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Le samedi saint de Marie Noël

Nous sommes arrivés à ce moment de l’année liturgique où la question de la mort se fait un peu plus pesante sur nos âmes, où nous nous tournons vers le Ciel pour trouver des réponses à nos souffrances qui peuvent nous sembler parfois bien vaines. Marie Noël, poétesse bourguignonne du XXème siècle, eut la même réaction que nous quand, à 21 ans, elle trouva son petit frère mort dans son lit peu après Noël. 

Comme elle le disait elle-même, la mort l’a toujours trouvée « hurlante à la face du Ciel ». Elle n’acceptera jamais pleinement ce décès, en restant torturée jusqu'à son dernier souffle. La petite flamme qui semblait étouffer en elle sembla se transformer en véritable incendie impossible à éteindre : « l’inconsolable cri de l’homme est entré en moi, et n’en est plus ressorti ». 

La source qu’elle désignera pour sa souffrance ne sera autre que Dieu Lui-même. Elle ira chercher ses arguments dans la Bible même, oubliant, ou plutôt refusant par commodité les raisons des événements qu’elle citera : Il « a tenu notre Christ accablé devant lui dans le jardin à l’heure de la Puissance des ténèbres ». Elle ira même jusqu'à le traiter en sombre inconnu dont on aurait peur de croiser la route par une sombre soirée d’automne. Sa famille très peu tournée vers la religion et son entourage très prompt à l’athéisme ont peut-être contribué à cette image peu flatteuse de Dieu et l’ont sûrement encouragée dans ses propos blasphématoires. 

Cependant elle était d’une nature contradictoire telle que son côté révolté la fit s’indigner de cette mort si subite (son frère n’était âgé que de 12 ans) mais que son côté tout humble et obéissant l’aida à dépasser ses tourments. Passés le déni premier suite au choc et la colère due à la nature aléatoire de la perte, vient ensuite le moment de la réflexion. « Ah que les mystères de la Religion, les mystères révélés sont harmonieux et doux à l’homme à côté de ce Mystère du Commencement, le Mystère du Mal, le seul où Dieu ne nous donne pas à croire, mais à penser ! » 

Marie Noel allait tout de même à l’Eglise régulièrement et avait même un jour promis à Jésus de l’épouser. Il aurait donc été étonnant qu’elle n’en revienne pas à lui directement. Si nous suivons le file de sa pensée encore un peu, nous y trouverons des questions, certes dures, mais laissant entrevoir l’espace d’un dialogue entre elle et celui qu’elle considère comme son « unique adversaire ». « Si vous aimiez tant les morts, pourquoi avez-Vous créé les vivants ? » La voila posée, cette question qui semblait la tarauder depuis tout ce temps. Elle finit par poser des mots un peu plus réfléchis sur sa douleur et semble bien disposée à en entendre la réponse. Mais comment trouver une réponse à cela ? Le dialogue s’étant rouvert entre elle et Dieu, elle trouva un chemin : la prière. 

« Quand tu verras ton Dieu cessant de te défendre, qu’à jamais tout regard s’est retiré de Lui, rien ne te sera plus que vide, sauf apprendre un seul mot, ta leçon, un seul sans autre : OUI. » Voici ce que choisit Marie Noël. Voici le fruit de sa prière. Se donner entièrement à ce Dieu qu’elle ne comprend pas toujours comme le fit Marie Sa Mère. Elle ne cherche pas à tout connaitre, ne prétend pas tout savoir mais s’abandonne à Sa Volonté. Elle accuse par ailleurs l’idée « étrange, étroite » que nous nous faisons parfois de la « Vérité de Dieu  »  Et « par quelle présomption nous la représentons-nous comme un domaine de lumière limité dont les propriétaires de droit divin ont, une fois pour toutes, placé les bornes » ? Alors elle trouve la réponse à son malheur, sans toutefois renier sa peine : « Ne reconnais pas le malheur pour Dieu. Dieu est bon. » 

 

Voici un poème de Marie Noël écrit à la mémoire de son petit frère, véritable hurlement à la face du Ciel. 

HURLEMENT

Le jour s’en va. Sur la montagne,
L’ombre grandit.
Es-tu parti dans la campagne,
Ô mon petit ?
Tu n’es pas là, ni dans l’étable,
Ni dans ton lit.
Tu ne viens pas te mettre à table.

Je vais cherchant de place en place,
Où donc es-tu ?
Ton frère aîné revient de classe,
De noir vêtu.
Qui donc a vu, qui me ramène
Mon fils perdu ?
Qui l’a trouvé loin dans la plaine ?

Le jour qui fuit, las de l’attendre,
S’en est allé ;
Le soir qui vient, sans me le rendre,
S’est désolé ;
Ô Dieu ! la Mort ouvrant la porte
Me l’a volé !
Mon agneau blanc, le loup l’emporte !

J’ai ramassé tes hardes vides,
Je les étends…
Je cherche à voir, les yeux avides,
Ton corps dedans.
Mais du tricot, mais de la veste
Aux bras pendant,
Il est parti. Plus rien ne reste.

Voici pourtant sur une manche
L'endroit jauni,
Taché de beurre un jour, dimanche…
Je t’ai puni.
La tache est là, le pot de beurre
N’est pas fini.
Toi seul n’est plus et tout demeure.

Tu n’es pas mort, je fais un rêve,
Oui, oui, je dors.
C’est bon qu’un vieux le soir achève
D’user son corps…
Est-ce toi Jean ?… toi dont la balle
Bondit dehors ?
Toi dans la cour, toi dans la salle ?

La porte a ri… je meurs, j’espère…
Ce n’est pas toi…
Ce sont tes sœurs, des gens, ton père,
N’importe quoi…
Que font-ils là ? qui les appelle
Autour de moi ?
Je n’ai besoin ni d’eux, ni d’elles.

Que me veut-on ? Que j'aille et prie,
Quand vient le soir,
Leur Dieu, leurs saints, et leur Marie
Pour te revoir ?
C’est contre eux tous que mon sang crie
De désespoir !
Ces loups du ciel, voleurs de vie !