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Par devoir de reconnaissance : l’accompagnement des militaires blessés

Partout où la France engage ses forces armées, des militaires sont tués, d’autres reviennent blessés, physiquement ou psychologiquement. Par devoir de reconnaissance pour ces hommes et ces femmes qui ont ainsi sacrifié leur vie, l’association Ad Augusta propose un parcours de revalorisation de leurs capacités et un accompagnement en vue d’une réinsertion socio-professionnelle. Entretien avec son directeur Thomas Janier.

Inconnues du grand public, ces vies sacrifiées ne manquent pourtant pas d’émouvoir : voici des hommes et des femmes qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes, sans espoir de retour. Ils ont perdu des compagnons d’armes, parfois morts dans leurs bras, ils y ont laissé une jambe, un bras, leur mobilité, leur équilibre psychologique, au service de la Nation et dans une confrontation tragique avec des situations d’une violence inouïe. Quelque chose d’eux a pu rester là-bas et y semble condamné. Depuis quelques années, on parle d’un syndrome post-traumatique de guerre. Les personnes qui en souffrent se sentent coupées de la « communauté des vivants ». La raison d’être de l’association Ad Augusta est de les aider à revenir parmi nous.

Comment est née l’association Ad Augusta ?

Lorsque Michel Pech, ancien membre des Forces spéciales, a terminé sa carrière comme professeur aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan, il donnait une tournure vivante à son enseignement, en plaçant les élèves officiers dans des contextes de travail opérationnels pour les faire réfléchir sur le sens de l’engagement et l’art de commander.

Dans le même temps, sollicité par d’anciens compagnons d’armes blessés, il a organisé des stages pour des personnes en perte de repères ou souffrant d’un syndrome post-traumatique. La conjonction de ces deux circonstances a donné naissance à l’association Ad Augusta avec sa méthodologie propre.

Nous ne sommes ni médecins, ni psychiatres ou psychologues, nous intervenons après la prise en charge médicale et avant la réinsertion proprement dite qui est prise en charge par les services de l’Armée[1]. Quand vous êtes victime d’un syndrome post-traumatique de guerre, il peut se passer plusieurs mois, voire de plusieurs années, avant que vous soyez en mesure de reprendre un emploi, au sein de l’Institution ou en-dehors.

Qu’est-ce que le syndrome post-traumatique de guerre ?

Quelqu’un qui souffre d’un tel syndrome post-traumatique a été confronté à la mort. Les médecins nous expliquent que cette confrontation peut provoquer de nombreux désordres. Certains blessés peuvent souffrir de réminiscence et se rappeler les situations tragiques qu’ils ont vécues. D’autres ont une sorte de reviviscence : ils revivent, parfois de manière éveillée, la situation qui les a traumatisés, parfois même de manière physique. D’autres peuvent avoir des souvenirs olfactifs (lorsqu’ils ont été confrontés à des charniers), etc.

Ce syndrome provoque presque systématiquement une désocialisation des blessés. Ces personnes passent en effet de longs séjours à l’hôpital, et par ailleurs la vie familiale avec tous ses bruits peut leur être devenue insupportable. Et puis il y a un phénomène d’incompréhension. Quand vous avez vécu cela, c’est un peu comme si vous étiez passé de l’autre côté. Les blessés qui souffrent d’un syndrome post-traumatique de guerre ont été au contact proche de la mort et se demandent parfois pourquoi ils sont encore vivants. Il y a là quelque chose d’indicible. Ils ont l’impression qu’en dehors de ceux qui ont vécu la même chose qu’eux, ils ne peuvent pas être compris. Ils quittent d’une certaine manière la « communauté des vivants ». Tout notre travail est de les y ramener à travers un certain nombre d’exercices collectifs, pour les faire revenir à une vie sociale.

Nous les accompagnons donc sur une période, qui peut aller jusqu’à deux ou trois ans pour certains d’entre eux, de façon à les mettre en situation d’envisager un retour à l’emploi, ou à une prise de retraite. En définitive, à aller mieux.

On dit souvent, à tort, que ces blessures sont invisibles. En réalité, les blessés psychiques sont marqués : s’ils connaissent des hauts et des bas, ils peuvent aussi s’effondrer, perdre toute estime d’eux-mêmes, se maltraiter, allant même parfois jusqu’à tenter de mettre fin à leurs jours.

Comment faites-vous pour aider les personnes souffrant de traumatismes psychiques ?

De nombreuses études ont été réalisées concernant la prise en charge des traumatismes psychiques à l’instar du professeur Louis Crocq, médecin psychiatre des Armées, et du docteur Gérard Chaput[2]. Pour ce dernier, la reconstruction et l’accompagnement s’appuient sur trois piliers : le pilier physique, le pilier psychique, et le pilier métaphysique : la quête de sens, qui n’est pas nécessairement religieuse. C’est ce que nous mettons en œuvre au travers des exercices que nous proposons.

Nous organisons ainsi un parcours de difficulté croissante et progressive et organisons deux types de stages : le stage initial où nous faisons venir dix blessés de toute arme et de tout grade.

