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Catherine Lenoir : « En Inde, tout est prétexte à une expression artistique »

Pendant trois semaines, la galerie du musée Dakshinashitra a accueilli les œuvres de Catherine Lenoir, artiste peintre et graveur. L’occasion de découvrir le travail atypique de cette française qui vit à Chennai depuis maintenant trois ans.

Catherine, la peinture n’était pas votre profession première. C’est une deuxième vie qui s’est imposée à vous il y a quelques années. Est-ce que vous pourriez nous raconter comment ?

Oui, au départ, j’étais ingénieur. Mais j’ai toujours eu une forte attirance pour tout ce qui touchait à l’art. Et puis je suis partie au Brésil, il y a maintenant plus de 15 ans. Là-bas, j’ai rencontré un professeur absolument excellent qui m’a fait découvrir que je pouvais créer moi-même. Elle avait la particularité d’être autodidacte et comprenait donc très bien la démarche dans laquelle j’étais. Au début, j’allais chez elle deux heures par semaine. Deux ans plus tard, je peignais et dessinais plus de vingt heures par semaine. À mon retour en France, je me suis inscrite aux Ateliers du Louvre, tout en reprenant une activité professionnelle. Mais le désir de peindre a continué à prendre de l’ampleur, suffisamment pour que je lâche mon travail et que je m’inscrive aux Beaux-Arts, à Versailles. J’ai pu alors me consacrer totalement à la peinture et la gravure pendant les quatre ans qu’a duré la formation.

Pendant trois semaines, vos œuvres ont été exposées dans la galerie du musée Dakshinashitra de Chennai. Etait-ce la première fois que vous exposiez votre travail ?

Non, pas tout à fait ! Ma première exposition en solo s’est tenue dans la galerie de l’école des Beaux-arts de Versailles, en mai 2012. C’est une galerie qui a la particularité d’être constituée de trois zones continues, avec un étage. J’ai pu montrer l’évolution de mon travail en utilisant cet espace particulier. Les grands formats en peinture donnaient d’abord une expression forte et immédiate. Puis on s’avançait vers de petits formats (en gravure), expression beaucoup plus intime et spirituelle. Le visiteur pouvait savourer la contemplation et la méditation qu’offrait le parcours de l’exposition.

Ensuite j’ai exposé en Inde, en octobre 2012. Il s’agissait d’un travail collaboratif en réponse à une proposition de Points-Cœur. Avec d’autres artistes, nous avons été invités à créer autour des poèmes de Tagore (NB : Tagore est un poète indien, très connu et populaire en Inde). Cette expérience m’a beaucoup intéressée. Et en avril 2013, toujours par l’intermédiaire de Points-Cœur, j’ai exposé à nouveau. Mais cette fois-ci, j’ai présenté directement mon travail, avec celui d’un autre peintre : Jyothi Sahi. C’est un peintre indien qui utilise les symboliques hindoues pour exprimer le message chrétien. Au-delà de l’exposition en elle-même, je retiens surtout le bouleversement qu’a été la rencontre avec cet artiste. Grâce à son travail, j’ai senti mon regard s’ouvrir sur une symbolique qui m’était jusque-là inaccessible.

Et aujourd’hui, avec Dancing Seaweeds (Algues Dansantes), c’est à nouveau la découverte d’une nouvelle expérience que vous nous proposez. Elle a certainement une histoire elle aussi ?

Quand j’étais enfant, j’aimais aller sur les plages ramasser des algues. Pour moi, ces algues étaient comme de petits arbres. J’ai eu envie de rouvrir cette porte de mon enfance et de travailler autour de l’importance que je donnais à cette interprétation. Je suis toujours très émue quand je trouve un « arbre » sur la plage qui pour moi, est une trace de la vie du fond des mers.

J’ai eu l’idée d’en faire des empreintes. Grâce à ma technique de gravure de manière noire, j’ai créé un langage propre. Je peux dire ainsi l’éphémère de la vie et du mouvement, sa force et sa fragilité en même temps, avec une nouvelle légèreté. Pour souligner cette force et pour l’exprimer, j’ai également réalisé de grands formats en peinture. Tout ce travail est exposé dans la première salle de la galerie. 

Dans la seconde salle, j’ai exposé une autre forme d’empreinte. J’ai croqué une danseuse de Barathanatyam (c’est une danse traditionnelle de l’Inde du sud). Une fois que la danseuse s’arrête, la danse disparaît. Le mouvement est une manière pure de manifester aux dieux un don intemporel et gratuit. Les traits, parfois totalement abstraits, mémorisent ce don, comme le fait mon travail d’empreintes. La danse a toujours une dimension sacrée en Inde.

Justement, vous êtes en Inde depuis maintenant trois ans. C’est un pays immense, qui frappe par ses contrastes et sa diversité. On imagine bien qu’en tant qu’artiste, vous avez un regard particulier. Par quoi ce regard a-t-il été interpelé ?

