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L’accompagnement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer

Interview du Docteur Patrick Lepault par Claire Chassaing       19 octobre 2011

Ancien chef de service en soins palliatifs et actuellement directeur médical d’un groupement de quarante maisons de retraite dans toute la France (l’EPHAD) dont 60% des résidents sont atteints de la maladie d’Alzheimer.

Le 21 septembre 2011 a eu lieu la journée mondiale Alzheimer. Aujourd’hui,  entre 35 et 36 millions de personnes dans le monde sont atteintes de cette maladie dont 800 000 à 900 000 en France.

Devant l’annonce du diagnostic de la maladie d’Alzheimer, que faut-il prendre en compte pour accompagner au mieux la personne ?

La question de fond, devant la personne atteinte d’Alzheimer est : comment aller vers elle, comment la rejoindre dans sont isolement ?

Chacun d’entre nous, malade ou bien portant, a cinq dimensions ou besoins constitutifs de l’humanité : le corps (bouger, agir, se reposer, être caressé…), l’affectivité et les sens (sentir, goûter, parler, entendre…), le mental (fonctions cognitives : apprendre, lire, créer…), la relation à l’autre (être en contact  avec les autres, aimer et être aimé…)  la spiritualité et la recherche de sens, religieux ou simplement humain. La vie, pour être épanouie, va mettre en jeu ces dimensions à des moments différents de l’existence. Une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer les a conservées. C'est toujours un être humain, quoi qu’en disent certains, qui va connaître des besoins et des désirs pour les mettre en action. Mais les « codes d’accès » pour les concrétiser sont totalement perturbés. Par exemple, pour montrer son désir d’action physique, le patient peut parcourir jusqu’à trente kilomètres par jour sans s’arrêter en déambulant. Un autre – et cela sera bien plus difficile à vivre par la famille comme par les soignants – va se déshabiller sans cesse ou éprouver le besoin de parler fort, voire de crier. La difficulté pour les bien-portants est d’accepter que les « codes de communication » des malades soient différents des leurs et qu’il faille en apprendre de nouveaux pour entrer en relation. Si on reste dans « nos codes », on ne comprend pas la réaction du malade et on peut vite perdre patience et devenir agressif.

Comment rejoindre la personne atteinte d'Alzheimer? Que faut-il privilégier dans cette relation ?

Rechercher, pour la personne, ce qui va être de l’ordre du bien-être. Cela demande de regarder, d’observer ses changements d’attitude devant tel ou tel soin : la respiration qui devient plus régulière, une attitude plus détendue. Si l’on travaille sur la stimulation sensorielle, par l’olfactif, par exemple, on essaiera d’éveiller des souvenirs en faisant sentir un parfum. La lavande pourra rappeler des souvenirs de Provence. Avec l’évolution de la maladie, les souvenirs s’estomperont mais le plaisir du parfum de la lavande restera. Oser prendre quelqu’un dans les bras sans avoir à donner d’explication de ce geste. C'est peut-être cela, la compassion.

L’art peut-il être un vecteur de communication ?

Oui. La musique, la peinture stimulent les sens et extraient la personne de son isolement. Dans les ateliers thérapeutiques, on voit des personnes, ayant perdu les repères du temps et de l’espace, jouer normalement des percussions en groupe.

Nous avons été témoin d’un changement étonnant chez une femme qui se rendait régulièrement à l’atelier thérapeutique de peinture. Cette femme était toujours habillée en noir, mal peignée. Séance après séance, elle a commencé à travailler avec des couleurs vives. Elle a, peu à peu, changé sa garde-robe et arrivait à l’atelier vêtue de robes de couleurs gaies, ayant pris le soin de se coiffer, de se maquiller. Un jour, elle a fait une peinture en utilisant exactement les couleurs de sa robe. Elle ne le faisait sûrement pas consciemment, c'était plutôt de l’ordre de l’intuition. On ne cherche pas à « faire du beau », de l’esthétique, mais on est dans la communication non-verbale, autre que nos modes de communication habituels.

Comment se vit l’accompagnement du malade à domicile ?

Les membres de la famille qui entourent la personne, à la maison, ne doivent jamais vivre cet accompagnement seules sinon elles vont s’épuiser. On constate que le conjoint de la personne malade peut perdre jusqu’à trois ans d’espérance de vie tant il se doit d’être présent. Il est important qu’il demande de l’aide, que la famille s’organise. Devant les nuits souvent perturbées, le conjoint non malade risque de ne pas tenir le coup. Il a besoin d’au moins deux bonnes nuits de sommeil par semaine. Les enfants ou d’autres personnes de l’entourage peuvent alors prendre le relais. Il y a peu d’aide de l’Etat pour des veilles de nuit. A Bordeaux, des sœurs espagnoles ont pour apostolat de passer la nuit chez les malades. Elles ne sont pas infirmières. Elles offrent une présence durant toute la nuit, permettant ainsi à la famille de se reposer cette nuit-là.

