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Sur les chemins du Serviteur

Dans son dernier livre, Gilles Rebêche témoigne de sa longue expérience au service des plus démunis. Pour le diacre responsable de la Diaconie du Var, le savoir faire découle du savoir être. Sevrir, c'est remettre la fragilité au centre de nos relations. 

Pourquoi avoir choisir ce titre pour votre livre, le chemin du serviteur ?

Le chemin est une attitude spirituelle, existentielle, c’est un élément très fort de la Bible. Beaucoup de gens aujourd’hui considèrent l’acte de croire – dans n’importe quelle religion d’ailleurs – comme l’acceptation d’un ensemble de dogmes, de rites et une morale… Il me semble que Jésus, et le Pape François le réaffirme, nous révèle que l’acte de croire c’est d’abord se mettre en route, cheminer : « Marche humblement avec ton Dieu » dit le prophète Michée.

Dans l’existence, c’est en cheminant avec le Seigneur que l'on devient vraiment serviteur ! Etre serviteur, ce n’est pas un métier, mais une attitude spirituelle. Je voulais montrer ce qui est le mystère de la croix : c’est lorsqu'Il est en croix que le Christ se révèle pleinement serviteur, le serviteur souffrant. C’est lorsqu'Il a les pieds et les mains cloués sur la croix, qu’Il ne peut plus rien faire, qu’Il nous montre le visage du serviteur.

C’est le contraire du message que nous donne la société d’aujourd’hui : nous vivons dans une société de l’efficacité. Jusque dans le service, on valorise celui qui fait pleins de choses. On a des plateformes multi-services, des cafeterias multi-services, ce sont des lieux où on peut tout faire. La notion même de service est liée à la rentabilité : on donne en argument de vente « service compris », on parle « d’emplois dans le secteur des services » de « société de service »… Dans ce livre, je voulais redonner à ce terme de « service » et à l’identité du « serviteur », quelques résonnances bibliques et spirituelles.  

Tu parles dans ton livre de la primauté du « savoir être » sur le « savoir faire ». Le « faire » est toujours une conséquence, il suit « l’être ». C’est particulièrement vrai dans le lien au plus pauvre ?

« Savoir être » et « savoir faire » ce n’est pas tant une différence, c’est très lié. Tout comme on peut dire que l’âme est charnelle ou que la chaire est spirituelle. Les actes posés influent sur notre âme, donc on peut difficilement distinguer le savoir être du savoir faire. Mais aujourd’hui dans le service, on a des « protocoles du savoir faire » : chez les travailleurs sociaux, les infirmiers, etc… On décrit une succession d’actes qu’il faut poser sans toujours tenir compte de la qualité d’être de la personne. Benoît XVI est le premier à parler de la diaconie dans Deus Caritas est ; il dit qu’il faut une formation du cœur, plus qu’une formation technique ! Dans la tradition de l’Eglise, quand on observe les ordres religieux qui ont tenu des hospices, des écoles, des centres de soin, on voit bien que leur présence faisait référence à autre chose, renvoyait à autre chose. C’est pour cela que je voulais insister sur le savoir être plus que sur le savoir faire. Je pense que ce chemin du serviteur, c’est d’abord un chemin intérieur. Si on refuse de faire ce chemin intérieur on n’est plus que dans la technicité.

Dans mon livre je prends plusieurs exemples de maisons de retraite car elles me semblent aujourd‘hui le miroir de cette société : on a tout ce qu’il faut en termes de soins, de diététique, d’animation… Mais la question du sens demeure, les personnes ont souvent l’impression de ne servir à rien ! Les maisons de retraite ne sont pas tant des mouroirs pour ces personnes que des mouroirs pour la société toute entière : c’est le lien social qui est en train de mourir car ce genre d’institution sont le reflet de notre manière d’être,  de notre civilisation.​

On parle des pauvres dans la société, dans les élections à venir, dans l’Eglise, …et ce que je constate c’est que souvent on utilise les pauvres ! Comment faire pour éviter que le pauvre soit utilisé, soit « quelque chose » qu’on échange ou utilise pour gagner du pouvoir, de l’argent, des élections… Comment faire pour que le pauvre soit vraiment au centre ?

Si les pauvres ne sont pas au centre, on est à côté de la plaque. Hier j’étais aux 400 ans des équipes saint Vincent et pour la première fois, plus de la moitié des nombreux participants étaient des personnes accompagnées ! On a pu faire la fête ensemble ! Je vois que si l'on ne connaît pas les personnes par leur nom, leur prénom, ils deviennent des objets !

