Le curateur David Rastas fait une nouvelle expérience d’un dialogue audacieux entre l’art contemporain, l’espace sacré et le public. L’art contemporain est moins centré sur l’objet lui-même, sur son contenu ou son « concept » que sur les rencontres inattendues et étonnantes qu’il permet et les intuitions qu’elles suscitent.
Le mérite de l’exposition est à la fois de redonner à l’église un contact avec le monde artistique d’aujourd’hui, et de permettre à ces œuvres d’exprimer leur caractère transcendant et sacré. En cette période de carême, c’est aussi un chemin de réconciliation.
L’infini intérieur
L’exposition commence par une vidéo de Suzie Léger qui superpose des images d’un télescope et d’une échographie de l’artiste, sur fond d’une musique stellaire. La vidéo de 4mn 50 nous introduit dans un jeu de correspondances entre le microcosme intérieur et le macrocosme céleste. Le corps humain cache une intériorité si profonde qui ne peut être comblée que par l’infini.
Le montage vidéo de Suzie Léger est projeté à l’intérieur d’un tabernacle vide d’une chapelle latérale. Pour être « réelle », la présence divine est à la fois intime, intérieure et cosmique. L’Eucharistie ne réalise-t-elle pas l’union entre le je et Celui qui est tout en tous ? Comme l’enseigne Saint Ignace : « le divin n’est pas enfermé dans le plus grand et pourtant présent dans le plus petit ».
L’installation de Suzie Léger interroge aussi le sens du mot tabernacle. Le corps humain est le premier tabernacle mais on y superpose le mobilier liturgique, l’Eglise, et finalement le ciel étoilé.
Porter le vide
L’œuvre suivante s’intitule « holding emptiness – saisir le vide », et fait partie de la série « Avec les yeux fermés, je vois le bonheur » de la célèbre serbe Marina Abramovic. Par cette photo, Marina Abramovic se présente, portant le « vide
» entre ses deux mains tendues. Marina Abramovic décrit ainsi le vide de sa vie, l’absence de fécondité et l’attente de voir un fruit qui ne vient pas, qui reste un mystère. En approchant de la photo, on aperçoit entre les deux mains de Marina Abramovic le reflet de la statue de la pietà qui se trouve sur le mur d’en face ainsi que notre propre visage qui se reflète dans la photo. L’attitude de Marina Abramovic est mariale, elle accueille le vide comme Marie recueille le corps sans vie de son fils, elle accueille le vide de sa vie comme l’espace pour la présence et la mission d’un autre, son impuissance permet d’accueillir celle du fils.
Le pardon
Le film « premier rêve » (Hatsu Yume) de Bill Viola retrace son voyage au Japon en 1981. Le tournage nous invite à regarder au-delà des apparences dans la perspective bouddhiste du rêve cosmique et de l’illusion de tout ce qui nous apparaît.
Le « rêveur » collecte des impressions, des images, des sons, son attention oscille d’un objet à l’autre, de l’eau qui coule au camion qui passe, des nuages à la nuit, il recherche une vérité au-delà des apparences, son identité au delà des rêves et des impressions.
Ce film de 55 mn projeté dans le confessionnal de l’église est une quête patiente d’une vérité sur soi-même, d’un pardon, d’un examen de conscience qui ne soit pas une introspection.
La blessure
Derrière le maitre autel la grande œuvre de Leo Zogmayer cache le crucifix et reprend le symbolisme du corps comme tabernacle vivant (photo en haut de la page). Une longue marque rouge ouvre le manteau blanc qui pourrait être une aube ou une chasuble. La blessure est au centre de l’œuvre de Leo Zogmayer et sur le mur d’en face se reflète la parole d’Isaïe 53 : « c’est par ses blessures que nous sommes guéris ». Le crucifix est caché par la toile, on ne voit plus qu’une blessure.
C’est aussi une dimension de l’art contemporain de nous interroger radicalement sur le sens de la souffrance, en présentant une blessure « anonyme », un vide, une absence, une solitude, un cri.
En ce sens l’exposition « Innen Raum » est une belle préparation pour Pâques, car elle invite à contempler le vide intérieur, le péché, la blessure comme une rencontre avec celui qui a vécu l’abandon jusqu’au bout.
Sur le même sujet :
- Rencontre avec David Rastas, Jacques Bagnoud (10/07/2014)
- Trois oeuvres de Corporéité et Sexualité commentées, David Rastas (09/07/2014)
- Corporéité et sexualité, Jacques Bagnoud (26/04/2014)
Le site Kunst und Glaube (art et foi) de l'association de David Rastas.
Merci infiniment pour cette contermplation étonnante, chemin du coeur contemporain vers le Mystère, chemin de mon coeur vers le Seigneur…