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Madeleine Delbrêl, laïque consacrée à Dieu et aux Hommes

Le 19 avril 2018 le Pape a déclaré Madeleine Delbrêl vénérable suite au travail de présentation de sa vie et de son œuvre par le postulateur de sa cause, le père Gilles François, président de l’Association des Amis de Madeleine Delbrêl. Cette décision papale prise avec le collège cardinalice ouvre la voie à la béatification de cette figure incontournable du catholicisme français du XX° siècle. Le père Gilles François et le père Bernard Pitaud ont écrit en collaboration une belle biographie de Melle Delbrêl en 2014. Nous en reprenons les grands moments de sa vie.

 

 

De l’athéisme à l’éblouissement de la foi

Madeleine est née à Mussidan en Dordogne le 24 octobre 1904 ; sa mère, Lucile Junière, était issue d’une famille de la petite bourgeoisie de province qui tenait une fabrique de cierge employant une vingtaine d’ouvriers. Son père Jules Delbrêl travaillait dans les chemins de fer et terminera sa carrière comme chef de gare à Denfert-Rochereau. Ils se marièrent en 1901 et n’eurent pour enfant que Madeleine. Ils donnèrent à leur fille une bonne éducation classique, ouverte à l’art. Madeleine jouait du piano, dessinait mais petit à petit c’est l’écriture qui la passionnera le plus. Ils étaient chrétiens mais d’une foi sociale peu profonde. Aussi M. Delbrêl aimait fréquenter le salon du docteur Armaingaud, grand amateur de Montaigne mais positiviste et athée. Toutes sortes de personnes s’y rencontraient cependant. La fréquentation de ce salon où elle accompagnait ses parents lui fera perdre la foi de son enfance : Les affirmations de la foi lui paraissent bien démodées par rapport à la pensée rationnelle qui lui semble donner réponse à tout [1]Gilles François et Bernard Pitaud, Madeleine Delbrel, poète, assistante sociale et mystique, Nouvelle Cité, 2014, p. 35. . A l’âge de 16 ans, Madeleine sombre dans un athéisme choisi, clair et conscient qui lui fera écrire notamment cette poésie dont nous reconnaissons non seulement les accents nietzschéens mais finalement tout le drame du monde contemporain athée et apostat : Dieu est mort, vive la mort en 1920-1921 :

Tant que Dieu vivait, la mort n’était pas une mort pour de bon.

La mort de Dieu a rendu la nôtre plus sûre.

La mort est devenue la chose la plus sûre.

Il faut le savoir.

Il ne faut pas vivre comme les gens pour qui la vie est la grande chose. [2]Ibid., p. 40

Cette fascination de la mort, liée directement à l’athéisme dont elle est la conséquence logique, sera le point de départ de son zèle apostolique auprès des populations marxistes dont elle s’occupera plus tard.

À l’athéisme sera liée une attitude désabusée vis-à-vis de la vie et plus particulièrement de l’amour : Si j’aime, ce sera en sursis, à la sauvette [3]Ibid., p. 43 . Cela dit, dans ce même salon elle rencontrera Jean Maydieu, un jeune étudiant de Centrale qui cherche sa vocation et dont elle tombera très amoureuse, au point que probablement ils pensent se marier. Toutefois Jean quittera Madeleine de façon brutale sans même lui dire un adieu, pour entrer chez les dominicains.

Cet amour pour cet homme de foi et la souffrance qui accompagnera leur séparation provoquera dans son âme des doutes sur son athéisme, aussi décida-t-elle de prier au début de l’an 1924 :

« Si je voulais être sincère, Dieu n’étant plus rigoureusement impossible ne devait plus être traité comme sûrement inexistant. Je choisis ce qui me paraissait le mieux traduire mon changement de perspective : je décidai de prier (…) à genoux par crainte, encore, de l’idéalisme »  [4]Ibid., p. 48  

