de F. Gauthier 30 juin 2011
Lima (Pérou), mai 2011.
Le mois de mai fut aussi marqué par l’hospitalisation de Jordan, un de nos amis du quartier du Point-Coeur. C’est un garçon de dix-sept ans qui souffre depuis neuf ans d’une maladie dégénérative génétique qui s’appelle maladie de Huntington. Celle-ci affecte le système nerveux et provoque des mouvements involontaires.
Au début du mois de mai, Jordan a été pris de fortes fièvres. Un dimanche soir, nous sommes passés Daniel, Edgardo et moi pour prendre de ses nouvelles. Nous nous sommes trouvés face à l’illustration de La Solitude au milieu de la foule : en premier plan, devant la maison assis sur des tabourets ou sur des caisses de bière, des neveux, petits-fils et beaux-frères de Palmira que les effets de l’alcool commençaient à désinhiber. Dans la pièce principale, deux des sœurs de Palmira et une de ses nièces assises sur le lit en train de discuter. Au pied de ce lit contre le mur, sur un matelas à même le sol était étendu Jordan, fiévreux, pâle totalement inerte. À ses côtés, Palmira dans un état de désespoir, d’impuissance extrême. Quand elle nous a pris dans ses bras pour nous saluer, elle paraissait une naufragée se jetant sur la bouée de sauvetage ! En fait de sauvetage, nous étions plutôt désemparés et incapables de savoir comment nous rendre utiles. Après une nuit de veille et aucune amélioration, nous avons emmené Jordan en urgence à l’hôpital. Dans cet univers qui au début était totalement hostile, tant le personnel soignant paraissait ignorer que Jordan était une personne, j’ai vu peu à peu s’humaniser les infirmières, les aides-soignantes. Même les gardiens qui ne voulaient pas laisser passer plus d’une personne à l’intérieur, finirent par permettre à Edgardo de me rejoindre dans l’enceinte du bâtiment. J’appréciais toutes ces petites victoires, cette chaîne de solidarité qui se construisait autour de notre ami. Ce temps d’hospitalisation m’a ouvert les yeux sur un nouveau monde. Je n’avais jamais été confrontée si violemment à la maladie et à la souffrance. Un matin, après avoir passé toute la nuit à maintenir ses jambes en convulsion, tout en essayant de convaincre les infirmières de lui donner un médicament pour le soulager et faire baisser sa température, je regardais Jordan. Quel sens avait sa souffrance ? Pourquoi ne pas simplement le laisser mourir ? Pourquoi le maintenir dans cet état ? Mais plus je le regardais et plus mes questions me semblaient hors de propos. C’est lui-même par son attitude, par son combat pour vivre, par sa façon de chercher mon regard ou de serrer comme il pouvait mes mains qui me redonnait la force de rester à ses côtés. Jordan voulait simplement vivre ! Et quand de nouveau c’était difficile d’accepter cette situation, il me suffisait de lever les yeux sur Palmira. Pas de révolte, pas de fuite dans son regard mais toujours une espérance immense pour son petit-fils. Je n’avais qu’à la contempler pour voir l’attitude juste de son amour de grand-mère.
Après quinze jours d’hospitalisation, Jordan est rentré chez lui. Sa maladie suit son évolution.
Bonjour Florence et merci pour ce si beau témoignage. Quelle leçon de vie !
Nous espérons que l'état de Jordan se maintiendra et souhaitons à tous un grand courage.
Merci encore, je t'embrasse.
Cécile (la maman d'Antoine)