Comment se fait l’institutionnalisation de la personne ?

Le choix est important, pas tant dans les locaux (les belles coquilles vides ne servent à rien), mais par rapport au projet d’accompagnement mis en place dans ces institutions. Par exemple, combien de personnes sont présentes la nuit pour veiller sur les malades ? La nuit est un moment angoissant. Les patients ont besoin de déambuler, car il est rare qu’ils dorment huit heures d’affilée. Ils dormiront quatre heures puis se lèveront pour aller marcher, et il faut les laisser marcher. Les unités Alzheimer sont-elles prévues pour pouvoir ainsi déambuler ?

Le corps médical est, aujourd’hui, unanime sur le fait que les neuroleptiques ne servent à rien. « Shooter » la personne ne sert à rien. Donner des neuroleptiques pour calmer les cris va entrainer un déséquilibre chez le patient qui peut, en marchant, tituber et tomber, se casser le col du fémur, etc.

Le quotidien des aides-soignants, du conjoint non-malade est rude car il n’est pas gratifiant. Cela demande une vigilance extrême et des gestes à refaire sans cesse, comme celui du nettoyage pour un patient qui fera ses besoins constamment hors des toilettes, etc.

Une femme me racontait : « Je vais voir maman tous les jours et tous les jours, elle me dit : ma fille ne vient jamais me voir. Quel est le sens à cela ? » L’unique sens est la gratuité totale. « Votre mère ne vous reconnait pas comme sa fille, et elle est en recherche de cette fille qui ne vient pas alors que vous êtes là tous les jours. A nous, le corps médical, de vous soutenir : sachez que vos visites font du bien à votre mère. Elle ne vous reconnait pas comme votre fille mais une fois que vous êtes là, elle est plus paisible. Il y a un bien-être qui se fait mais il n’est pas « connecté ». On est dans la gratuité complète, il n’y a pas de retour sur intérêt. Devant la souffrance que porte la famille, nous proposons un accompagnement  d’écoute et de parole. »

Peut-on envisager d’autres voies d’accompagnement ?

Notre société s’est organisée pour accompagner les personnes âgées, mais il y aurait d’autres voies d’accompagnement à trouver car, avec le déficit de la Sécurité Sociale, on est au maximum de ce qui est possible de faire au niveau finance. Donc il faut trouver une autre forme de solidarité, de troc, d’échange, de présence. Je ne sais pas comment cela va se jouer dans les années à venir. En Afrique, ils font des tontines de solidarité (des groupes d'amis, voisins ou collègues se constituent afin de proposer, sur la base de la confiance, des aides à chacun des membres. Ce système est possible car il y a de vraies relations sociales) face à la maladie parce que l’état ne prend rien en charge. Peut-être que nous avons à découvrir dans nos quartiers une espèce de tontine de solidarité. En France, jusqu’à maintenant, c'était l’Etat qui devait s’occuper de tout. Nous sommes arrivés à une limite, quelque soit le modèle économique (gauche/droite), et je suis convaincu que dans les années à venir cela va renvoyer à la solidarité beaucoup plus petite, au niveau des quartiers, de clubs, de paroisses, etc.  Et au niveau des institutions, il faut retrouver des structures familiales, des petites cellules de vie à dimension humaine où la qualité de la présence, la compassion est au cœur de cette vie. Être à coté, sans chercher à changer la personne. C'est, à mon avis, ce que nous dit le patient Alzheimer : « Acceptez-moi tel que je suis ».

Avec votre expérience auprès des personnes atteintes de cette maladie, que pouvez dire aux familles, au personnel soignant ?

Espérez l’inattendu !

N’enfermez pas  la personne dans sa maladie et en ne la regardant qu’à partir de ce spectre. Mais osez espérer l’inattendu. Comme cette femme, vêtue de noir et qui, à l’étonnement de tous, revêt « l’habit de noce ». Sachons être attentifs et nous laisser surprendre par ces moments-là. Et transmettons-les à la famille : « Regardez comme elle a changé ». Cela se vit au cœur des petites choses, d’une écoute de l’autre dans ce qu’il est pleinement.

La maladie d’Alzheimer est une maladie du non-sens et la meilleure prévention de cette maladie est de permettre que le sens existe. Pour redécouvrir une raison de vivre, il faut arrêter d’isoler systématiquement les personnes du réseau familial. Pour les personnes qui ont la foi, leur redonner, à cette étape de la vieillesse,  le sens de leur mission au cœur du monde : être des âmes de prière et intercéder pour le monde.

Lien : http://www.francealzheimer.org/pages/vivre-avec-alzheimer/activites.php

 

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2 Commentaires

  1. Sylvie

    Voici un livre fort interressant sur le sujet que vous pouvez trouver dans les procures:

    Alzheimer et démence
    Rencontrer les malades et communiquer avec eux

    Thierry Collaud et Concepcion Gomez, collection: Aire de famille aux éditions Saint-Augustin 2010

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