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A la découverte de l’âme viennoise

La collection « L’âme des peuples » propose de partir à la découverte d’une ville ou d’un pays d’une façon moins consumériste que les classiques qui déroulent les panoplies du voyageur. Partons à la découverte de l’âme viennoise. 

Pour beaucoup, Vienne est la ville où l’on se rend pour écouter la grande musique « dans son jus » et contempler les vestiges d’un empire disparu. Pour d’autres plus avertis, c’est aussi une ville qui est depuis des décennies à la pointe de la politique urbaine, de l’intégration et de l’art de vivre.  Le sous-titre de l’ouvrage (« si impériale, si sociale ») en dit long sur la capitale autrichienne, chef d’œuvre d’équilibre entre des polarités qui semblent si opposées mais qui en réalité s’unifient pour en faire sa magie. 

Alexia Gerardhus nous emmène tout d’abord dans une visite guidée de ce qui constitue l’âme de Vienne. Nous y découvrons une « ville-village », très étendue sans pour autant qu’on y ressente l’anonymat de certaines métropoles. Elle nous conduit dans différents lieux qui illustrent cette fameuse Gemütlichkeit (« dont la traduction pourrait osciller entre confort douillet et atmosphère sympathique ») : les marchés, les musées, les jardins, les arrondissements périphériques au contact des vignes ou de la forêt viennoise qui donnent l’impression d’être dans un village (surtout lorsque l’on s’attable à un Heurigen, auberges de vignerons où l’on y sert le vin de l’année). Elle ne manque pas de mentionner les innombrables vestiges laissés par le grand architecte de la fin du XIX° Otto Wagner, quelques autres attractions architecturales de la Vienne « rouge » (dont le Karl-Marx-Hof, genre de cité idéale de 2km de long élaborée par la mairie sociale démocrate des années 30, très impliquée dans la politique sociale). Enfin, nous nous attablons avec elle dans de mythiques « Caffe Haus », symbole par excellence de l’art de vivre viennois. 

Après la visite géographique, l’auteur nous propose un petit tour très éclairant dans l’histoire, visitant ces évènements qui forgent l’identité d’un peuple : d’un camp romain à une petite ville de province pour accèder progressivement au rang de capitale impériale, rang qui lui vaudra attaques et sièges (notamment des turcs dont elle sera libérée le 12.09.1683 à l’invocation du Saint Nom de Marie, qui répondra aux viennois en envoyant les armées catholiques du roi Sobieski de Pologne). Suit une période de rayonnement avec la grande impératrice Marie-Thérèse, puis son fils Joseph II le grand auteur de l’administration à l’autrichienne (lourde… mais efficace). Après la période du Bidermeier de laquelle date une partie de cette notion de Gemütlich, Vienne s’accroît, se développe et se construit pour devenir une grande capitale et un chef d’œuvre d’urbanisme. Au moment où éclate l’attentat de Sarajevo en 1914, Vienne est à son apogée aussi bien culturelle que démographique. Malgré un coût élevé à payer des suites de la première guerre, Vienne se relève notamment grâce à une génération d’équipes municipales visionnaires et très sociales dont les effets positifs se ressentent encore aujourd’hui. Le tribu de la deuxième guerre fut moins lourd sur le plan des infrastructures mais plus sur celui de la mémoire. Occupée 10 ans par les forces alliées (à l’image de toute l’Autriche), c’est en 1955 que l’on célèbre à Vienne l’indépendance et c’est à l’abri des regards que ce petit pays et sa capitale travaillent à leur reconstruction, pour faire aujourd’hui l’admiration du monde entier. 

Alexia Gerardhus ne se contente pas de partager son enthousiasme pour sa ville d’adoption, elle prend aussi le temps d’interroger ceux qui comme elle l’aiment et d’une certaine façon la représentent. Ainsi Christian Witt-Döring, commissaire du musée des arts appliqués, revient sur la fin du XIX° siècle si déterminante, période de construction de la Ringstrasse et de tous les magnifiques bâtiments qui l’ornent encore aujourd’hui. Il évoque aussi quelques traits de caractère « typiquement viennois » qui influent indéniablement sur le destin de ce peuple : culture de l’oubli (notamment après l’épisode nazi), besoin maladif de l’harmonie, sentiment d’amour-haine envers leur pays. 

Elle s’assied ensuite dans Caffe Haus avec Peter Payer urbaniste, sociologue et historien, qui livre son analyse d’expert sur le « génie » urbanistique de Vienne qui fait que les gens, et pas uniquement les plus riches, s’y sentent si bien. Nous apprenons que Vienne n’atteint à peine aujourd’hui la taille qu’elle avait en 1900 et que c’est bien ce Wiener Melange (jeu de mot avec le nom donné au café au lait à Vienne) entre tradition et modernité qui fait son charme et sa fierté. 

Puis nous rencontrons Suzana Zapke, professeur de musique et musicologue qui nous sensibilise au rôle essentiel que joue la musique dans l’identité de Vienne. Elle revient sur les grandes figures musicales qui l’ont marquée (la famille impériale tout d’abord passionnée de musique à toutes les époques depuis au moins le XV° siècle, puis Schubert, Mozart, Strauss, Haydn, Beethoven, plus tard Arnold Schönberg). Cette longue période « classique » a une importance déterminante dans le style viennois (classique, académique) dont on est si fiers et qui assure un revenu touristique considérable. La musique à Vienne est de plus un facteur d’unité sociale, car les viennois de toute condition grandissent en musique, il n’est d’ailleurs pas rare de voir des gens très simples s’installer très tôt dans la queue de l’Opéra pour obtenir une place debout entre 3 et 5 Euros.

Enfin nous sommes reçus par Erhard Busek de l’institut pour la région du Danube et l’Europe central pour aborder les défis économiques et politiques de la Vienne actuelle. Avec lui sont abordés les thème de la Mitteleuropa et du rôle stratégique qu’y joue Vienne, du brassage linguistique et culturel inédit que constitue de nouveau (comme il y a un siècle) la capitale autrichienne, de son rôle international en tant que siège de l’ONU et capitale d’un état neutre. En dépit de cette grande ouverture aux échanges, Vienne reste néanmoins selon lui la ville  « où règne l’assurance inébranlable de son chez-soi ». 

Puisant abondamment aux sources des viennois illustres, elle partage cette belle citation de Stefan Zweig qui résume (toujours, espérons-le) l’âme de Vienne : « On n’était pas un vrai viennois sans cet amour de la culture, sans ce don de joindre le sens du plaisir à celle de l’examen critique devant ce plus sain des superflus qu’offre la vie ».

Alexia Gerhardus, Vienne, si impériale, si socialeÉditions Nevica, collection « L’âme des peuples ». 2015

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