C’est ainsi que le 29 mars 1924, survint comme une étoile dans la noirceur d’une nuit d’hiver, ce qu’elle appellera « l’éblouissement de la foi » : J’avais été et je suis restée éblouie par Dieu [5]Ibid., p. 49 . A la suite de sa conversion, elle posera un geste symbolique : Melle Delbrêl raconte qu’au moment où elle s’est convertie elle a été porter à l’archevêché deux opales auxquelles elle tenait beaucoup et qu’elle avait été reçue un peu comme à un guichet ; à ce moment-là elle n’en avait pas été étonnée. Madeleine offre ses bijoux à l’Église car elle sait que la foi lui vient d’elle, et son don est anonyme car elle sait aussi que ce don est en réalité le don anonyme et humble d’elle-même : J’ai voulu ressembler à une opale rare que le dédain enchâsse entre ses griffes fières. Son orgueil était désormais brisé et elle remettait sa vie entre les mains de Dieu.

L’art et la vie chrétienne

Madeleine est une artiste, elle écrit et elle peint. A la suite de sa conversion, elle va chercher sa voie : doit-elle être une écrivain ? Elle remporte le prix Nobel de littérature Sully Prudhomme pour les jeunes poètes en 1926. Quelques mois plus tard elle confie à sa mère d’être certaine de faire la volonté de notre Maître en restant à travailler pour Lui dans le monde [6]Ibid., p. 64 . Voilà donc Madeleine armée d’une certitude dont elle ne se départira jamais. Elle doit vivre dans le monde pour le Christ. L’art sera le chemin vers l’entendement profond de sa vocation. D’abord elle fera le lien entre la prière et l’art parce que prier est comme l’attitude de l’artiste face à ce qu’il veut créer, c’est entrer dans l’intimité des choses … en toute humilité et sincérité [7]Ibid., p. 70 . Ensuite, parce que les artistes sont les Compatissants : artistes, Dieu vous a choisis pour moissonner le blé des larmes. Vous êtes ceux qui aimerez d’un tel amour ce que Dieu fit, que vous éprouverez toute souffrance, celle des hommes et celle des choses. Et finalement, parce qu’au sommet de l’art, il y a la charité. L’art des arts, c’est l’amour surnaturel de Dieu, le bel amour divin, force incomparable de création. Madeleine aura donc cette magnifique prière qui pourrait résumer sa vie :

Donne ô Beauté la charité à tout mon être, et sois au sommet de moi-même.

Que toutes les forces de ma vie, chaque soir, reviennent vers toi (…)

Donne-moi ta charité pour que je baise l’empreinte de tes doigts indélébiles sur les âmes,

sur la mienne comme sur la leur [8]Ibid., p. 73 .

Être chrétien c’est donc se laisser modeler par Dieu qui œuvre dans l’âme par la charité, c’est-à-dire, l’amour de Dieu infusé dans l’âme, l’amour qui transforme l’être pour lui redonner la ressemblance divine originelle ; mais la charité comprise aussi comme œuvre humaine reçue de Dieu pour façonner cette même image dans le cœur du prochain ! En somme l’artiste par excellence est celui qui est aimé de Dieu, aime Dieu et aime son prochain en Dieu pour que Dieu recrée toute chose dans sa grâce. Madeleine abandonne alors la poésie comme carrière professionnelle pour se consacrer à Dieu et aux hommes. Nous sommes en 1928, elle a 24 ans.

Laïque consacrée

Madeleine a commencé son engagement au service de Dieu et des autres dans le scoutisme. Elle sera cheftaine de guides, mais très vite elle sentira les limites du mouvement scout. Elle veut offrir à ses jeunes filles une formation chrétienne plus intense. Elles vont aussi visiter les familles pauvres d’Ivry et de Villejuif, quartiers alors très pauvres de la périphérie parisienne. Au cours d’une retraite avec le père Lorenzo, père spirituel de Madeleine et guide la petite équipe, plusieurs membres furent inspirés par le Saint Esprit et vinrent individuellement trouver M. l’Abbé pour lui parler de la même chose : le désir de vivre une vie évangélique plus absolue, en commun [9]Ibid., p. 92. . Ainsi en 1932, trois femmes partent pour Ivry vivre au milieu des gens dans un contexte très communiste ; cité ouvrière dont la suprême misère dit Madeleine est que Dieu ne semble manquer, ni à rien ni à personne [10]Ibid., p. 121 . [Les communistes] participent à la plus grande misère qu’un être humain puisse connaître, une misère dont la définition est celle du péché : un état de haine contre Dieu [11]Ibid., p. 204 . Aussi, Madeleine sera fascinée par le communisme parce qu’elle travaille à la mairie d’Ivry et qu’elle les voit soucieux de la misère et forts de biens des initiatives pour la soulager quand bien des catholiques non seulement ferment les yeux mais participent à l’injustice objective dans laquelle vivent les ouvriers. Toutefois, jamais elle n’adhérera au Parti parce que l’idéologie de Marx vouée à la destruction de la religion est incompatible avec la foi catholique : Dieu existe et il est la raison même de l’être et de la vie ; et Dieu aime tout homme sans acception, il ne partage pas l’humanité en deux selon des critères économiques de pauvreté et de richesse… il aime tous les hommes et chacun d’eux de manière totale et tout homme est appelé à aimer jusqu’aux ennemis.