Pendant cette première période, nous leur faisons vivre un ensemble d’exercices dans des endroits protégés, en Bretagne ou en montagne, dans la vallée de la Tarentaise. Les journées sont bien remplies, la prise en charge se fait dès le matin, dans un cadre établi ou l’hygiène et le respect de soi et des autres est de circonstance…

Les exercices sont des mises en situation collectives qui les amènent, ensemble, à atteindre des objectifs. Par exemple, on les amène dans un immense labyrinthe qu’il faut parfois une heure pour traverser. Nous donnons un sens à l’exercice (recherche et sauvetage d’une personne disparue), et nous leur demandons de rester en groupe. Parvenus à l’objectif, il ne leur faut qu’une minute pour en sortir, grâce au fléchage mis en place tout au long de la progression. Michel Pech leur fait alors un débriefing en transposant cet exercice à leur propre vie : « Vous en êtes à un moment de votre vie, où vous ne savez plus où vous en êtes, vous ne savez plus ce que vous voulez faire. Vous ne pourrez peut-être pas continuer votre métier, vous êtes parfois entrés très jeunes dans l’armée, et vous n’aviez jamais envisagé de faire autre chose. Vous avez devant vous de nombreuses possibilités, mais vous manquez encore de confiance en vous et de repères pour y trouver votre voie, etc. Ce qu’il vous faut, c’est, avec méthode et avec l’aide des autres, vous remettre en mouvement. Comme pour cet exercice, c’est possible ! etc. ». À la suite de tels exercices, les blessés commencent à retrouver la force d’identifier un nouveau projet de vie et à reprendre espoir.

Nous organisons deux stages de ce type par an.

Deuxième étape du parcours : lancer les blessés sur des projets définis par les intéressés eux-mêmes. Nous nous sommes ainsi rendu compte que des activités comme la navigation pouvaient être un excellent vecteur. Il s’agit de chercher des projets porteurs de sens pour leur permettre de se connecter entre eux, de s’organiser, de se prendre en main.

De notre côté, nous les aidons dans l’organisation ou le financement de ces projets, mais nous ne sommes pas les décideurs. Nous sommes là principalement pour nous assurer que les projets initiés gardent leur cohérence dans le temps et restent bien inscrits dans les objectifs initialement fixés avec chacune des personnes ayant intégré le projet. Eux-mêmes sont au quatre coins de la France, et doivent apprendre à travailler ensemble. Pour faciliter les contacts, nous organisons des activités mensuelles auxquelles ils peuvent venir participer en fonction de leur disponibilité. Nous leur apprenons par ailleurs à s’approprier les outils modernes, soit pour les maintenir connectés à la société en incessante évolution technologique, soit pour leur faire gagner en efficacité dans le travail collaboratif. Toutes ces actions contribuent à leur remise en mouvement et les préparent progressivement à s’orienter vers une nouvelle vie professionnelle.

Combien de militaires en France souffrent du syndrome post-traumatique de guerre ?

Il n’y a pas de statistiques officielles pour connaître le nombre des blessés de l’armée. Par comparaison avec les autres pays qui tiennent ce genre de statistiques, on estime que plusieurs centaines de personnes souffrant d’un syndrome post-traumatique sont revenues d’Afghanistan.

Il y en aurait aujourd’hui davantage revenant de Centrafrique, ou du Mali où les militaires ont dû faire face à des horreurs liées à des comportements humains sortant de tout cadre éthique. Il y aurait donc aujourd’hui sans doute plus d’un millier de blessés post-traumatiques.

Avez-vous déjà perçu que cette pédagogie portait ses fruits ?

Nous voyons, en effet, que cette pédagogie porte ses fruits car nous constatons un réel mieux-être apparaître chez la grande majorité des personnes que nous suivons avec des retours très positifs des médecins traitants qui les accompagnent dans leur parcours de reconstruction.

Lors de notre dernier stage, des blessés ont souhaité intervenir de leur propre initiative, aux côtés des organisateurs, démontrant ainsi les progrès qu’ils avaient réalisés. Leur intervention a permis une mise en confiance beaucoup plus rapide des nouveaux stagiaires, et offert à ces blessés volontaires une possibilité de se remettre en situation de responsabilité.

Ad Augusta pourrait être comparé à une béquille qu’utiliserait un blessé physique en phase de rééducation. L’appui sur cette béquille est de plus en plus léger pour de nombreuses personnes que nous suivons mais nous considérons que le résultat ne sera là que lorsqu’une autonomie complète aura été retrouvée.

Propos recueillis par Vincent Billot

Pour aller plus loin : http://www.adaugusta.fr

 


[1] La Marine dispose ainsi d’une Cellule d’Aide aux Blessés et d’Assistance aux familles de la Marine, la CABAM. Pour l’Armée de Terre, il s'agit de la CABAT, Cellule d’Aide aux Blessés de l’Armée de Terre. Et pour l’Armée de l’Air, de la CABMF, Air, Cellule d’aide aux blessés, malades et familles de l’armée de l’Air.

[2] – Le professeur Louis Crocq, médecin général psychiatre du Service de Santé des Armées et professeur de Psychologie à Paris V s’est fait connaître après l’attentat du RER B à Saint Michel. Voir : Libération, Il faut les accueillir de nouveau parmis les vivants. Le docteur Gérard Chaput, ancien médecin militaire, est spécialiste du stress et du trauma. Il est co-auteur de La densification de l’être (éd. Prividef). Voir : Direct matin, Le Dr Chaput avait oublié que la guerre tuait.