Par la vie ! La vie qui est partout ici. L’énergie et la joie s’inscrivent dans une lutte pour la vie. En Europe, c’est la vie de l’individu qui est très importante. Ici, l’individu s’inscrit dans ce qui existe déjà. Chacun doit trouver sa place, au prix d’un grand effort. Au départ, la rudesse de cette vie paraît difficilement acceptable pour les yeux d’un occidental. Mais petit à petit, je me suis rendu compte que pour les Indiens, la vie est d’abord un cadeau. C’est finalement la joie qui triomphe. Par exemple, lorsque vous fêtez votre anniversaire, vous allez manifester votre joie d’être vivant en allant distribuer des petits cadeaux. Ce ne sont pas les autres qui viennent à vous, mais c’est vous qui allez vers eux. C’est une inversion de notre manière de faire, et c’est ainsi que je vis ma vie en Inde : chaque jour est un cadeau. Chaque jour est plein d’émotions, plein de couleurs, plein de réactions.

Au lieu de chercher à dominer, à comprendre et à créer en étant acteur, mon action consiste plutôt à recevoir ce qui m’est donné, avec ma sensibilité propre et à le transcrire à travers mon travail.

Ce que vous ressentez de l’Inde, est-ce que vous le ressentez également de sa peinture ?

Quand je suis arrivée ici, j’ai été très déconcertée par la peinture indienne, notamment ici, à Chennai. Vous avez en premier lieu des peintres indiens, connectés au marché international, avec une peinture totalement contemporaine. Par exemple Visu Viswanadhan, qui est un artiste peintre de Cholamandal Village et qui est également très connu en France. Avec cette peinture-là, on ne peut pas tellement parler d’une peinture nationale. La peinture narrative que je vois à Chennai me déstabilise et je ne la comprends pas facilement, parce que je n’ai pas toujours accès aux symboles utilisés qui sont le plus souvent hindous. Mais après trois ans, je réalise que j’apprécie beaucoup mieux la peinture « indienne », si j’ose parler d’une peinture « indienne ».

Au-delà de la peinture, je trouve qu’en Inde tout est prétexte à une expression artistique. Le matin, les femmes vont faire un beau kolam (dessin coloré à la poudre de craie pour manifester la bienvenue) devant la porte de la maison. Elles vont mettre un sari qu’elles auront choisi avec soin en fonction des couleurs. Elles vont ensuite faire des bouquets de fleurs pour décorer leur maison. Et on a ainsi passé une heure à faire de l’art dans un langage très simple, très rituel et effectivement très visuel. Beaucoup de photographes apprécient cette juxtaposition des couleurs, il y a toujours quelque chose à voir, quelque chose d’inattendu. Mon travail est aussi devenu très coloré avec des couleurs que je n’aurais sans doute jamais associées auparavant. Et ce petit arbre de vie avec lequel je travaille est aussi une réflexion spirituelle en soi. Il faut dire aussi que dans ce quotidien coloré, la spiritualité est constamment présente, comme ce lien qu’a l’art avec la religion.

Est-ce là votre propre vision de l’art ?

J’ai souvent pensé que l’artiste actuel n’est autre que le moine d’une autre époque : recherchant un espace de spiritualité et l’expression du sensible. C’est un peu comme une vocation : une fois que l’art vous tombe dessus, on ne peut plus se passer d’une expression artistique. C’est comme si vous demandiez à un être qui parle de ne plus s’exprimer ou à un être qui peut voir de ne plus regarder.

La rencontre avec Points-Cœur semble avoir été déterminante dans votre parcours artistique en Inde. Quelques mots de cette rencontre ?

C’est une vraie rencontre. Avec mon travail d’artiste, j’ai choisi d’avoir une maison ouverte et d’accueillir tous ceux qui le souhaitent. J’ai trouvé chez Points-Cœur un lieu avec ce même choix de l’accueil, de l’écoute et de la gratuité. La compassion n’est pas mon talent, mais je me retrouve dans votre manière de regarder l’autre à travers ce qu’il vit. En revanche, le rejoindre dans sa souffrance, je pense que je n’y suis pas encore.

J’apprécie beaucoup, je tiens à le souligner, de rencontrer chez vous des gens toujours différents. Vous allez vers les autres et les autres viennent vers vous, comme un poumon qui respire.

Dans ma vie d’artiste, c’est toujours pour moi difficile de conjuguer la nécessaire confiance en soi avec l’humilité. Et il me semble que vous vivez la même chose à Points-Cœur : d’un côté vous vous en remettez au Christ dans une grande confiance, et de l’autre, il y a cette même humilité de la vie à laquelle Il vous appelle.

Propos recueillis par Denis Chane-Sing-Guan

 

Dancing Seaweeds, DakshinaChitra du 3 au 30 septembre 2015
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1 Commentaire

  1. Chloé Colas des Francs

    Superbe!

    Merci!

    Je suis toute heureuse d'avoir des nouvelles de Catherine mais surtout au travers de l'évolution de son travail, de son avancée toujours plus profonde dans l'Inde et son regard sur… tout! qui réveille, provoque et inspire!

    Un article qui donne envi de chercher et participer à la beauté aussi!

    1000 bises françaises!

    Chloé

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