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La Catalogne et l’Emiettement de la planète

Au delà du débat auquel participent les pro et anti indépendantistes en Espagne, une question surgit : comment sommes nous passés en un demi-siècle d’une cinquantaine d’Etat présents à l’ONU (1945) à presque 200 actuellement ? Ce processus d’émiettement de la planète va-t-il encore se prolonger ? 

En observant la tendance actuelle dans le monde, force est de constater que les désirs séparatistes et indépendantistes sont encore nombreux. Rien qu’en Europe, si la Catalogne ouvre le débat, la Galicie et le Pays Basque espagnol pourraient suivre un jour, sans parler de la Corse, de le Vénétie, de l’Ecosse et des Flandre. Plus éloignés, le fameux Kurdistan, mais aussi de nouveaux pays inventés dans l’esprit de certains stratèges comme la division entre un Irak chiite et sunnite ou la création du Baloutchistan divisant le Pakistan en deux.

Il est pourtant difficile d’envisager que toutes ces régions-nations fassent le pas vers une réelle indépendance et surtout soient reconnues au niveau international. Pour naître en ce bas monde, un Etat doit posséder une raison d’être géopolitique. 

Ce phénomène de fragmentation de la planète au XXème siècle a engendré ce qu’on a appelé la « clochardisation » géopolitique d’un grand nombre d’Etats qui, bien que reconnus comme indépendants par la communauté mondiale, n’ont acquis en pratique aucun pouvoir et sont devenus des acteurs mineurs dépendants des grandes nations. En effet, comment de petites entités auraient-elles été capables de s’armer, de peser sur le contrôle de la circulation des matières premières et des produits énergétiques au niveau mondial ? Cette prolifération des impuissances, au-delà de l’apparence de démocratie où chaque pays est censé parler d’une voix égale aux autres, a contribué au renforcement des pays forts qui ont pu dominer plus facilement la géopolitique mondiale sur fond de course aux énergies. En instrumentalisant les particularismes nationaux, ethniques ou confessionnels, les pays dominants ont ainsi mis la main sur les richesses locales.

A prior, le cas de la Catalogne ne fait pas partie de ce jeu géopolitique. A priori, car cette région est en voie de devenir l’une des grandes portes d’entrée maritimes de la Chine. L’indépendance une fois reconnue compliquera sans doute l’accès des produits chinois au marché européen, à moins que l’Allemagne, premier partenaire de la Chine en Europe, tire son épingle du jeu et profite, par un tour de passe-passe, de cette nouvelle situation.

Une situation née, il faut le rappeler, non d’un grand désir identitaire d’une région opprimée mais d’un processus égoïste dit de repli communautaire prenant appui sur des facteurs économiques liés à la crise. Comme en Italie du Nord, la Catalogne voit ses recettes fiscales disparaitre au profit de régions plus pauvres du pays. Tandis que par le passé ce phénomène était accepté parce que les plus pauvres consommaient ce que produisaient les plus riches (le sud de l’Italie était envahi des Fiat produites à Turin), aujourd’hui la mondialisation a bouleversé la donne. On achète coréen et on vend à l’Allemagne. Les régions d’un même pays n’ont donc plus les mêmes liens entre elles. A-t-on cependant le droit de tout réduire au seul facteur économique ? Si des excès de mauvaises gestions ou de paresses sont bel et bien à dénoncer dans certaines régions, que reste-t-il de la solidarité au sein d’un même peuple ? Comment l’Europe réussira-t-elle à gérer ce nouveau défi d’un maintien d’une homogénéité sociale dans ses Etats membres ? Les Etats sont ils d’ailleurs encore capables aujourd’hui d’incarner la nation ou deviendront-ils uniquement de simples gérants des affaires courantes dans un rôle proche de celui de syndic ? La vitesse des changements d’un monde qui devient de plus en plus étranger aux individus favorise le retour « à la tribu », à cette identité régionale qui rassure. Selon le rapport de la CIA de 2012 intitulé « Global Trends 2030 », les années qui s’avancent rouvrent une nouvelle ère de recombinaisons, au cours de laquelle le citoyen et l’Etat vont devoir réapprendre leurs places respectives. Le processus d’indépendance de la Catalogne entrera t-il dans cette nouvelle perspective ? 

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3 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    … sans compter la Bavière qui est entrée à reculons dans l'unification allemande au XIXe siècle et qui trouve que la réunification de 1990 lui coute cher. Merci à l'auteur de souligner que ces replis identitaires sont souvent motivés par des soucis egoïstes. Les Catalans peuvent fort bien exprimer leur identité  dans le cadre de la démocratie espagnole. En ces années du centenaire de la première guerre mondiale, il n'est pas inutile de rappeler que c'est au nationalisme que nous devons les deux conflits mondiaux.

  2. JD

    Merci Michael pour cet article intéressant qui nous rappelle effectivement cette tendance à "l'émiettement de la planète".

    J'ai cependant du mal à comprendre pourquoi cela serait un drame et pourquoi présenter systématiquement cette "clochardisation géopolitique d'un grand nombre d'état" comme qqch de négatif ou grave…beaucoup de petits états ne pèsent pas dans le jeu géopolitique mondial et ne s'en portent pas plus mal ! Ils n'ont pas cette ambition, mais ont trouvé un modèle social qui leur convient, ont une économie qui fonctionne…les pays nordiques par exemple ! Ou certains pays d'Asie, qui ne pèsent pas en termes de matières premières, ne pèsent pas dans les échanges d'énergie mais s'en sortent bien et se développent (la Corée par exemple)

    Pour moi la vraie question est celle de la solidarité d'un peuple (et encore, peut on parler véritablement d'un même peuple dans le cas de la Catalogne qui a une langue différente, une culture différente?) et du projet d'un état ou d'une nation…pas la question de l'influence sur l'économie mondiale. Car justement à l'échelle mondiale, un pays peut trouver des stratégies qui lui permettent de s'insérer dans le commerce mondial d'une manière intéressante!

    bref, ma question serait, pourquoi ce retour à la tribu est il dramatique? en économie on voit le succès des circuits cours, en politique des initiatives locales, en football l'effort mis sur les centres de formation locaux pour faire émerger de nouveaux talents…ce "repli" (ou retour à un niveau plus humain?) est il vraiment une mauvaise nouvelle? Si on enlève l'arguement de vouloir peser dans l'économie mondiale, pas forcément non? Surtout si un pays n'a plus de projet social ou d'identité à proposer, le besoin d'itentité n'est pas forcément un repli identitaire…

    1. Bruno ANEL

      Je ne crois pas que Michaël pensait aux pays d'Europe du nord , petits par la population mais vastes territorialement et à l'identité culturelle fort ancienne, quand il évoquait des états en voie de clochardisation. On peut penser plutôt à certains états africains qui se sont cramponnés à des frontières héritées de la colonisation mais sans lien avec une identité culturelle ou économique. Ou encore à certains etats issus de l'ancienne Yougoslavie ou de l'ex URSS : relativement prospères tant qu'ils étaient reliés à un ensemble politiquement autoritaire mais organisé économiquement , ils se sont retrouvés confrontés à leur seules forces à leur libération. Je pense par exemple aux états du Caucase.