Dans le monde catholique, c’est parfois encore pire que pour faire de l’argent ou obtenir des voix : on se sert des pauvres pour obtenir le Salut. On évangélise les riches en leur disant : « si vous donnez pour les pauvres vous irez plus facilement au ciel » ; il y a une manière d’instrumentaliser. Pour moi les pauvres, ils sont l’Eglise, ils sont la chair du Christ et par eux nous sommes renvoyés à notre propre pauvreté : on peut alors se sentir en communion, vivre en compassion avec eux. Mais si on les prend en otage ou comme un chiffre, c’est terrible. La diaconie, le lavement des pieds, c’est le Christ qui se met toujours plus bas.

Mais l’Eglise nous montre bien et la tradition biblique aussi, que les apôtres ont passé leur temps à chercher qui était le meilleur. Dès que Jésus avait le dos tourné, ils cherchaient la première place, ce n’est pas nouveau, ça fait partie de la nature humaine… C’est un peu l’objet de mon livre, Le chemin du serviteur : aider les gens à ne pas se décourager ! On a pas totalement le charisme des pauvres ou de la prière, on a un peu les deux sinon on ne serait pas à la suite du Christ, mais on est sur un chemin, on avance…et comme les plantes ont des saisons, il faut laisser advenir ; j’essaie d’encourager les gens. Hier je rappelais aux équipes Saint Vincent que Saint Vincent de Paul est rentré dans les ordres par arrivisme, pour l’argent et la position sociale, il n’est pas rentré comme un apôtre mais pour faire carrière ! Au début, alors qu’il était curé, son père est arrivé dans son église, et il avait l’apparence d’un pauvre homme. Saint Vincent n’a pas voulu que les paroissiens sachent que c’était son père alors il s’est échappé par la fenêtre de la sacristie. Quand on voit qu’après il est devenu l’apôtre de la charité, l’aumônier des galères ! Mais il a fallu qu’il vive une conversion dans sa propre chair. Ce n’est pas parce qu’on est serviteur qu’on est au dessus des autres et qu’on doit jouer les petits saints. C’est ça, le chemin du serviteur, c’est à reprendre sans cesse, de commencement en commencement.

Dans l’Evangile Jésus dit, « les pauvres seront toujours avec vous », c’est peut être une façon du Christ de dire, malgré toutes les structures que vous allez créer je serai là ! Il renverse tout ça parce que le pauvre c’est Lui en définitif.

Et en même temps, il dit cela à Judas, parce que Judas prend le prétexte que l’argent du parfum de cette femme – qui marque son respect pour Jésus – aurait pu être donné aux pauvres. Jésus semble dire que si on est radin pour la louange on est radin pour les pauvres, c’est une manière de renvoyer Judas dans ses logiques d’argent.

Tous, nous sommes confrontés un jour ou l’autre à notre propre pauvreté, à notre misère. Au moins au jour de notre mort, c’est pour cela que dans la tradition des œuvres de miséricorde, ensevelir les morts et accompagner le deuil, est considéré comme un des éléments de la diaconie. Cette expérience de la mort n’est pas toujours biologique, d’une certaine manière, les sdf traversent une mort sociale, ils n’ont pas le droit à la citoyenneté des autres ! Et ils nous renvoient à ce qu’on va être nous-même : Le jour où l'on est au cimetière, on n’est plus indispensable à la société comme on le croit. Inévitablement nous sommes confrontés à la pauvreté, la solitude, on rencontre des gens qui perdent la tête ; c’est pour cela que Jésus nous dit : « les pauvres vous en aurez toujours ». Cet épisode lie pauvreté et mort car quand il dit cette phrase Jésus pense à sa propre mort : cette femme qui lui met du parfum dit aussi que Jésus va mourir, elle préfigure les gestes de l’embaumement des défunts. Jésus dit à judas : « tu n’es pas capable d’écouter le geste de cette femme, tu es tellement pris dans tes logiques de fric ». Dans les œuvres sociales c’est pareil, on peut se tromper de logique ! C’est vrai qu’il manque toujours de l’argent, et que c’est grave… Mais parfois des associations demandent plein d’argent et ce n’est pas pour cela qu’elles font du bon boulot ! Parfois, je crois que c’est bien de manquer d’argent, ça oblige à la créativité, à se remettre en cause…

D’ailleurs l’argent de ton livre c’est pour la fraternité saint Laurent, pour aider à financer ses retraites, ses pèlerinages…

Propos recueillis par Hugo Rivero.