Home > Eglise > La vie enfouie en Inde de petit frère Michel

La vie enfouie en Inde de petit frère Michel

"I lived such a happy life. I do not know why God gave me such a happy life. I do not merit it." [1]

Ces paroles sont les dernières prononcées par le petit frère Michel Sainte Beuve, petit frère de Jésus en Inde pendant près de 40 ans et Prieur des Petits Frères pendant 12 ans. Il laisse le témoignage d’un homme fraternel, passionné par le charisme de Charles de Foucauld. Un an après son décès, un livre lui rend témoignage.[2]

Michel est né le 19 octobre 1927 dans une famille d’origine normande même s’il a vécu surtout à Paris. La guerre qui éclate en 1940 est une grande tragédie pour sa famille : son père est prisonnier de guerre et ne reviendra qu’en 1941. Sa mère qui s’est installée à Paris  s’engage secrètement dans la Résistance. Malheureusement, en 1943 elle est arrêtée par la Gestapo. Elle mourra en déportation peu avant la fin de la guerre. La nouvelle de sa mort qui ne parviendra à la famille que quelques semaines après l’armistice sera une immense souffrance.

Michel a reçu une solide formation chrétienne aussi bien dans sa propre famille que dans le mouvement scout. Après des études de géologie à la Sorbonne il rejoint le séminaire d’Issy les Moulineaux en 1948. Cependant une rencontre change son destin. Il s’agit de la rencontre avec le charisme de Charles de Foucauld, qu’il découvre dans le livre de René Voillaume « Au Cœur des Masses ». Michel est attiré par cette vie de Nazareth,  cet idéal de simplicité, de vie au milieu des plus petits et d’adoration silencieuse. L’appel pour lui est clair et il rejoint la Fraternité naissante des petits frères de Jésus à St Rémy. Il rentre au noviciat et l’année suivante, en 1954 il part pour El Abiodh dans le Sahara Algérien. Le 15 Septembre, en la fête de Notre-Dame des Douleurs il fait ses premiers vœux.

En 1955, petit frère Michel est envoyé pour fonder une fraternité au Sri Lanka, dans la ville de Jaffna. Rejoint par deux autres frères (un belge et un français) ils découvrent la vie de cette petite ville qui ressemble à un grand marché où les gens vivent dans un grand dénuement. Il s’essaye à différents métiers manuels de manière à gagner sa vie, ce qui entraine une certaine incompréhension de la part du clergé et de la communauté chrétienne.

Cette expérience est cependant interrompue car il rentre en France pour ses études de théologie qu’il accomplit à Toulouse, suite à quoi il devient maître des Novices pendant plusieurs années.

La Fraternité est alors en pleine expansion, les vocations nombreuses. La vie de Nazareth, proche des gens, humble et faite d’adoration attire. Le fondateur, René Voillaume voyage à travers le monde et cherche à établir des communautés de petits frères dans les différentes régions du monde en particulier là où le Christ n’est pas ou peu connu. Il envisage ainsi une fondation en Inde. Celle-ci sera possible grâce à la rencontre avec Sri Jagadishan, un disciple de Gandhi. Professeur d’Anglais à l’université de Madras il avait dû quitter son poste parce qu’il était atteint de la lèpre. Il consacra le reste de sa vie à se battre pour l’éradication de la maladie – en particulier dans le sud de l’Inde où il fonda différents centres. La rencontre avec les petits frères le toucha. Il retrouvait dans la simplicité de leur vie fraternelle quelque chose de l’idéal gandhien d’ashram. C’est donc naturellement qu’il invita trois frères à venir se joindre à son organisation. Michael, Shanti et Arul s’installent ainsi en 1964, et pour de nombreuses années, dans un village du centre du Tamil Nadu, Alampundi.

Les 14 années que petit frère Michel y passera seront pour lui les plus belles de sa vie. Il découvre avec ses frères la vie d’un village tamoul où les traditions ancestrales sont encore très vivantes. Les frères vivent en milieu purement hindou dans un quartier habité par des brâhmanes. C’est une nouvelle expérience pour eux de vivre avec des gens d’une autre religion. Michel est touché par la beauté des gens les plus simples. De nombreuses amitiés demeureront même des années après. Ils vivent au milieu des gens, partageant leurs joies et leurs souffrances. Ils rencontrent beaucoup de personnes grâce à leur travail au service des lépreux dans différents villages aux alentours.

Cette vie d’enfouissement en Inde est interrompue par son élection comme prieur général de la Fraternité des petits frères en 1978. Il sera réélu et sera au service des frères pendant 12 ans, visitant les fraternités disséminées à travers le monde. Il partage avec eux ses convictions sur l’importance de la vocation des petits frères même en ces temps où les vocations se font plus rares et où il règne une certaine confusion parmi les petits frères sur le sens de leur vie. En 1990 il écrit une lettre aux frères à la fin de son deuxième mandat où il témoigne : «  Petit à petit, à travers tout cela, j’ai appris à aimer cette Fraternité tellement fragile et un peu anarchique qui vit et communique un message précieux qui correspond clairement à un besoin du monde d’aujourd’hui. »

Petit frère Michel est un homme convaincu de la beauté de sa vocation. Pour lui il ne s’agit pas de recréer un passé qu’on risquerait d’idéaliser. Il s’agit de vivre du charisme de Nazareth aujourd’hui. Sa passion se manifeste moins dans les discours que dans les rencontres et dans la prière.

C’est cette passion et cette vie de prière qui lui permettront d’affronter les difficultés liées à son retour en Inde. Il n’arrive pas à s’adapter à la vie de la fraternité à Alampondi qui a changé en son absence. Il s’installera alors à Bangalore dans une fraternité en ville tout juste fondée, puis s’installera définitivement dans un village proche de la ville où il continuera à rayonner de cette présence discrète et fraternelle.

L’arrivée de la vieillesse est comme la dernière purification. Il explique à ses proches que Dieu lui apprend à lâcher prise, à accepter d’être inutile. Il passe beaucoup de temps à prier. La prière qui reste le secret de sa vie : « The Lord remains very close, with such a burning tenderness that it fills me, sometimes with an enormous confidence, but more often with a sense of wonder that all this possible” [3]

Petit frère Michel rejoint le Père le 27 février 2015. A l’occasion de son départ beaucoup ont pris conscience de combien le petit frère Michel les avait touchés. Il leur avait fait faire l’expérience de la fraternité. Il les avait rejoints dans leur recherche de Dieu ou dans leur fragilité. De cette conscience est né un livre qui retrace la vie de Michel et qui rassemble de nombreux témoignages de ceux qui l’ont connu et aimé.


[1] « J’ai eu une vie si heureuse. J’ignore pourquoi Dieu m’a donné une vie tellement heureuse. Je ne le mérite pas. »

[2] « Hold out your hand, open your heart… » A collection of the writings of Little Brother Michael and memories of his life by friends, Bangalore, First edition January 2016.

[3] « Le Seigneur demeure très proche, avec une tendresse brûlante qui me remplit, quelques fois d’une très grande confiance, mais le plus souvent avec un sentiment d’émerveillement que cela soit possible. »

Vous aimerez aussi
Henri Le Saux, un moine chrétien à la recherche de l’éveil
La neutralité proactive de l’Inde
L’humilité de Dieu dans l’Incarnation
Humilité et émerveillement