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Que sais-tu de la beauté ? Réflexion sur l’héritage de Jean-Paul II

Il y a 10 ans, le 2 avril 2005, s’éteignait saint Jean-Paul II. Parmi l’héritage immense qu’il a laissé à l’Eglise et au monde, ses intuitions sur l’art et la beauté sont encore peu connues.

 

 

Au début de la guerre mondiale, dans une lettre à son ami et maître artistique Mieczyslaw Kotlarczyk, Karol Wojtyla s’écrie : « Je te salue au Nom de la Beauté qui est le profil, l’affaire du Christ et de la Pologne[1] ». Cette quête du beau, cet amour pour le théâtre et la poésie n’est pas une fuite du « bien à faire », pour Karol Wojtyla, la beauté est essentielle pour résister aux idéologies. Sans la beauté, l’homme perd l’élan vers l’idéal et se laisse entraîner par le courant : « Le péché ne naît pas à l’improviste, par hasard. Le péché existe dans le cœur de l’homme bien avant d’être commis. Le minimalisme moral nous pousse à considérer les péchés comme des actes du hasard. Comme s’ils nous arrivaient à l’improviste. Pourtant ils viennent du fait que l’homme manque de profondeur, qu’il manque de maturité spirituelle… »

En 1962, Karol Wojtyla proposa une retraite pascale à des artistes sur le thème « l’Evangile et l’art ». L’intuition centrale de cette méditation est l’indissolubilité et même l’identité du bien et du beau. A la suite de Platon et d’Augustin, l’archevêque de Cracovie invite à « fusionner » les deux concepts de beauté et bonté. Cette intuition prophétique nous plonge au cœur des tragédies du XXe siècles où les idéologies ont séparé voir opposé le bien et le beau,  et ont utilisé l’art au service du pouvoir et le bien comme utopie moraliste. Jean-Paul II cite souvent son ami poète Norwid : « la beauté est pour susciter l’enthousiasme dans le travail, / le travail est pour renaître. » Sans l’enthousiasme, l’émerveillement et la fascination que fait naître la beauté, le bien perd sa saveur, il devient un idéal ennuyeux et inaccessible, un volontarisme, un système, un programme. L’unité du bien et du beau permet de demeurer attentif à l’être dans son surgissement et à ne jamais instrumentaliser les personnes, la religion, la réalité : « Au début, il y a d’abord le grand dessein de Dieu, le grand amour de Dieu qui s’est engagé en ma faveur, qui est venu au-devant de moi et Il continue ce chemin vers moi, en prenant des voies très étranges[2] ».

Ces « voies étranges » permettent de comprendre que l’art est une recherche du sens et du Mystère. Jean-Paul II souligne que dans le contexte d’aujourd’hui l’art est plus que jamais nécessaire pour retrouver le chemin vers Dieu : « l’art quand il est authentique a une profonde affinité avec le monde de la foi, à tel point que, même lorsque la culture s’éloigne considérablement de l’Eglise, il continue à constituer une sorte de pont jeté vers l’expérience religieuse. Parce qu’il est recherche de la beauté, fruit d’une imagination qui va au-delà du quotidien, l’art est, par nature une sorte d’appel au Mystère. Même lorsqu’il scrute les plus obscures profondeurs de l’âme ou les plus bouleversants aspects du mal, l’artiste se fait en quelque sorte la voix de l’attente universelle d’une rédemption.[3] »

« C’est par toi que s’épanche la source de la beauté, tu n’es pas la beauté. » En commentant ce vers du poète Zygmunt Krasinski, Jean-Paul II médite sur la pauvreté de l’artiste et son lien avec le mystère du Christ humilié. La beauté passe par l’artiste, il est donc responsable d’un lourd fardeau qui implique sacrifice, don de soi, abnégation. En même temps, il n’est pas la beauté et l’humilité est au cœur de sa quête qui fait entrer l’artiste dans une configuration au Christ humilié et dépouillé. Jean-Paul II introduit le concept de la « conscience du beau » qui, à côté et avec la conscience morale, nous rend sensible à la souffrance, à la beauté cachée sous le masque de l’humiliation, à la soif de rédemption qui se trouve dans les tragédies de l’histoire et de notre vie. A l’image du Christ, l’artiste est à l’épicentre entre le mal et le bien, entre la laideur du monde et l’élan vers l’absolu, entre les ténèbres et la lumière, fragile, dépouillé, exprimant souvent plus par son silence ou son impuissance cette vérité de l’homme blessé, mendiant du Mystère.

Ainsi la beauté n’est pas une apparence ou un esthétisme mais selon Jean-Paul II, l’art véritable est une prophétie, un « lieu théologique » qui ouvre l’intelligence des desseins de la Providence.

Séparer le bien et le beau, les pauvres et l’art, le faire et l’être, est pour Jean-Paul II la grande blessure de notre modernité qui instrumentalise tout en fonction du profit immédiat, du pouvoir, de l’efficacité, du « faire ». Saint Jean-Paul II nous invite à retrouver cette « conscience du beau » dans la vie quotidienne, dans l’éducation, dans l’Eglise, dans toute activité humaine, il citait souvent les vers de Norwid : « Que sais-tu de la beauté ? … Elle est la forme de l’amour[4] ».

 

A lire également : Dix ans déjà, de Guillaume Trillard (02/04/2015)

 


[1] Karol Wojtyla, L’Evangile et l’art, Salvator, Paris, 2012, p. 15

[2] Idem. p. 78.

[3] Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 4 avril 1999, n. 10

[4] Idem, p. 11.

 

 

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