Ce petit groupe appelé « la charité » vit et grandit doucement. Madeleine se sait porteuse d’une mission même si les doutes et les obstacles l’assaillent : Mon père est un anormal : avec une hérédité si chargée puis-je être normale ? Une foule de détraqués ont cru avoir une mission, ne suis pas détraquée ? [12]Ibid., p. 114 . Le père Gilles François fait ce commentaire : Elle saisit de manière aiguë la nouveauté de ce groupe d’Église, sans statut canonique, laïc et pourtant proche de la vie religieuse, mais non religieux [13]Ibid. . Ce qui est miraculeux, en plus de l’intuition profonde qu’elle reçoit et de la fermeté avec laquelle elle s’y tiendra, c’est que les évêques de Paris vont parfaitement comprendre sa mission et le charisme de ce petit groupe. Si bien qu’ils vont le garder et le protéger comme le demandera ensuite le Concile Vatican II. Ainsi le cardinal Verdier, archevêque de Paris de 1929 à 1940, venu bénir leur chapelle en 1936 dira : Ne demandez pas d’approbation. Vous ouvrez la voie à une vie religieuse laïque qui n’est pas courante dans l’Église [14]Ibid., 134 . Son successeur le cardinal Feltin gardera la même ligne et nommera le cardinal Veuillot qui lui aussi deviendra archevêque de Paris comme responsable de « la Charité » pour cette même vision d’un laïcat consacrée. Madeleine est pionnière dans cette forme de vie où sans se consacrer formellement, des laïques vivent la plénitude de l’Évangile à partir de leur consécration baptismale :

Nous autres gens de la rue, nous croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté. (…)

Ces notes nous parviennent d’un groupe de laïcs de la banlieue :

« Ames décidées à vivre l’Évangile sans restriction. Ces âmes ont horreur de l’irréalisme : leur apostolat est celui de la vie. Leur formule n’est pas : travailler pour le Christ, mais revivre le Christ au milieu d’un monde déchristianisé » [15]Ibid., 140 .

Conclusion

Madeleine vécut trente ans à Ivry, d’une humble vie partagée avec les gens de son quartier, jusqu’à sa mort le 13 octobre 1964. Sa renommée sera grande et elle sera appelée à donner de nombreuses conférences à une Église désemparée devant la transformation radicale du monde et des mentalités, qui cherchait de nouvelles formes d’évangélisation, comme l’expérience des prêtres ouvriers dont elle sera très proche spirituellement. Sa vie fut une authentique « parole de Dieu » pour de nouvelles formes de vie consacrées, mais aussi comme signe prophétique de l’appel universel à la sainteté de tout le peuple de Dieu consacré à Lui par l’onction du baptême.

 

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References

References
1 Gilles François et Bernard Pitaud, Madeleine Delbrel, poète, assistante sociale et mystique, Nouvelle Cité, 2014, p. 35.
2 Ibid., p. 40
3 Ibid., p. 43
4 Ibid., p. 48
5 Ibid., p. 49
6 Ibid., p. 64
7 Ibid., p. 70
8 Ibid., p. 73
9 Ibid., p. 92.
10 Ibid., p. 121
11 Ibid., p. 204
12 Ibid., p. 114
13 Ibid.
14 Ibid., 134
15 Ibid., 140
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