider à affronter les circonstances avec courage et confiance.

 

Sagrada Familia, deux ans après la mort de Gaudi (Source)

 

À ceux qui demandaient à Gaudi quand la construction de l’église serait terminée, il répondait « mon maître n’est pas pressé ». Non seulement il faisait référence à l’irrégularité de l’aumône, seule entrée du chantier, mais aussi à une histoire où l’homme n’a pas eu le dernier mot, tout comme il n’avait pas eu le premier. Je suis chercheuse et j’étudie la vie et l’œuvre de Gaudí ; une spécialisation qui a transcendé ma vie professionnelle et qui m’a tenu compagnie dans de nombreuses situations. Je lis et relis les origines de la Sagrada Familia chaque fois que je dois préparer quelques cycles de cours à la Facultat Antoni Gaudí, quelques séminaires ou des conférences. Il m’a fallu vivre moi-même une épidémie pour me fixer sur un détail que je n’avais jamais abordé auparavant : la Sagrada Familia est née au cours d’une épidémie totalement inconnue en Europe, de la fièvre jaune et du typhus, qui touche particulièrement Barcelone.

En 1870, la ville de Barcelone a connu sa plus grande expansion grâce à la deuxième révolution industrielle. La ville est passée d’une population de l’ordre de trois cent mille habitants à un million : ce sont des immigrés, nécessaires aux nouvelles industries et ayant besoin de travail. Ce sont des personnes pauvres qui, d’une part, trouvent un emploi et, d’autre part, vivent dans l’extrême précarité. Ils trouvent en Saint Joseph le saint qui partage avec eux le travail, la pauvreté et l’émigration. Sa dévotion s’étend aux quartiers les plus humbles. La révolution industrielle et la richesse qu’elle introduit dans les pôles industriels apportent également un sentiment de toute-puissance où toute entreprise semble enfin possible.

Mais le typhus arrive, qui se répand dans les quartiers les plus pauvres, mais tue aussi beaucoup de jeunes de la bourgeoisie. La ville de Barcelone s’est désertifiée : les pauvres sans travail meurent à la maison ou dans des camps installés en dehors de la ville et les familles riches déménagent dans des résidences d’été.

 

Sagrada Familia. (Source)

 

Josep Maria Bocabella est un libraire, attentif à la société en constante évolution. Il est l’éditeur papal, c’est-à-dire celui qui, en contact direct avec le Saint-Siège, publie à la fois les textes promulgués par le Pape et ceux qui sont relatifs aux questions qui le concernent le plus. Il est certain que Pie IX était un pape très soucieux de la question sociale et très dévoué à Saint Joseph, qu’il déclara patron de l’Eglise universelle. Combien d’analogies avec notre époque !

Face au vide créé par l’épidémie, l’intuition de créer une association spirituelle s’est fait jour chez l’éditeur de Barcelone : spirituelle pour que nous puissions être ensemble, au moins spirituellement, en surmontant les distances causées par l’épidémie et la situation politique. Il se rend chez Pie IX avec une offrande et commence une pérégrination qui touche d’abord le sanctuaire de Lorette puis celui de Montserrat où il mûrit l’intention d’une nouvelle initiative : construire une église, un temple expiatoire, c’est-à-dire qui serait financée uniquement par l’aumône. Les dévots de Saint-Joseph sont très nombreux, mais l’association éprouve des difficultés même pour les choses les plus simples : au départ, elle n’a pas de membres et les collaborateurs les plus proches ne croient pas aux initiatives proposées. Ils reviennent chez le Pape qui, après s’être inscrit dans l’association pour lui donner un nouvel élan, leur donne l’un de ses habits à vendre et pour qu’ils puissent récolter des fonds : ce qui ne donne aucun résultat, comme les autres initiatives.

 

Gaudi expliquant au Nonce Apostolique le projet de la Sagrada Familia. Photo : Source

 

Voici donc la surprise : Josep Maria Bocabella ne se décourage pas, mais publie plutôt un article où il écrit « C’est très bien ! – Oui, c’est ce qu’il dit – « si notre gestion avait été immédiatement déterminée à réussir, nous aurions pu croire que l’église de nos rêves était la nôtre. La Providence vient de nous dire qu’Il veut que ce soit Son œuvre, l’œuvre de Dieu et non celle de l’homme, et que cela se fera quand Dieu le voudra. Continuons donc avec foi. Construisons la maison de Dieu et pas n’importe quelle église, et un temple qui soit un grand temple. » Ce n’est que quatre ans plus tard que la Providence commencera à travailler en faveur du projet.

D’un entretien réalisé dans les années cinquante avec un couple de personnes âgées, qui avait autour de quatre-vingt-dix ans, témoin de la pose de la première pierre de la Sagrada Familia, se dégage toute la transcendance de ce geste : le terrain était en pleine nature et la cérémonie était particulièrement solennelle. Trois grands mâts soutenaient le drapeau national et papal, lui donnant un aspect festif et solennel, en contraste avec le très humble établissement connu sous le nom de El Poblet. Dans l’interview, les deux anciens disent qu’à l’époque de l’épidémie de fièvre jaune, il n’y avait pas un seul cas à Poblet  » à cause des prières à Saint Roch  » qui est le protecteur des épidémies. Ainsi naît l’espérance que les circonstances ne sont pas le seul facteur déterminant, pour celui qui demande, et ne craint pas un « indéterminé » qu’il ne connaît pas encore, mais laisse son espérance résider dans l’éternité.

 Sagrada Familia- Nativité (détail façade) – Photo : Source 

 

Je me souviens d’une fois où je rentrais un peu tard du travail, je me suis excusée auprès de mes filles en leur expliquant que je m’étais arrêtée pour prier sur la tombe de Gaudi. Ma plus jeune fille, Francesca, alors âgée de six ans, a éclaté en sanglots en disant « mais quand est-il mort ? ». Elle croyait qu’il était toujours vivant, tant elle entendait parler de lui.

Article traduit de l’Italien par Carine Martini

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