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Dans son livre « Jamais assez maigre, journal d’un top model » Victoire Maçon Dauxerre nous fait découvrir l’univers impitoyable de la mode, un univers qui exige, notamment des mannequins, de perdre toujours plus de poids pour rentrer dans les fringues .

A l’âge de dix-sept ans, elle est repérée par un « chasseur de mannequins » dans une rue de Paris. Elle mesure alors cent-soixante-dix-huit centimètres et pèse cinquante-huit kilos : son indice de masse corporelle [1]IMC = poids/taille2 est déjà inférieur à ce que l’on considère comme normal (à dix-huit ans, il devrait se situer entre dix-neuf et vingt-quatre, et celui de Victoire est alors à dix-huit). Néanmoins, le milieu de la mode auquel elle s’initie lui fait comprendre qu’il lui faut perdre encore quelques kilos, certains créateurs confectionnant des vêtements de taille 32 !

C’est ainsi qu’elle entreprend un régime draconien, limité à trois pommes par jour, afin de parvenir à rentrer rapidement dans ces vêtements si petits. Au début, cela ne lui semble pas si difficile et, à ce régime sec, Victoire parvient à perdre dix kilos en quelques semaines : son IMC passe de dix-huit à quinze, ce qui est clairement pathologique et dangereux pour la santé. De plus, elle présente rapidement des symptômes d’anorexie mentale : pour maintenir cette perte de poids conséquente, elle utilise si nécessaire – outre le fait de ne continuer à manger que des fruits et des légumes –  les vomissements provoqués et la prise de laxatifs. Le besoin de contrôle absolu sur son poids devient une angoisse de tous les jours. Elle écrit, en se voyant dans le miroir : « C’est moi. Je suis cette fille super-maigre et super-puissante, qui sait parfaitement contrôler son corps. Son appétit. Son poids. Sa vie. [2]Page 213 » . Assez vite surviennent douleurs de ventre, fatigue, arrêt des règles, pertes de cheveux tandis que sa pilosité augmente. La question alimentaire devient une obsession : comment faire pour ne pas regrossir ? Elle acquiert aussi la certitude d’être toujours trop grosse.

Face à ce diktat de la maigreur, il arrive que certains mannequins s’affament au point d’y laisser leur vie. Victoire écrit : « Elle [une autre mannequin] m’a aussi racontée, à voix basse, parce qu’on ne parle pas de ces choses-là, que lors d’un de ses défilés de New York, une fille était morte dans les coulisses. “Elle a marché, comme prévu, et quand elle est arrivée au backstage, elle s’est écroulée. Les pompiers sont venus, mais ils n’ont rien pu faire : crise cardiaque.’’ Crise cardiaque ? A dix-sept ans ? [3]Page 167 » . En effet, chez les personnes dénutries comme dans le cas des anorexiques, le taux sanguin de potassium peut descendre si bas que le rythme cardiaque s’en trouve perturbé au point de causer parfois un arrêt cardiaque. C’est l’une des raisons pour lesquelles les anorexiques sévères sont hospitalisées afin – en plus d’une ré-nutrition progressive et d’une prise en charge psychique – de pouvoir surveiller ce paramètre.

Le milieu dans lequel Victoire évolue est des plus rudes : les mannequins sont pratiquement toujours traitées comme des objets. Comme des cintres, selon l’expression de Karl Lagerfeld, voire brutalisées pendant les séances de coiffage, de maquillage, d’habillement. Ce système impitoyable exige une patience surhumaine : on attend souvent son tour pendant des heures ; et une soumission à toutes les contraintes. La guerre est même présente entre certains mannequins qui veulent voler la vedette aux autres.

Et tout cela alors que les photos des magazines ne correspondent finalement que rarement à la réalité : « (…) Le photographe m’a montrée les photos. Je l’ai observé commencer le travail de retouche : en quelques clics, il m’a rajouté des joues, des cuisses, des seins, et a effacé les os de mon sternum pour me faire un beau décolleté. Voilà donc comment ça se passe : nous, on perd des kilos et des kilos pour qu’ils nous choisissent … et qu’ils puissent nous en rajouter à leur gré » [4]Page 192 ; Depuis le 1.10.17, en France, il est désormais obligatoire de mentionner dans ce cas « photographie retouchée »

Victoire décrit bien l’exaltation ressentie lors des défilés qui permet de tenir, au moins un temps, dans cette jungle humaine, marquée aussi par une grande solitude. Les rencontres avec des personnes bienveillantes, attentionnées la frappent et elle ne manque pas de les relater tant elles sont rares !

Tout cela engendre une souffrance grandissante, une sensation de n’être plus soi-même et de ne plus exister. La souffrance devient telle que Victoire fait une tentative de suicide. Elle séjourne alors en clinique pendant trois mois et se reconstruit petit à petit. Finalement, elle reprend ses études et entre dans une école de théâtre pour réaliser son rêve de toujours : devenir comédienne.

Des lois ont déjà été adoptées dans quelques pays européens pour tenter de limiter les dégâts du diktat de la maigreur dans le monde de la mode, mais nous sommes malheureusement encore loin de voir de telles lois réellement appliquées. Cela est cependant devenu une urgence au vu des graves répercussions sur la santé physique et mentale de ces jeunes mannequins, hommes ou femmes, qui peuvent aller jusqu’à causer leur mort par malnutrition ou par suicide. De plus, les images de beauté idéale véhiculées par les médias ne correspondent la plupart du temps qu’à une beauté virtuelle poursuivie par de nombreuses jeunes femmes, poussées à devenir anorexiques pour atteindre cet idéal.

Victoire Maçon Dauxerre, Jamais assez maigre, Editions J’ai Lu, mai 2017. Editions des Arènes 2016 

References

References
1 IMC = poids/taille2
2 Page 213
3 Page 167
4 Page 192 ; Depuis le 1.10.17, en France, il est désormais obligatoire de mentionner dans ce cas « photographie retouchée »
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